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Le Corricolo L'officier suit le lazzarone; le lazzarone remet le foulard au sbire, le sbire fourre le foulard dans sa poche.

Publié le 11/04/2014

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Le Corricolo L'officier suit le lazzarone; le lazzarone remet le foulard au sbire, le sbire fourre le foulard dans sa poche. Le lazzarone, rendu a la liberte, s'esquive. Derriere le lazzarone vient l'officier. L'officier met la main sur le collet du sbire, le sbire tombe a genoux. Comme le sbire de cette espece a ete lazzarone avant d'etre sbire, il comprend tout: c'est lui qui est le vole. Il a voulu jouer son associe, il a ete joue par lui. Tous autres qu'un lazzarone et un sbire se brouilleraient en pareille circonstance: mais le lazzarone et le sbire ne se brouillent pas pour si peu de chose: c'est a l'oeuvre qu'on reconnait l'ouvrier. Le lazzarone et le sbire se sont reconnus pour deux ouvriers de premiere force; ils ont pu s'apprecier l'un l'autre. Gare aux poches! ce sera desormais entre eux a la vie et a la mort. Note: [1] A Naples, on a toujours deux mouchoirs dans sa poche: un mouchoir de batiste pour s'essuyer, un mouchoir de soie pour se moucher; il y a meme des elegants qui en ont un troisieme avec lequel ils epoussettent leurs bottes, pour faire croire qu'ils sont venus en voiture. XI. Le roi Nasone. Je ne sais pas si les lazzaroni, ennuyes de leur liberte, demanderent jamais un roi comme les grenouilles de la fable, mais ce que je sais, c'est qu'un jour Dieu leur envoya un. Celui-la n'etait ni un baliveau ni une grue: c'etait un renard, et un des plus fins que la race royale ait jamais produits. Ce roi eut trois noms: Dieu le nomma Ferdinand IV, le congres le nomma Ferdinand 1er, et les lazzaroni le nommerent le roi Nasone. Dieu et le congres eurent tort: un seul de ses trois noms lui resta: c'est celui qui lui a ete donne par les lazzaroni. L'histoire, a la verite, lui a conserve indifferemment les deux autres, ce qui n'a pas contribue a la rendre plus claire: mais qui est-ce qui lit l'histoire, si ce n'est les historiens lorsqu'ils corrigent leurs epreuves! A Naples, personne ne connait donc ni Ferdinand 1er ni Ferdinand IV; mais, en revanche, tout le monde connait le roi Nasone. Chaque peuple a eu son roi qui a resume l'esprit de la nation. Les Ecossais ont eu Robert-Bruce, les Anglais ont eu Henri VIII, les Allemands ont eu Maximilien, les Francais ont eu Henri IV, les Espagnols ont eu Charles V, les Napolitains ont eu Nasone [1]. Le roi Nasone etait l'homme le plus fin, le plus fort, le plus adroit, le plus insouciant, le plus indevot, le plus superstitieux de son royaume, ce qui n'est pas peu dire. Moitie Italien, moitie Francais, moitie Espagnol, jamais il n'a su un mot d'espagnol, de francais ni d'italien; le roi Nasone n'a jamais su qu'une langue, c'etait le patois du mole. Il a eu pour enfans le roi Francois, le prince de Salerne, la reine Marie-Amelie, c'est-a-dire un des hommes les plus savans, un des princes les meilleurs, une des femmes les plus admirablement saintes qui aient jamais existe. Le roi Nasone monta sur le trone a six ans, comme Louis XIV, et mourut presque aussi vieux que lui. Il regna de 1759 a 1825, c'est-a-dire 66 ans y compris sa minorite. Tout ce qui s'accomplit de grand en Europe dans la derniere moitie du siecle passe et dans le premier quart du siecle present s'accomplit sous ses yeux. Napoleon tout entier passa dans son regne. Il le vit naitre et grandir, il le vit decroitre et tomber. Il se trouva mele a ce drame gigantesque qui bouleversa le monde de Lisbonne a Moscou, et de Paris au Caire. XI. Le roi Nasone. 76 Le Corricolo Le roi Nasone n'avait recu aucune education; il avait eu pour gouverneur le prince de San-Miandro, qui, n'ayant jamais rien su, n'avait pas juge necessaire que son eleve en apprit plus que lui. En echange, le roi faisait des armes comme Saint-Georges, montait a cheval comme Rocca Romana, et tirait un coup de fusil comme Charles X. Mais d'arts, mais de sciences, mais de politique, il n'en fut pas un seul instant question dans le programme de l'education royale. Aussi de sa vie le roi Nasone n'ouvrit-il un livre ou ne lut-il un memoire. Quand il fut majeur, il laissa regner son ministre, quand il fut marie, il laissa regner sa femme. Il ne pouvait se dispenser d'assister aux conseils d'Etat, mais il avait defendu qu'il y parut un seul encrier, de peur que sa vue n'entrainat a des ecritures. Restait son seing, qu'il ne pouvait se dispenser de donner au moins une fois par jour. Napoleon, dans le meme cas, avait reduit le sien a cinq lettres d'abord, a trois ensuite, puis enfin a une seule. Le roi Nasone fit mieux, il eut une griffe. Aussi passait-il le meilleur de son temps a chasser a Caserte ou a pecher au Fusaro; puis la chasse finie ou la peche terminee, le roi se faisait cabaretier, la reine se faisait cabaretiere, les courtisans se faisaient garcons de cabaret, et l'on detaillait au dessous du cours des comestibles ordinaires, les produits de la chasse ou de la peche, le tout avec l'accompagnement de disputes et de jurons qu'on aurait pu rencontrer dans une halle ordinaire. Cela etait un des grands plaisirs du roi Nasone. Le roi Nasone savait de qui tenir son amour pour la chasse. Son pere, le roi Charles III, avait fait batir le chateau de Capo-di-monti par la seule raison qu'il y avait sur cette colline, au mois d'aout, un abondant passage de becfigues. Malheureusement, en jetant les fondations de cette villa, on s'etait apercu qu'au dessous des fondations s'etendaient de vastes carrieres d'ou, depuis dix mille ans, Naples tirait sa pierre. On y ensevelit trois millions dans des constructions souterraines; apres quoi on s'apercut qu'il ne manquait qu'une chose pour se rendre au chateau, c'etait un chemin. On comprend que si Charles III, comme son fils, avait eu le gout du commerce et avait vendu ses becfigues, il eut, selon toute probabilite, en les vendant au prix ordinaire, perdu quelque chose, comme un millier de francs sur chacun d'eux. Le contre-coup de la revolution francaise vint troubler le roi Nasone au milieu de ses plaisirs. Un jour il lui prit envie de chasser a l'homme au lieu de chasser au daim ou au sanglier; il lacha sa meute sur la piste des republicains et vint les attaquer aux environs de Rome. Malheureusement le Francais est un animal qui revient sur le chasseur. Le roi Nasone le vit revenir et fut oblige d'abandonner la place et de gouverner au plus vite sur Naples; encore fallut-il qu'il changeat de costume avec le duc d'Ascoli, son ecuyer. Il prit la gauche, ordonna au duc de le tutoyer, et le servit tout le long de la route comme si le duc d'Ascoli eut ete Ferdinand et qu'il eut ete le duc d'Ascoli. Plus tard, un des grands plaisirs du roi etait de raconter cette anecdote. L'idee que le duc d'Ascoli aurait pu etre pendu a la place du roi mettait la cour en fort belle humeur. Arrive a Naples sans accident, le roi jugea qu'il n'etait point prudent a lui de s'arreter la; il s'adressa a son bon ami Nelson, lui demanda un vaisseau, monta dessus avec la reine, son ministre Acton et la belle Emma Lyonna, a laquelle nous reviendrons bientot; mais un vent contraire s'eleva: le vaisseau ne put sortir du golfe et fut force de revenir jeter l'ancre a une centaine de pas de la terre. Alors, ministres, magistrats, officiers, accoururent pour supplier le roi de revenir a Naples; mais le roi tint bon pour la Sicile et envoya promener officiers, magistrats et ministres, marmottant sans cesse ses meilleures prieres pour que le vent changeat de direction. Au premier souffle qui vint du nord, on leva l'ancre et on s'eloigna a pleines voiles. Mais la satisfaction du roi ne fut point de longue duree. A peine la flottille avait-elle gagne la haute mer qu'une tempete terrible s'eleva; en meme temps le jeune prince Alberto tomba malade. Le roi avait pris pour capitaine de son vaisseau l'amiral Nelson, qui passait a cette epoque pour le premier marin du monde, et cependant, comme si Dieu eut poursuivi le roi en personne, le mat de misaine et la grande vergue de son XI. Le roi Nasone. 77

« Le roi Nasone n'avait recu aucune education; il avait eu pour gouverneur le prince de San-Miandro, qui, n'ayant jamais rien su, n'avait pas juge necessaire que son eleve en apprit plus que lui.

En echange, le roi faisait des armes comme Saint-Georges, montait a cheval comme Rocca Romana, et tirait un coup de fusil comme Charles X.

Mais d'arts, mais de sciences, mais de politique, il n'en fut pas un seul instant question dans le programme de l'education royale. Aussi de sa vie le roi Nasone n'ouvrit-il un livre ou ne lut-il un memoire.

Quand il fut majeur, il laissa regner son ministre, quand il fut marie, il laissa regner sa femme.

Il ne pouvait se dispenser d'assister aux conseils d'Etat, mais il avait defendu qu'il y parut un seul encrier, de peur que sa vue n'entrainat a des ecritures.

Restait son seing, qu'il ne pouvait se dispenser de donner au moins une fois par jour.

Napoleon, dans le meme cas, avait reduit le sien a cinq lettres d'abord, a trois ensuite, puis enfin a une seule.

Le roi Nasone fit mieux, il eut une griffe. Aussi passait-il le meilleur de son temps a chasser a Caserte ou a pecher au Fusaro; puis la chasse finie ou la peche terminee, le roi se faisait cabaretier, la reine se faisait cabaretiere, les courtisans se faisaient garcons de cabaret, et l'on detaillait au dessous du cours des comestibles ordinaires, les produits de la chasse ou de la peche, le tout avec l'accompagnement de disputes et de jurons qu'on aurait pu rencontrer dans une halle ordinaire.

Cela etait un des grands plaisirs du roi Nasone. Le roi Nasone savait de qui tenir son amour pour la chasse.

Son pere, le roi Charles III, avait fait batir le chateau de Capo-di-monti par la seule raison qu'il y avait sur cette colline, au mois d'aout, un abondant passage de becfigues.

Malheureusement, en jetant les fondations de cette villa, on s'etait apercu qu'au dessous des fondations s'etendaient de vastes carrieres d'ou, depuis dix mille ans, Naples tirait sa pierre.

On y ensevelit trois millions dans des constructions souterraines; apres quoi on s'apercut qu'il ne manquait qu'une chose pour se rendre au chateau, c'etait un chemin.

On comprend que si Charles III, comme son fils, avait eu le gout du commerce et avait vendu ses becfigues, il eut, selon toute probabilite, en les vendant au prix ordinaire, perdu quelque chose, comme un millier de francs sur chacun d'eux. Le contre-coup de la revolution francaise vint troubler le roi Nasone au milieu de ses plaisirs.

Un jour il lui prit envie de chasser a l'homme au lieu de chasser au daim ou au sanglier; il lacha sa meute sur la piste des republicains et vint les attaquer aux environs de Rome.

Malheureusement le Francais est un animal qui revient sur le chasseur.

Le roi Nasone le vit revenir et fut oblige d'abandonner la place et de gouverner au plus vite sur Naples; encore fallut-il qu'il changeat de costume avec le duc d'Ascoli, son ecuyer.

Il prit la gauche, ordonna au duc de le tutoyer, et le servit tout le long de la route comme si le duc d'Ascoli eut ete Ferdinand et qu'il eut ete le duc d'Ascoli. Plus tard, un des grands plaisirs du roi etait de raconter cette anecdote.

L'idee que le duc d'Ascoli aurait pu etre pendu a la place du roi mettait la cour en fort belle humeur. Arrive a Naples sans accident, le roi jugea qu'il n'etait point prudent a lui de s'arreter la; il s'adressa a son bon ami Nelson, lui demanda un vaisseau, monta dessus avec la reine, son ministre Acton et la belle Emma Lyonna, a laquelle nous reviendrons bientot; mais un vent contraire s'eleva: le vaisseau ne put sortir du golfe et fut force de revenir jeter l'ancre a une centaine de pas de la terre.

Alors, ministres, magistrats, officiers, accoururent pour supplier le roi de revenir a Naples; mais le roi tint bon pour la Sicile et envoya promener officiers, magistrats et ministres, marmottant sans cesse ses meilleures prieres pour que le vent changeat de direction.

Au premier souffle qui vint du nord, on leva l'ancre et on s'eloigna a pleines voiles. Mais la satisfaction du roi ne fut point de longue duree.

A peine la flottille avait-elle gagne la haute mer qu'une tempete terrible s'eleva; en meme temps le jeune prince Alberto tomba malade.

Le roi avait pris pour capitaine de son vaisseau l'amiral Nelson, qui passait a cette epoque pour le premier marin du monde, et cependant, comme si Dieu eut poursuivi le roi en personne, le mat de misaine et la grande vergue de son Le Corricolo XI.

Le roi Nasone.

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