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LE GENIE CRITIQUE.

Publié le 28/04/2011

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   Le 1er Décembre 1835, Sainte-Beuve publie dans la Revue des Deux-Mondes un article intitulé : Du génie critique et de Bayle. Il s'agit, dans cet article de Pierre Bayle (1647-1706) auteur du Dictionnaire historique et critique (1697), un des esprits les plus critiques qu'il y ait jamais eu ; mais il s'agit surtout du génie critique.    La critique s'appliquant à tout, il y en a de diverses sortes selon les objets qu'elle embrasse et qu'elle poursuit ; il y a la critique historique, littéraire, grammaticale et philologique . Mais, en la considérant moins dans la diversité des sujets que dans le procédé qu'elle y emploie, dans la disposition et l'allure qu'elle y apporte, on peut distinguer, en gros, deux espèces de critiques, l'une reposée, concentrée, plus spéciale et plus lente, éclaircissant et quelquefois ranimant le passé, en déterrant et en discutant les débris, distribuant et classant toute une série d'auteurs ou de connaissances. Nous y rangerons aussi ceux des critiques littéraires, à proprement parler, qui, à tête reposée, s'exercent sur des sujets déjà fixés et établis, recherchent les caractères et les beautés particulières des anciens auteurs, et construisent des Arts Poétiques ou des Rhétoriques, à l'exemple d'Aristote et de Quintilien.    Dans l'autre genre critique, que le mot de Journalisme exprime assez bien, je mets cette faculté diverse, mobile, empressée, pratique, qui ne s'est guère développée que depuis trois siècles, qui, des correspondances des savants où elle se trouvait à la gêne, a passé vite dans les journaux et les a multipliés sans relâche et est devenue, grâce à l'imprimerie dont elle est une conséquence, l'un des plus actifs instruments modernes. Le génie critique, dans tout ce qu'il a de mobile, de libre et de divers, y a grandi et s'y est révélé.    Ce génie, dans son idéal complet, est, au revers du génie créateur et poétique, du génie philosophique avec système : il prend tout en considération, fait valoir tout et se laisse d'abord aller, sauf à revenir bientôt. Tout esprit qui a en soi une part d'art ou de système, n'admet volontiers que ce qui est analogue à son point de vue, à sa prédilection. Le génie critique n'a rien de trop digne, ni de prude, ni de préoccupé, aucun quant-à-soi. Il ne reste pas dans sa cour, ni dans sa citadelle, ni dans son académie ; il ne craint pas de se mésallier ; il va partout, le long des rues, s'informant, accostant ; la curiosité l'allèche et il ne s'épargne pas les régals qui se présentent. Il est, jusqu'à un certain point, tout à tous, comme l'Apôtre *, et en ce sens, il y a toujours de l'optimisme * dans le critique véritablement doué. Mais gare aux retours ; l'infidélité est un des traits de ces esprits divers et intelligents ; ils reviennent sur leurs pas, ils prennent tous les côtés d'une question, ils ne se font pas faute de se réfuter eux-mêmes.    Sainte-Beuve, Portraits Littéraires. I.

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