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Le roman est une forme particulière de récit. Michel Butor, Essais sur le roman

Publié le 08/03/2011

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Celui-ci est un phénomène qui dépasse considérablement le domaine de la littérature ; il est un des constituants essentiels de notre appréhension de la réalité. Jusqu'à notre mort, et depuis que nous comprenons des paroles, nous sommes perpétuellement entourés de récits, dans notre famille tout d'abord, puis à l'école, puis à travers les rencontres et les lectures. Les autres, pour nous, ce n'est seulement ce que nous en avons vu de nos yeux, mais ce qu'ils nous ont raconté d'eux-mêmes, ou ce que d'autres nous en ont raconté; ce n'est pas seulement ceux que nous avons vus, mais aussi tous ceux dont on nous a parlé. Ceci n'est pas seulement vrai des hommes, mais des choses mêmes, des lieux, par exemple, où je ne suis pas allé mais que l'on m'a décrits. Ce récit dans lequel nous baignons prend les formes les plus variées, depuis la tradition familiale, les renseignements que l'on se donne à table sur ce que l'on a fait le matin, jusqu'à l'information journalistique ou l'ouvrage historique. Chacune de ces formes nous relie à un secteur particulier de la réalité. Tous ces récits véridiques ont un caractère en commun, c'est qu'ils sont toujours en principe vérifiables. Je dois pouvoir recouper ce que m'a dit un tel par des renseignements venus d'un autre informateur, et ceci indéfiniment; sinon, je me trouve devant une erreur ou une fiction. Au milieu de tous ces récits grâce auxquels se constitue en grande partie notre monde quotidien, il peut y en avoir qui sont délibérément inventés. Si, pour éviter toute méprise, on donne aux événements racontés des caractéristiques qui les distinguent d'emblée de ceux auxquels nous avons l'habitude d'assister, nous nous trouvons devant une littérature fantastique, mythes, contes, etc. Le romancier, lui, nous présente les événements semblables aux événements quotidiens, il veut leur donner le plus possible l'apparence de la réalité, ce qui peut aller jusqu'à la mystification (Defoe). Mais ce que nous raconte le romancier est invérifiable et, par conséquent, ce qu'il nous en dit doit suffire à lui donner cette apparence de réalité. Si je rencontre un ami et qu'il m'annonce une nouvelle surprenante, pour emporter ma créance1 il a toujours la ressource de me dire que tels et tels ont été eux aussi témoins, que je n'ai qu'à aller vérifier. Au contraire, à partir du moment où un écrivain met sur la couverture de son livre le mot roman, il déclare qu'il est vain de chercher ce genre de confirmation. C'est par ce qu'il nous en dit et par là seulement que les personnages doivent emporter la conviction, vivre, et cela, même s'ils ont existé en fait. Imaginons que nous découvrions un épistolier du xixe siècle déclarant à son correspondant qu'il a très bien connu le Père Goriot, que celui-ci n'était pas du tout comme Balzac nous l'a dépeint, que, notamment, à telle et telle page, il y a de grossières erreurs; cela n'aurait évidemment aucune importance pour nous. Le Père Goriot est ce que Balzac nous en dit (et ce que l'on peut en dire à partir de là) ; je peux estimer que Balzac se trompe dans ses jugements par rapport à son propre personnage, que celui-ci lui échappe, mais pour justifier mon attitude, il faudra que je m'appuie sur les phrases mêmes de son texte; je ne puis invoquer d'autre témoin. Alors que le récit véridique a toujours l'appui, la ressource d'une évidence extérieure, le roman doit suffire à susciter ce dont il nous entretient. (...) Michel Butor, Essais sur le roman, Gallimard, Idées. Rédigez de ce texte soit un résumé qui respecte l'ordre des idées telles qu'elles sont présentées, soit une analyse qui regroupe les idées essentielles. (Précisez nettement en tête de votre copie la formule que vous avez choisie.) Vous dégagerez ensuite de ce texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

 

1. Créance : adhésion, conviction.

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