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Les limites de l'explication psychanalytique d'après Freud lui-même

Publié le 16/03/2011

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freud

« Déclarons hautement que nous n'avons jamais entendu ranger Léonard (de Vinci) au nombre des névropathes. Ceux qui se plaindraient de nous voir, dans cette étude, oser employer des données empruntées à la pathologie, restent dominés par des préjugés aujourd'hui abandonnés justement. Nous ne croyons plus que santé ou maladie, état normal ou état nerveux, soient franchement tranchés, ni que des traits névrotiques dénotent, dans un caractère, l'infériorité. Nous savons maintenant que les symptômes névrotiques sont des formations substitutives provoquées par certains refoulements mal réussis, refoulements que nous sommes tous contraints de faire au cours de notre développement infantile pour devenir des civilisés. Nous avons tous fait de telles formations substitutives, seuls le nombre, l'intensité et la répartition de ces formations justifient pratiquement la conclusion de maladie et d'infériorité constitutionnelle...    Même en possession de la plus ample documentation historique et du maniement certain de tous les mécanismes psychiques, l'investigation psychanalytique en deux points importants resterait impuissante à rendre compte de la nécessité qui a commandé à un être de devenir ce qu'il fut et de ne devenir rien d'autre. Nous avons dû admettre que chez Léonard, le hasard de sa naissance illégitime et de l'excessive tendresse de sa mère exercèrent l'influence la plus décisive sur la formation de son caractère et sur sa destinée, le refoulement survenu après cette phase d'enfance ayant conditionné et la sublimation de la libido en soif de savoir et l'inactivité sexuelle de toute sa vie. Mais ce refoulement après les premières satisfactions érotiques de l'enfance aurait pu ne pas avoir lieu; il n'aurait peut-être pas eu lieu chez un autre individu ou eût pu avoir bien moins d'amplitude. Il nous faut reconnaître ici une marge de liberté que la psychanalyse reste impuissante à réduire. De même, le résultat de cette poussée de refoulement ne peut être considéré comme le seul possible. Une autre personne n'aurait sans doute pas réussi à soustraire la plus grande partie de sa libido au refoulement par la sublimation en soif de savoir. Soumise aux mêmes influences que Léonard, elle aurait subi soit un durable préjudice au travail de la pensée, soit une prédisposition indomptable à la névrose obsessionnelle. La psychanalyse reste donc impuissante à expliquer ces deux particularités de Léonard : sa tendance extrême au refoulement des instincts et son extraordinaire capacité à la sublimation des instincts primitifs.    Les instincts et leurs métamorphoses sont la chose dernière que la psychanalyse puisse connaître. A partir de cette frontière, elle doit céder le terrain à l'investigation biologique. La tendance au refoulement et la capacité de sublimation doivent être rapportées aux bases organiques du caractère, bases sur lesquelles ensuite s'élève l'édifice psychique. Le don artistique et la capacité de travail étant intimement liés à la sublimation, nous devons avouer que l'essence de la fonction artistique nous reste aussi, psychanalytiquement, inaccessible... Notre but est de démontrer le rapport existant entre les événements extérieurs et les réactions individuelles par la voie de l'activité instinctive. Si la psychanalyse ne nous explique pas pourquoi Léonard fut un artiste, elle nous fait du moins comprendre les manifestations et les limitations de son art. «    S. Freud, Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci.

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