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L'idée de Progrès et les illusions qu'elle entretient en nous.

Publié le 31/03/2011

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Au principe de ces illusions, je vois notre désir, parfaitement naturel, d'aboutir à des solutions acquises une fois pour toutes, et « marquant un progrès « comme on dit. C'est possible au niveau de la vie pratique, dans certains domaines circonscrits comme celui de la technique, par exemple. Mais la technique ne cesse pas pour autant d'être en tension avec d'autres aspects de notre existence. L'illusion serait alors d'imaginer un état stable, un arrêt de l'Aventure. Cet état ne pourrait être acquis qu'au prix d'une répression soit de l'essor technique (interdiction des recherches nucléaires, par exemple), soit des bénéfices « bouleversants « qui peuvent en résulter à bref délai (abondance matérielle et loisirs) : dans les deux cas, on essayerait d'éliminer les risques inhérents à l'Aventure. Et il en va de même pour toutes nos tentatives de résoudre une bonne fois nos tensions — sociales ou politiques, culturelles ou religieuses. Nous ne pourrions jamais y parvenir qu'au prix du sacrifice d'un des deux termes en présence, — c'est la formule de toutes les tyrannies et anarchies — ou bien au prix de leur neutralisation. [...] Un second type d'illusion naît de notre habitude d'appliquer l'idée de progrès à des domaines où ce n'est pas l'évolution mais l'instant et l'acte qui comptent. Je donnerai l'exemple des arts. S'il est vrai que la relativité d'Einstein représente un progrès sur la physique newtonienne, et si le cerveau électronique est un progrès sur l'automate de Vaucanson, il n'en résulte pas que la dernière en date de nos modes atonales ou bruiteuses représente un progrès sur Mozart. Car on ne peut « dépasser « Mozart : il se suffit. Il n'est pas une étape transitoire dans une recherche collective jamais finie, mais une œuvre achevée, un acte créateur. L'une des superstitions les plus curieuses de l'Occident se révèle là : prisonniers de l'Histoire et de la chronologie, nous en sommes arrivés au point de nous figurer que l'extrême avant-garde équivaut au progrès. Différer nous paraît en soi supérieur à rassembler à quoi que ce soit, surtout lorsqu'il s'agit de ressembler aux chefs-d'œuvre. C'est se rendre à l'excès tributaire de ce que l'on déclare « dépassé «. C'est s'interdire d'être vraiment de son temps, d'être vraiment moderne, comme le furent sans le vouloir tous les siècles et tous les artistes avant nous. Cet avant-gardisme artistique, fondé dans une croyance abusive à l'Histoire, est en train d'appauvrir ou de paralyser des milliers de jeunes peintres, poètes et musiciens. « Que peut-on faire après Schönberg et Picasso ? « se demandent-ils avec anxiété. Certes, le goût de différer est l'une des marques permanentes de l'Occident : mais il n'est vraiment créateur que s'il traduit spontanément la personne et sa vocation ; il est stérile et caricatural quand il se fait systématique et prétend procéder par exclusion des modèles fournis par l'Histoire. Il n'y a pas de progrès dans les arts, qui ne sont pas faits de « courants «, mais d'œuvres signifiantes. L'Orient l'a toujours su et devrait nous le rapprendre, au lieu de perdre sa vertu en nous copiant. La mesure du grand art est l'amour, non le procédé d'expression ; le sublime, non la différence; l'achèvement valable pour tous, non la petite variation, provisoirement curieuse... Mais ceci n'est qu'une parenthèse.

Purifiée de ses illusions les plus courantes, on voit maintenant l'idée de Progrès se confondre avec elle d'un accroissement de sens et d'un élargissement du risque humain. Denis de Rougemont, L'aventure occidentale de l'homme, 1957. 1. Résumez le texte en 155 mots (avec une marge de 10 % en plus ou en moins). 2. Expliquez en quelques lignes le sens dans le texte des mots et expressions suivants : — bénéfices « bouleversants « ; — tributaire ; — croyance abusive à l'Histoire. 3. Que pensez-vous de cette affirmation de l'auteur : « Il n'y a pas de progrès dans les arts. « Vous vous efforcerez, dans un développement composé, de construire, en vous aidant d'exemples précis, une réflexion personnelle et argumentée.

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