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Pauline luminaire dessinait une large étoile d'ombre tremblotante sur tout l'intérieur de la pièce, et rejetait sa pâle clarté vers les solives enfumées du plafond.

Publié le 11/04/2014

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Pauline luminaire dessinait une large étoile d'ombre tremblotante sur tout l'intérieur de la pièce, et rejetait sa pâle clarté vers les solives enfumées du plafond. L'étrangère était donc entrée sans rien distinguer autour d'elle, et l'état de demi-sommeil où elle était l'avait d'ailleurs empêchée de faire aucune remarque sur le lieu où elle se trouvait. Tout à coup l'éboulement d'une petite avalanche de cendre dégagea deux tisons mélancoliquement embrassés; un peu de flamme frissonna, jaillit, pâlit, se ranima, et grandit enfin jusqu'à illuminer tout l'intérieur de l'âtre. Les yeux distraits de la voyageuse, suivant machinalement ces ondulations de lumière, s'arrêtèrent tout à coup sur une inscription qui ressortait en blanc sur un des chambranles noircis de la cheminée. Elle tressaillit alors, passa la main sur ses yeux appesantis, ramassa un bout de branche embrasée pour examiner les caractères, et la laissa retomber en s'écriant d'une voix émue: --Ah Dieu! où suis-je? est-ce un rêve que je fais? À cette exclamation, la servante s'éveilla brusquement, et, se tournant vers elle, lui demanda si elle l'avait appelée. --Oui, oui, s'écria l'étrangère; venez ici. Dites-moi, qui a écrit ces deux noms sur le mur? --Deux noms? dit la servante ébahie; quels noms? --Oh! dit l'étrangère en se parlant avec une sorte d'exaltation, son nom et le mien, Pauline, Laurence! Et cette date! 10 février 182...! Oh! dites-moi, dites-moi pourquoi ces noms et cette date sont ici? --Madame, répondit la servante, je n'y avais jamais fait attention, et d'ailleurs je ne sais pas lire. --Mais où suis-je donc? comment nommez-vous cette ville? N'est-ce pas Villiers, la première poste après L...? --Mais non pas, Madame; vous êtes à Saint-Front, route de Paris, hôtel du Lion couronné. --Ah ciel! s'écria la voyageuse avec force en se levant tout à coup. La servante épouvantée la crut folle et voulut s'enfuir; mais la jeune femme l'arrêtant: --Oh! par grâce, restez, dit-elle, et parlez-moi! Comment se fait-il que je sois ici? Dites-moi si je rêve? Si je rêve, éveillez-moi! --Mais, Madame, vous ne rêvez pas, ni moi non plus, je pense, répondit la servante. Vous vouliez donc aller à Lyon? Eh bien! mon Dieu, vous aurez oublié de l'expliquer au postillon, et tout naturellement il aura cru que vous alliez à Paris. Dans ce temps-ci, toutes les voitures de poste vont à Paris. --Mais je lui ai dit moi-même que j'allais à Lyon. --Oh dame! c'est que Baptiste est sourd à ne pas entendre le canon, et avec cela qu'il dort sur son cheval la moitié du temps, et que ses bêtes sont accoutumées à la route de Paris dans ce temps-ci... --À Saint-Front! répétait l'étrangère. Oh! singulière destinée qui me ramène aux lieux que je voulais fuir! J'ai fait un détour pour ne point passer ici, et, parce que je me suis endormie deux heures, le hasard m'y conduit à mon insu! Eh bien! c'est Dieu peut-être qui le veut. Sachons ce que je dois retrouver ici de joie ou de douleur. Dites-moi, ma chère, ajouta-t-elle en s'adressant à la fille d'auberge, connaissez-vous dans cette ville mademoiselle Pauline D...? I. 3 Pauline --Je n'y connais personne, Madame, répondit la fille; je ne suis dans ce pays que depuis huit jours. --Mais allez me chercher une autre servante, quelqu'un! je veux le savoir! Puisque je suis ici, je veux tout savoir. Est-elle mariée? est-elle morte? Allez, allez, informez-vous de cela; courez donc! La servante objecta que toutes les servantes étaient couchées, que le garçon d'écurie et les postillons ne connaissaient au monde que leurs chevaux. Une prompte libéralité de la jeune dame la décida à aller réveiller le chef, et, après un quart d'heure d'attente, qui parut mortellement long à notre voyageuse, on vint enfin lui apprendre que mademoiselle Pauline D... n'était point mariée, et qu'elle habitait toujours la ville. Aussitôt l'étrangère ordonna qu'on mît sa voiture sous la remise et qu'on lui préparât une chambre. Elle se mit au lit en attendant le jour, mais elle ne put dormir. Ses souvenirs, assoupis ou combattus longtemps, reprenaient alors toute leur puissance; elle reconnaissait toutes les choses qui frappaient sa vue dans l'auberge du Lion couronné. Quoique l'antique hôtellerie eût subi de notables améliorations depuis dix ans, le mobilier était resté à peu près le même; les murs étaient encore revêtus de tapisseries qui représentaient les plus belles scènes de l'Astrée; les bergères avaient des reprises de fil blanc sur le visage, et les bergers en lambeaux flottaient suspendus à des clous qui leur perçaient la poitrine. Il y avait une monstrueuse tête de guerrier romain dessinée à l'estompe par la fille de l'aubergiste, et encadrée dans quatre baguettes de bois peint en noir; sur la cheminée, un groupe de cire, représentant Jésus à la crèche, jaunissait sous un dais de verre filé. --Hélas! se disait la voyageuse, j'ai habité plusieurs jours cette même chambre, il y a douze ans, lorsque je suis arrivée ici avec ma bonne mère! C'est dans cette triste ville que je l'ai vue dépérir de misère et que j'ai failli la perdre. J'ai couché dans ce même lit la nuit de mon départ! Quelle nuit de douleur et d'espoir, de regret et d'attente! Comme elle pleurait, ma pauvre amie, ma douce Pauline, en m'embrassant sous cette cheminée où je sommeillais tout à l'heure sans savoir où j'étais! Comme je pleurais, moi aussi, en écrivant sur le mur son nom au-dessous du mien, avec la date de notre séparation! Pauvre Pauline! quelle existence a été la sienne depuis ce temps-là? l'existence d'une vieille fille de province! Cela doit être affreux! Elle si aimante, si supérieure à tout ce qui l'entourait! Et pourtant je voulais la fuir, je m'étais promis de ne la revoir jamais! --Je vais peut-être lui apporter un peu de consolation, mettre un jour de bonheur dans sa triste vie! --Si elle me repoussait pourtant! Si elle était tombée sous l'empire des préjugés!... Ah! cela est évident, ajouta tristement la voyageuse; comment puis-je en douter? N'a-t-elle pas cessé tout à coup de m'écrire en apprenant le parti que j'ai pris? Elle aura craint de se corrompre ou de se dégrader dans le contact d'une vie comme la mienne! Ah! Pauline! elle m'aimait tant, et elle aurait rougi de moi!... je ne sais plus que penser... À présent que je me sens si près d'elle, à présent que je suis sûre de la retrouver dans la situation où je l'ai connue, je ne peux plus résister au désir de la voir. Oh! je la verrai, dût-elle me repousser! Si elle le fait, que la honte en retombe sur elle! j'aurai vaincu les justes défiances de mon orgueil, j'aurai été fidèle à la religion du passé; c'est elle qui se sera parjurée! Au milieu de ces agitations, elle vit monter le matin gris et froid derrière les toits inégaux des maisons déjetées qui s'accoudaient disgracieusement les unes aux autres. Elle reconnut le clocher qui sonnait jadis ses heures de repos ou de rêverie; elle vit s'éveiller les bourgeois en classiques bonnets de coton; et de vieilles figures dont elle avait un confus souvenir, apparurent toutes renfrognées aux fenêtres de la rue. Elle entendit l'enclume du forgeron retentir sous les murs d'une maison décrépite; elle vit arriver au marché les fermiers en manteau bleu et en coiffe de toile cirée; tout reprenait sa place et conservait son allure comme aux jours du passé. Chacune de ces circonstances insignifiantes faisait battre le coeur de la voyageuse, quoique tout lui semblât horriblement laid et pauvre. --Eh quoi! disait-elle, j'ai pu vivre ici quatre ans, quatre ans entiers sans mourir! j'ai respiré cet air, j'ai parlé à ces gens-là, j'ai dormi sous ces toits couverts de mousse, j'ai marché dans ces rues impraticables! et Pauline, ma pauvre Pauline vit encore au milieu de tout cela, elle qui était si belle, si aimable, si instruite, elle qui aurait régné et brillé comme moi sur un monde de luxe et d'éclat! I. 4

« —Je n'y connais personne, Madame, répondit la fille; je ne suis dans ce pays que depuis huit jours. —Mais allez me chercher une autre servante, quelqu'un! je veux le savoir! Puisque je suis ici, je veux tout savoir.

Est-elle mariée? est-elle morte? Allez, allez, informez-vous de cela; courez donc! La servante objecta que toutes les servantes étaient couchées, que le garçon d'écurie et les postillons ne connaissaient au monde que leurs chevaux.

Une prompte libéralité de la jeune dame la décida à aller réveiller le chef, et, après un quart d'heure d'attente, qui parut mortellement long à notre voyageuse, on vint enfin lui apprendre que mademoiselle Pauline D...

n'était point mariée, et qu'elle habitait toujours la ville.

Aussitôt l'étrangère ordonna qu'on mît sa voiture sous la remise et qu'on lui préparât une chambre. Elle se mit au lit en attendant le jour, mais elle ne put dormir.

Ses souvenirs, assoupis ou combattus longtemps, reprenaient alors toute leur puissance; elle reconnaissait toutes les choses qui frappaient sa vue dans l'auberge du Lion couronné.

Quoique l'antique hôtellerie eût subi de notables améliorations depuis dix ans, le mobilier était resté à peu près le même; les murs étaient encore revêtus de tapisseries qui représentaient les plus belles scènes de l'Astrée; les bergères avaient des reprises de fil blanc sur le visage, et les bergers en lambeaux flottaient suspendus à des clous qui leur perçaient la poitrine.

Il y avait une monstrueuse tête de guerrier romain dessinée à l'estompe par la fille de l'aubergiste, et encadrée dans quatre baguettes de bois peint en noir; sur la cheminée, un groupe de cire, représentant Jésus à la crèche, jaunissait sous un dais de verre filé. —Hélas! se disait la voyageuse, j'ai habité plusieurs jours cette même chambre, il y a douze ans, lorsque je suis arrivée ici avec ma bonne mère! C'est dans cette triste ville que je l'ai vue dépérir de misère et que j'ai failli la perdre.

J'ai couché dans ce même lit la nuit de mon départ! Quelle nuit de douleur et d'espoir, de regret et d'attente! Comme elle pleurait, ma pauvre amie, ma douce Pauline, en m'embrassant sous cette cheminée où je sommeillais tout à l'heure sans savoir où j'étais! Comme je pleurais, moi aussi, en écrivant sur le mur son nom au-dessous du mien, avec la date de notre séparation! Pauvre Pauline! quelle existence a été la sienne depuis ce temps-là? l'existence d'une vieille fille de province! Cela doit être affreux! Elle si aimante, si supérieure à tout ce qui l'entourait! Et pourtant je voulais la fuir, je m'étais promis de ne la revoir jamais! —Je vais peut-être lui apporter un peu de consolation, mettre un jour de bonheur dans sa triste vie! —Si elle me repoussait pourtant! Si elle était tombée sous l'empire des préjugés!...

Ah! cela est évident, ajouta tristement la voyageuse; comment puis-je en douter? N'a-t-elle pas cessé tout à coup de m'écrire en apprenant le parti que j'ai pris? Elle aura craint de se corrompre ou de se dégrader dans le contact d'une vie comme la mienne! Ah! Pauline! elle m'aimait tant, et elle aurait rougi de moi!...

je ne sais plus que penser...

À présent que je me sens si près d'elle, à présent que je suis sûre de la retrouver dans la situation où je l'ai connue, je ne peux plus résister au désir de la voir.

Oh! je la verrai, dût-elle me repousser! Si elle le fait, que la honte en retombe sur elle! j'aurai vaincu les justes défiances de mon orgueil, j'aurai été fidèle à la religion du passé; c'est elle qui se sera parjurée! Au milieu de ces agitations, elle vit monter le matin gris et froid derrière les toits inégaux des maisons déjetées qui s'accoudaient disgracieusement les unes aux autres.

Elle reconnut le clocher qui sonnait jadis ses heures de repos ou de rêverie; elle vit s'éveiller les bourgeois en classiques bonnets de coton; et de vieilles figures dont elle avait un confus souvenir, apparurent toutes renfrognées aux fenêtres de la rue.

Elle entendit l'enclume du forgeron retentir sous les murs d'une maison décrépite; elle vit arriver au marché les fermiers en manteau bleu et en coiffe de toile cirée; tout reprenait sa place et conservait son allure comme aux jours du passé.

Chacune de ces circonstances insignifiantes faisait battre le coeur de la voyageuse, quoique tout lui semblât horriblement laid et pauvre. —Eh quoi! disait-elle, j'ai pu vivre ici quatre ans, quatre ans entiers sans mourir! j'ai respiré cet air, j'ai parlé à ces gens-là, j'ai dormi sous ces toits couverts de mousse, j'ai marché dans ces rues impraticables! et Pauline, ma pauvre Pauline vit encore au milieu de tout cela, elle qui était si belle, si aimable, si instruite, elle qui aurait régné et brillé comme moi sur un monde de luxe et d'éclat! Pauline I.

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