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Rousseau (1712-1778) - Emile ou de l'Éducation, livre III

Publié le 03/03/2011

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Je n'aime point les explications en discours; les jeunes gens y font peu d'attention et ne les retiennent guère. Les choses! les choses! Je ne répéterai jamais assez que nous donnons trop de pouvoir aux mots; avec notre éducation babillarde 5 nous ne faisons que des babillards. Supposons que, tandis que j'étudie avec mon élève le cours du soleil et la manière de s'orienter, tout à coup il m'interrompe pour me demander à quoi sert tout cela. Quel beau discours je vais lui faire! de combien de choses je saisis 10 l'occasion de l'instruire en répondant à sa question, surtout si nous avons des témoins de notre entretien. Je lui parlerai de l'utilité des voyages, des avantages du commerce, des productions particulières à chaque climat, des mœurs des différents peuples, de l'usage du calendrier, de la supputation 15 du retour des saisons pour l'agriculture, de l'art de la navigation, de la manière de se conduire sur mer et de suivre exactement sa route, sans savoir où l'on est. La politique, l'histoire naturelle, l'astronomie, la morale même et le droit des gens1 entreront dans mon explication, de manière à 20 donner à mon élève une grande idée de toutes ces sciences et un grand désir de les apprendre. Quand j'aurai tout dit, j'aurai fait l'étalage d'un vrai pédant, auquel il n'aura pas compris une seule idée. Il aurait grande envie de me demander comme auparavant à quoi sert de s'orienter; mais 25 il n'ose, de peur que je me fâche. Il trouve mieux son compte à feindre d'entendre ce qu'on l'a forcé d'écouter. Ainsi se pratiquent les belles éducations. Emile ou de l'Éducation, livre III

1. Rousseau fait ici allusion au « Jus Gentium « ou Droit des Nations.   

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