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La première leçon de cosmographie (Emile, Livre III) - Rousseau

Publié le 02/04/2011

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1er § Ne tenez point à l'enfant des discours qu'il ne peut entendre. Point de description, point d'éloquence, point de figures, point de poésie. Il n'est pas maintenant question de sentiment ni de goût. Continuez d'être clair, simple et froid; le temps ne viendra que trop tôt de prendre un autre langage.    2e § Élevé dans l'esprit de nos maximes, accoutumé à tirer tous ses instruments de lui-même, et à ne recourir jamais à autrui qu'après avoir reconnu son insuffisance, à chaque nouvel objet qu'il voit il l'examine longtemps sans rien dire. Il est pensif et non questionneur. Contentez-vous donc de lui présenter à propos les objets ; puis, quand vous verrez sa curiosité suffisamment occupée, faites-lui quelque question laconique qui le mette sur la voie de la résoudre.    3e § Dans cette occasion, après avoir bien contemplé avec lui le soleil levant, après lui avoir fait remarquer du même côté les montagnes et les autres objets voisins, après l'avoir laissé causer là-dessus tout à son aise, gardez quelques moments le silence comme un homme qui rêve, et puis vous lui direz : « Je songe qu'hier au soir le soleil s'est couché là, et qu'il s'est levé là ce matin. Comment cela peut-il se faire ? « N'ajoutez rien de plus : s'il vous fait des questions, n'y répondez point; parlez d'autre chose. Laissez-le à lui-même, et soyez sûr qu'il y pensera.

4e § Pour qu'un enfant s'accoutume à être attentif, et qu'il soit bien frappé de quelque vérité sensible, il faut qu'elle lui donne quelques jours d'inquiétude avant de la découvrir. S'il ne conçoit pas assez celle-ci de cette manière, il y a moyen de la lui rendre plus sensible encore, et ce moyen c'est de retourner la question. S'il ne sait pas comment le soleil parvient de son coucher à son lever, il sait au moins comment il parvient de son lever à son coucher : ses yeux seuls le lui apprennent. Eclaircissez donc la première question par l'autre : ou votre élève est absolument stupide, ou l'analogie est trop claire pour lui pouvoir échapper. Voilà sa première leçon de cosmographie.

Déjà dans le Livre II, Rousseau s'était élevé contre les méthodes livresques et abstraites suivant lesquelles on enseigne aux enfants la géographie. Il reprend ici son développement et montre comment il faut substituer à l'étude des signes celles des objets, c'est-à-dire des vérités sensibles ou concrètes. Tout en rappelant ses maximes, il indique sa méthode et donne un exemple.    I. Les buts de l'éducation.    Il s'agit, comme pour Montaigne, de développer les qualités personnelles et le jugement. Mais alors que Montaigne exerce la réflexion de son élève autant sur des lectures que sur la nature, Emile tirera ses instruments de lui même, c'est-à-dire qu'il s'accoutumera à se passer du secours d'autrui pour découvrir par ses propres moyens ce qu'il doit savoir. Cette pédagogie d'autodidacte, que Rousseau lui-même a pratiquée, est la seule qui convienne à un enfant élevé selon la nature et loin de toute Société. Emile ne sera peut-être pas un savant, mais on lui aura appris à être curieux et attentif; on aura formé son esprit. Doit-on en demander davantage?   

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