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Simone de Beauvoir, La Vieillesse.

Publié le 27/04/2011

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Si le retraité est désespéré par le non-sens de sa vie présente, c'est que de tout temps le sens de son existence lui a été volé. Une loi (...) implacable (...) lui a permis seulement de reproduire sa vie et lui a refusé la possibilité d'en inventer des justifications. Quand il échappe aux contraintes de sa profession, il n'aperçoit plus autour de lui qu'un désert ; il ne lui a pas été donné de s'engager dans des projets qui auraient peuplé le monde de buts, de valeurs, de raisons d'être. C'est là le crime de notre société. Sa « politique de la vieillesse « est scandaleuse. Mais plus scandaleux encore est le traitement qu'elle inflige à la majorité des hommes au temps de leur jeunesse et de leur maturité. Elle préfabrique la condition mutilée et misérable qui est leur lot dans leur dernier âge. C'est par sa faute que la déchéance sénile commence prématurément, qu'elle est rapide, physiquement douloureuse, moralement affreuse parce qu'ils l'abordent les mains vides. Des individus exploités, aliénés, quand leurs forces les quittent, deviennent fatalement des « rebuts «, des « déchets «. C'est pourquoi tous les remèdes qu'on propose pour pallier la détresse des vieillards sont si dérisoires : aucun d'eux ne saurait réparer la systématique destruction dont des hommes ont été victimes pendant toute leur existence. Même si on les soigne, on ne leur rendra pas la santé. Si on leur bâtit des résidences décentes, on ne leur inventera pas la culture, les intérêts, les responsabilités qui donneraient un sens à leur vie. Je ne dis pas qu'il soit tout à fait vain d'améliorer, au présent, leur condition ; mais cela n'apporte aucune solution au véritable problème du dernier âge : que devrait être une société pour que dans sa vieillesse un homme demeure un homme ? La réponse est simple : il faudrait qu'il ait toujours été traité en homme. Par le sort qu'elle assigne à ses membres inactifs, la société se démasque ; elle les a toujours considérés comme du matériel. Elle avoue que pour elle seul le profit compte et que son « humanisme « est de pure façade. Au xixc siècle, les classes dominantes assimilaient explicitement le prolétariat à la barbarie. Les luttes ouvrières ont réussi à l'intégrer à l'humanité. Mais seulement en tant qu'il est productif. Les travailleurs vieillis, la société s'en détourne comme d'une espèce étrangère.  

Voilà pourquoi on ensevelit la question dans un silence concerté. La vieillesse dénonce l'échec de toute notre civilisation. C'est l'homme tout entier qu'il faut refaire, toutes les relations entre les hommes qu'il faut recréer si on veut que la condition du vieillard soit acceptable. Un homme ne devrait pas aborder la fin de sa vie les mains vides et solitaire. Si la culture n'était pas un savoir inerte, acquis une fois pour toutes puis oublié, si elle était pratique et vivante, si par elle l'individu avait sur son environnement une prise qui s'accomplirait et se renouvellerait au cours des années, à tout âge il serait un citoyen actif, utile. S'il n'était pas atomisé dès l'enfance, clos et isolé parmi d'autres atomes, s'il participait à une vie collective, aussi quotidienne et essentielle que sa propre vie, il ne connaîtrait jamais l'exil. Nulle part, en aucun temps, de telles conditions n'ont été réalisées. Les pays socialistes, s'ils s'en approchent un peu plus que les pays capitalistes, en sont encore bien éloignés. Dans la société idéale que je viens d'évoquer, on peut rêver que la vieillesse n'existerait pour ainsi dire pas. Comme il arrive en certains cas privilégiés, l'individu, secrètement affaibli par l'âge, mais non pas apparemment diminué, serait un jour atteint d'une maladie à laquelle il ne résisterait pas ; il mourrait sans avoir subi de dégradation. Le dernier âge serait réellement conforme à la définition qu'en donnent certains idéologues bourgeois : un moment de l'existence différent de la jeunesse et de la maturité, mais possédant son propre équilibre et laissant ouverte à l'individu une large gamme de possibilités. Nous sommes loin de compte. La société ne se soucie de l'individu que dans la mesure où il rapporte. Les jeunes le savent. Leur anxiété au moment où ils abordent la vie sociale est symétrique de l'angoisse des vieux au moment où ils en sont exclus. Entre-temps, la routine masque les problèmes. Le jeune redoute cette machine qui va le happer, il essaie parfois de se défendre à coups de pavé ; le vieux, rejeté par elle, épuisé, nu, n'a plus que ses yeux pour pleurer. Entre les deux la machine tourne, broyeuse d'hommes qui se laissent broyer parce qu'ils n'imaginent pas même de pouvoir y échapper. Quand on a compris ce qu'est la condition des vieillards, on ne saurait se contenter de réclamer une « politique de la vieillesse « plus généreuse, un relèvement des pensions, des logements sains, des loisirs organisés. C'est tout le système qui est en jeu et la revendication ne peut être que radicale : changer la vie. Simone de Beauvoir, La Vieillesse. Selon votre préférence, résumez le texte en suivant le fil du développement ou faites-en une analyse qui, distinguant et ordonnant les thèmes, s'attache à rendre compte de leurs rapports. Choisissez ensuite un problème qui ait dans ce texte une réelle consistance et auquel vous attachez un intérêt particulier; vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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