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Simone De Beauvoir, La vieillesse

Publié le 28/03/2011

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Ce qui caractérise l'attitude pratique de l'adulte à l'égard des vieillards, c'est sa duplicité. Il se plie jusqu'à un certain point à la morale officielle que nous avons vu s'imposer dans les derniers siècles et qui lui enjoint de les respecter. Mais il a intérêt à les traiter en êtres inférieurs et à les convaincre de leur déchéance. Il s'attachera à faire sentir à son père ses déficiences, ses maladresses, afin que le vieil homme lui cède la direction des affaires, lui épargne ses conseils et se résigne à un rôle passif. Si la pression de l'opinion l'oblige à assister ses vieux parents, il entend les gouverner à sa guise : il y aura d'autant moins de scrupules qu'il les pensera plus incapables de se diriger seuls. C'est d'une manière sournoise que l'adulte tyrannise le vieillard qui dépend de lui. Il n'ose pas franchement lui donner des ordres, car il n'a pas droit à son obéissance : il évite de l'attaquer de front, il le manœuvre. Il allègue son intérêt bien entendu. Toute la famille se fait complice. On use la résistance de l'aïeul, on l'accable de prévenances qui le paralysent, on le traite avec une bienveillance ironique, on lui parle en bêtifiant et même on échange par-dessus sa tête des coups d'œil entendus, on laisse échapper des mots blessants. Si la persuasion, les ruses échouent à le faire céder, on n'hésite pas à lui mentir ou à recourir à un coup de force. Par exemple, on le convainc d'entrer provisoirement dans une maison de retraite et on l'y abandonne. La femme, l'adolescent qui vivent dans la dépendance économique d'un homme adulte ont plus de défense que le vieillard : l'épouse rend des services ; l'adolescent deviendra un homme qui pourra demander des comptes ; le vieil homme ne fera que descendre vers la décrépitude et la mort ; il ne sert à rien. Pur objet encombrant, inutile, tout ce qu'on souhaite c'est de pouvoir le traiter en quantité négligeable. Les intérêts en jeu dans cette lutte ne sont pas seulement d'ordre pratique, mais aussi d'ordre moral : on veut que les vieilles gens se conforment à l'image que la société se fait d'eux. On leur impose des contraintes vestimentaires, une décence de manières, un respect des apparences. C'est surtout dans le domaine sexuel que s'exerce la répression. Quand dans l'ADOLESCENT le vieux prince Sokolski pense à se remarier, sa famille monte la garde autour de lui, pour des questions d'intérêt, mais aussi parce que l'idée la scandalise. On menace de le mettre dans un asile d'aliénés : on finit par le séquestrer : il en meurt. J'ai connu des drames analogues dans les familles bourgeoises de ce siècle. A l'égard de leur mère, les filles éprouvent souvent du ressentiment et leur attitude est analogue à celle des fils avec leur père. Les affections les moins ambivalentes sont celles que la fille éprouve pour son père, le fils pour sa mère. Quand l'ascendant qu'ils chérissent est devenu vieux, ils sont capables de se dévouer pour lui. Mais s'ils sont mariés, l'influence de leur conjoint limite souvent leur générosité. Quand l'adulte n'a pas de lien personnel avec eux, les vieillards suscitent chez lui un mépris teinté de dégoût : on a vu comment au cours des siècles les auteurs comiques ont exploité ce sentiment. L'homme âgé apparaissant au plus jeune comme sa caricature, il s'amuse à le caricaturer, afin de s'en désolidariser par le rire. Il entre parfois du sadisme dans cette dérision. J'ai été déconcertée quand j'ai vu à New York le célèbre cabaret où chantent et dansent en relevant leurs jupes d'affreuses octogénaires. Le public s'esclaffait : que signifiait au juste cette hilarité ?  

Aujourd'hui les adultes s'intéressent au vieillard d'une autre manière : c'est un objet d'exploitation. Aux U.S.A. surtout, mais aussi en France, se multiplient des cliniques, maisons de repos, résidences, des villes même et des villages où l'on fait payer le plus cher possible aux personnes âgées qui en ont les moyens un confort et des soins qui laissent souvent à désirer. Simone De Beauvoir, La vieillesse. 1. Ce texte comprend 727 mots. Vous le réduirez au quart, soit 181 mots ; une marge de 10 % en plus ou en moins étant admise, votre résumé n'aura pas moins de 163 mots ni plus de 200. Vous indiquerez, à la fin, le nombre de mots qu'il comporte. 2. Vous expliquerez les mots et expressions en italique : ses déficiences ; il entre parfois du sadisme dans cette dérision; cette hilarité. 3. Partagez-vous l'opinion de l'auteur qui estime que, dans la société moderne, les vieillards sont des objets de rebut ? Vous développerez votre point de vue à l'aide d'exemples précis empruntés à la vie quotidienne et à la littérature.

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« Soumis d'autre part de se conformer à une image imposée, le vieillard se voit refuser, par exemple, tout droit à unevie sexuelle. Enfin, les affections filiales les plus solides se voient freinées par la présence d'un conjoint. Quant aux vieillards avec lesquels ils n'ont aucun lien privilégié, les adultes les considèrent comme leur proprecaricature et pour conjurer cette future image d'eux-mêmes, ils les traitent par le mépris et la dérision, allant parfoisjusqu'au sadisme. Si aujourd'hui les adultes s'intéressent aux vieillards, c'est comme source de profit, grâce aux centres de soins etd'hébergement spécialisés.

(188 mots) VOCABULAIRE • ses déficiences : ses faiblesses, ses insuffisances.

L'adulte s'efforce de montrer au vieillard qu'il n'a plus les forcesphysiques et intellectuelles de -sa maturité, afin de s'assurer un pouvoir sur lui. • il entre parfois du sadisme dans cette dérision : le sadisme (nom qui vient du Marquis de Sade, auteur du XVIIIesiècle ) est le plaisir de voir ou de faire souffrir quelqu'un.

Simone de Beauvoir remarque que dans le fait de voirsouffrir des vieillards nous trouvons parfois un plaisir cruel. • cette hilarité : l'hilarité est une gaieté bruyante, une explosion de rire.

L'auteur s'interroge sur les fondements réels de ce rire face aux vieillards qui, comme elle le dit plus haut, n'est pasexempt de cruauté. DISCUSSION : PLAN DÉTAILLÉ Introduction Simone de Beauvoir donne de l'attitude des adultes face aux vieillards une vision particulièrement noire.

Presquetoute cette attitude ne serait que volonté de puissance, mépris, abandon ou dérision.

On peut s'interroger sur lesréalités qui permettent d'avancer une telle opinion, et se demander s'il n'existe pas d'autres attitudes face auxvieillards dans la société d'aujourd'hui. I.

Ce qui peut étayer une semblable vision. 1.

Le désir de l'adulte d'éliminer un vieillard gênant. L'adulte peut vouloir prendre la place du vieillard dans la société ; c'est ainsi qu'un fils voudra remplacer son père àla direction d'un commerce, d'une affaire, voire d'un royaume.

La littérature a traité souvent ce thème : cf.

Le RoiLear de Shakespeare, trahi par ses filles. 2.

Le vieillard peut paraître une charge dès qu'on n'a plus besoin de lui, et il est alors abandonné : cf.

l'exemplecélèbre du Père Goriot de Balzac qui se sacrifie pour ses filles et qu'elles laissent mourir seul dans la misère ; cf.aussi les trop nombreux vieillards qui n'ont plus de visites dans les hôpitaux ou les maisons de retraite, ou ceux quivivent isolés du monde dans leur logement. 3.

Le vieillard objet de dérision. L'Homme a tendance à se moquer de ce qui est différent de lui, des nains, des infirmes ; il se moque donc aussi desvieillards, de leur aspect physique, de leurs déficiences mentales. C'est un thème fréquent dans la littérature : chez Aristophane (auteur comique grec) on trouve des vieillardsridicules (Les Nuées, Les Guêpes), chez Molière, le vieillard incarne parfois la sottise (Madame Pernelle dansTartuffe), l'égoïsme (Géronte dans Les Fourberies de Scapin), et V.

Hugo traduit ainsi le mépris que l'on peut porterà un vieillard (il s'agit d'Eviradnus, « un vieux preux ») : « Ladislas bondit, hurle, ébauche une huée Grince des dents et rit, et comme la nuée Résume en un éclair le gouffrepluvieux, Toute sa rage éclate en ce cri : "C'est un vieux !" » (La Légende des Siècles, « Eviradnus »). II.

Les nuances à apporter. 1.

Dans la littérature, le vieillard apparaît souvent comme le sage, celui qui a l'expérience de la vie : cf.

lepersonnage de Socrate chez Platon et en particulier celui de l'Apologie de Socrate et du Phédon, et chez V.

Hugoon trouve à plusieurs reprises l'éloge du vieillard : «Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

». »

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