TEILHARD DE CHARDIN: LE CHRIST, DIEU DU PROGRÈS (Oeuvres, Seuil, tome VI)
Publié le 06/02/2011
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Pour justifier une perspective si naturellement harmonieuse, nous n'avons eu recours à aucune philosophie. Ni explicitement, ni implicitement ne s'est introduite dans nos développements la notion de mieux absolu, ou celle de causalité, ou celle de finalité. Une loi de récurrence expérimentale, une règle de succession dans la durée, voilà tout ce que nous présentons à la sagesse positiviste de notre siècle. Non point une métaphysique, répétons-le, mais une Ultra-physique. Et cependant aussi, voilà ce qu'il me reste à dire, une Mystique et une Religion. Nous n'avons pas, jusqu'ici, écrit ce mot. Mais ceux qui m'auront suivi au cours de ces pages n'auront pas manqué depuis longtemps de le prononcer. Comme toute autre forme d'adhésion à une espérance cosmique, la doctrine de l'Univers Personnel a précisément les caractères d'universalité et de foi qui sont, au grand sens du mot, la définition de la Religion. Mais par surcroît la Religion qu'elle introduit se présente avec deux caractères associés qui semblaient devoir s'opposer toujours, pour leur mutuel détriment, dans les constructions religieuses : personnalisme et panthéisme. Une pareille attitude est-elle pratiquement possible ? Oui, dirai-je. Et la preuve en est qu'elle se trouve déjà virtuellement réalisée et vécue dans le Christianisme. Qu'on me croie ou non, les conceptions renfermées dans le présent Essai, bien qu'influencées (c'est évident) par l'Évangile, ne sont pas nées dans mon esprit de la partie spécifiquement chrétienne de moi-même. Elles sont plutôt apparues en antagonisme de celles-ci ; et elles en sont si bien indépendantes que je me trouverais singulièrement gêné dans ma foi si quelque opposition venait à se dessiner entre elles et le dogme chrétien. Mais en fait (au prix je l'avoue de quelques luttes) c'est le contraire jusqu'ici qui s'est toujours produit. Loin de contrarier mes tendances panthéistes profondes, le Christianisme, bien compris, n'a jamais cessé, précisément parce que sauveur du Personnel, de les guider, de les préciser, et surtout de les confirmer en leur apportant un objet précis et un début de vérification expérimentale. Je m'explique. Le Christianisme est par excellence la Religion de la personne. Religion de la personne, il l'est même à un si haut degré qu'il risque, à l'heure qu'il est de perdre son influence sur l'âme moderne par l'espèce d'incapacité qu'il montre de comprendre les liaisons organiques qui font l'Universel. Pour les neuf dixièmes de ceux qui le voient du dehors, le Dieu chrétien apparaît comme un grand propriétaire administrant ses terres : le Monde. Or cette figure conventionnelle, justifiée par trop d'apparences ne répond en rien au fond du dogme ni de l'attitude évangéliques. Et voici pourquoi l'essence du Christianisme, ce n'est ni plus, ni moins que la croyance à l'unification du Monde en Dieu par l'Incarnation. Tout le reste n'est qu'explication ou représentations secondaires. Ceci posé, aussi longtemps que la société humaine n'avait pas franchi le stade familial « néolithique « de son développement (c'est-à-dire jusqu'à l'aurore de la phase scientifique-industrielle moderne) il est clair que l'Incarnation ne pouvait trouver, pour s'exprimer que des symboles de nature juridique. Mais depuis la découverte contemporaine des grandes unités, et des vastes énergies cosmiques, une signification nouvelle, plus satisfaisante, commence à se dessiner pour les paroles anciennes. Pour être alpha et oméga, le Christ, doit sans perdre sa précision humaine, devenir coextensif aux immensités physiques de la Durée et de l'Espace. Pour régner sur terre, il doit sur-animer le Monde. En lui, dès lors, de par toute la logique du Christianisme, le Personnel s'épanouit (ou plutôt il se centre) jusqu'à devenir Universel. N'est-ce pas là précisément le Dieu que nous attendons ? Je n'irai pas jusqu'à dire que cette renaissance religieuse soit encore consciente d'elle-même. En tous domaines, c'est au moment de se briser que les vieux cadres résistent le plus. Mais l'expérience que j'ai du Christianisme me permet d'affirmer ceci : quelles que soient les formules qui se maintiennent encore, la transformation dont je parle est déjà faite dans les parties les plus vivaces de l'organisme chrétien. Sous un pessimisme, un individualisme, ou un juridisme de surface, le Christ-Roi d'aujourd'hui est déjà adoré par ses fidèles comme le Dieu du Progrès et de l'Évolution.
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