Travail manuel et travail intellectuel.

L'idée importante, au sujet du travail manuel, est celle-ci : quel que soit un travail, humble ou relevé, ce travail peut être bien ou mal fait. Il y a une manière adroite et belle de creuser une tranchée et une manière maladroite et laide, comme il y a une manière sérieuse et passionnée de préparer une conférence, et une manière négligente. Une dactylographe peut produire une copie médiocre ou une copie admirable : cela dépend de sa frappe, des soins qu'elle donne à sa machine, de la symétrie des titres, de la mise en page, de l'attention avec laquelle elle se relit. Si elle se donne pour but de faire sa tâche un peu mieux qu'il n'est indispensable, aussitôt elle devient une artiste et se voit récompensée d'un effort gratuit par un bonheur durable et vif. Car ce travail supplémentaire, elle ne l'a pas fait pour un chef ; elle l'a fait pour elle-même, pour l'honneur, pour le luxe ; elle l'a donc fait librement. Tout travail fait de bon cœur laisse à celui qui le fait une marge de liberté. Le plaisir du travail peut devenir si complet qu'il en arrive à remplacer tous les autres. Pour moi, lorsque j'essaie d'imaginer un Paradis, je ne puis le concevoir comme un lieu de Loisirs éternels où des âmes ailées et désœuvrées chanteraient en jouant de la harpe, mais comme un cabinet de travail où, éternellement, je travaillerais à quelque roman admirable, infini, avec cette force allègre et cette certitude que, sur la terre, je n'aurais connues qu'en de bien rares minutes. Le Paradis du jardinier est un jardin, et celui du menuisier un établi. Un bel exemple de l'union du travail manuel et du travail intellectuel, c'est, quand il est fait avec amour, le travail de la ménagère. Une femme qui gouverne bien sa maison y est à la fois reine et sujette. Elle conçoit et souvent exécute elle-même ce qu'elle a conçu. Elle est, pour son mari et pour ses enfants, celle qui rend le travail possible. Elle les préserve des soucis ; elle les nourrit ; elle les soigne. Elle est ministre des finances et c'est grâce à elle que le budget du ménage est en équilibre. Elle est ministre des beaux-arts et c'est grâce à elle que la maison ou l'appartement ont quelque charme. Elle est ministre de l'éducation familiale et c'est grâce à elle que les garçons entrent à Polytechnique et que les filles sont cultivées. Une femme devrait être aussi fière de réussir à faire de son ménage un petit monde parfait que le plus grand homme d'État d'avoir organisé un pays. Le Maréchal Lyautey disait, avec raison, que les questions d'échelle n'ont aucune importance. Ce qui est parfait est parfait, quelles qu'en soient les dimensions. Le travail de la ménagère, hors des classes trop riches, est le plus dur et il n'est guère, pour les femmes, de repos. La semaine des deux dimanches est, à leurs yeux, la semaine où elles peuvent, après le travail de l'atelier, donner deux jours au ménage, à la lessive, au raccommodage, aux enfants. Il y a toujours dans une famille, dans un trousseau, quelque chose urgente qui doit être faite. Ajoutez les soucis de n'être pas trop laide, de s'habiller décemment, de se cultiver. Vraiment ce métier de femme, s'il est bien fait, laisse peu de loisirs, mais il est aussi l'un de ceux où le travail trouve une récompense immédiate. Rien de plus beau que de voir comment, en quelques jours, une vraie femme, avec très peu d'argent et beaucoup de cœur, transforme un taudis en paradis. C'est ici le point d'intersection de l'art de travailler et de l'art d'aimer. André Maurois, Un art de vivre, 1953.

1. Vous ferez de ce texte, en respectant son mouvement, un résumé en 160 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est admise. Vous indiquerez sur votre copie le nombre de mots que vous aurez utilisés.

2. Vous expliquerez le sens dans le texte des mots et expressions suivants : — une marge de liberté, — les questions d'échelle. 3. « Le Paradis du jardinier est un jardin, et celui du menuisier un établi «. Quel sens donnez-vous à cette formule et quelles réflexions vous suggère-t-elle ?