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Un cinéma d'autrefois

Publié le 23/04/2011

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   Le spectacle était commencé. Nous suivions l'ouvreuse en trébuchant ; au-dessus de nos têtes, un faisceau de lumière blanche traversait la salle ; on y voyait danser des poussières, des fumées; un piano hennissait, des poires violettes luisaient au mur, j'étais pris à la gorge par l'odeur vernie d'un désinfectant... Je raclais mon dos à des genoux, je m'asseyais sur un siège grinçant ; enfin je regardais l'écran. Je découvrais une craie fluorescente, des paysages clignotants, rayés par des averses ; il pleuvait toujours (1), même dans les appartements ; parfois un astéroïde en flammes traversait le salon d'une baronne sans qu'elle parût s'en étonner. J'aimais cette pluie, cette inquiétude sans repos qui travaillait la muraille. Le pianiste attaquait l'ouverture des Grottes de Fingal et tout le monde comprenait que le criminel allait paraître : la baronne était folle de peur. Mais son beau visage charbonneux cédait la place à une pancarte mauve : « Fin de la première partie. « C'était la désintoxication brusquée, la lumière. Où étais-je? Dans une école? Dans une administration? Pas le moindre ornement : des rangées de strapontins laissaient voir, par en dessous, leurs ressorts; des murs barbouillés d'ocre. Des rumeurs touffues remplissaient la salle, on réinventait le langage, l'ouvreuse vendait à la criée des bonbons anglais. Les gens se frottaient les yeux, chacun découvrait ses voisins. Des soldats, des bonnes du quartier ; des ouvrières en cheveux riaient très fort : tout ce monde n'était pas de notre monde ; heureusement, posés de loin en loin sur ce parterre de têtes, de grands chapeaux palpitants rassuraient.    Jean-Paul Sartre, les Mots (1964).    Sous la forme d'un commentaire composé, vous étudierez les impressions de l'enfant, le ton et l'attitude de l'adulte, évoquant avec pittoresque un souvenir.    (1) « Il pleuvait toujours illusion due à des qualités techniques insuffisantes.

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