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Une alouette Ingénieuse. Julien Savignac

Publié le 21/06/2011

Extrait du document

Dès le matin, les troupeaux de Grangelourde viennent boire à la Mare-aux-Chardonnerets; puis on les pousse au large, et l'eau, un moment troublée, vaseuse, redevient calme et d'une limpidité de cristal. Alors arrivent, des potagers de la ferme et des profondeurs de la lande, en chantonnant, en voletant, en décrivant toutes sortes de courbes gracieuses, des bandes d'oiseaux. Chardonnerets, linottes, verdiers, boivent, se becquètent, se baignent, s'en vont, reviennent, repartent et reparaissent encore. C'est jusqu'au soir, autour de la mare, des pépiements, des chants, des cris d'amour, des bruits d'ailes. Nous arrivions juste au moment propice pour faire une bonne chasse : il allait être midi, heure où les oiseaux, épuisés de fatigue et accablés de chaleur, aiment à folâtrer autour de l'eau. Pour les empêcher de boire, nous nous mîmes à, former aux bords de la mare un rempart de grosses pierres abandonnées par d'autres oiseleurs, laissant çà et là comme des petites portes, où nous affermîmes nos gluaux. Cela fait, nous courûmes nous cacher à trente pas dans un taillis de jeunes châtaigniers, et nous attendîmes, le regard fixe et l'oreille en éveil. Je me souviens de l'incroyable contentement que j'éprouvais, couché à côté de mon ami dans cette lande sauvage. Malgré le soleil qui dardait d'aplomb et me faisait bouillir la cervelle dans la tête, j'avais des tressaillements de joie que je n'étais pas maître de réprimer. L'air de la liberté me grisait. « Qu'as-tu donc ? me demanda Sauvageol à voix basse. — Rien : je suis heureux! — Reste tranquille; tes mouvements empêchent les oiseaux d'approcher.... Oh! voici une alouette.... Chut ! « Il disait vrai : une alouette huppée, de celles qu'on appelle dans le pays « coquillades «, était arrivée tout d'un vol aux abords de la mare. Je me raidis comme un pieu, et ne bougeai plus. Cependant, rien ne nous assurait que, pour boire, cette pimpante petite bête allât passer par nos portes étroites. L'alouette a une finesse extrême pour deviner les pièges, et des ruses merveilleuses pour les éviter. Certainement, c'est de tous les oiseaux le plus difficile à engluer. Tandis que le chardonneret se jette étourdiment sur les gluaux, que le verdier se prend bêtement les ailes en voulant tourner l'obstacle, que la linotte perd la tête et cabriole dans l'eau, les pattes collées au bec, l'alouette, qui a vu le danger, boit en rasant l'eau comme l'hirondelle, et s'en va, jetant à l'oiseleur penaud quelques notes pleines d'une suprême ironie. C'est un des moyens ordinaires dont elle use pour éviter la glu ; mais elle en a de plus spirituels encore, et, cette fois, notre alouette mit en oeuvre, pour nous échapper, tout une série d'idées bien capables d'humilier l'homme, cet autocrate superbe et naïf de l'intelligence. Du premier coup d'oeil, elle jugea la situation : on voulait l'empêcher de boire. Elle fit le tour de la mare pour s'assurer si les abords en étaient défendus. Convaincue qu'il ne restait aucune brèche que les brèches dangereuses, elle se retira sur un petit plat de sable, à deux pas de l'eau. Elle resta là quelques minutes, chauffant son ventre au soleil, silencieuse, méditative, se battant de temps à autre la tête du bout de l'aile, comme un philosophe aux abois qui se donnerait des coups de poing pour faire jaillir des idées de son cerveau. Enfin, elle revint à la mare, se dirigeant droit sur nos gluaux. Je retins mon haleine pour faire moins de bruit. L'alouette avançait toujours, redressant sa petite huppe et grésillant. Dieu! elle était arrivée à l'endroit fatal; pour peu qu'elle inclinât sa jolie tête, elle était perdue! La fine bête le comprit, et, par un léger battement d'ailes, fit un saut en arrière. Elle fut un instant immobile et sembla hésiter. Pourtant elle ne pouvait partir sans avoir bu! Elle revint vers l'eau ; cette fois, lentement, posément. Elle marcha de ce pas réfléchi jusqu'à l'une de nos petites ouvertures; puis, là, par une pirouette -rapide tournant la tête vers la lande et jetant la queue sur le gluau, elle entraîna celui-ci à travers le sable, ayant soin de ne pas déployer ses ailes de peur de les embarrasser. Tant qu'elle sentit les plumes de sa queue alourdies par le fardeau qu'elles traînaient après elles, l'alouette alla à travers le sable, sans repos et sans trêve. Enfin, le gluau, terreux, chargé de brindilles de genévriers, se détacha. L'oiseau, libre, but et s'envola. Cette manoeuvre rusée avait eu tout l'intérêt d'un drame; mais le dénouement ayant tourné contre nous, Sauvageol traduisit son désappointement par un juron énergique. Il se leva de mauvaise humeur, alla fixer un nouveau gluau à la porte si adroitement forcée par l'alouette, et revint se coucher dans le taillis, marmottant entre ses dents : « Quel tour cette coquine nous a joué! quel tour! «

(Julien Savignac, Fasquelle ,édit.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. - L'ensemble. — Un récit qui contient tout un petit drame. - Dans quel lieu l'action se déroule-t-elle? (montrer l'animation du gracieux tableau qu'offrent les bords de la Mare-aux-Chardonnerets); En quoi consiste l'intérêt, dans ce petit drame? (Les deux jeunes oiseleurs se réjouissent à l'avance...; ce sentiment est-il partagé par le lecteur ?...) Quelle en est l'héroïne? Quel but s'est proposé l'auteur? (montrer l'intelligence de l'alouette... ; l'élève remarquera que chaque geste, chaque attitude, chez l'alouette, correspond à une idée, et il indiquera avec précision la série d'idées qu'elle met à exécution); Quelles réflexions vous suggère cette lecture ?

II. — L'analyse du morceau. - Distinguez les différentes parties du morceau : a) Le gracieux tableau de la Mare-aux-Chardonnerets après le départ des troupeaux; b) Les deux oiseleurs; la pose des gluaux (1er scène) ; c) L'arrivée de l'alouette (2° scène); d) Remarques de l'auteur sur la finesse de l'alouette; e) Gestes et attitude de l'oiseau (3° scène); f) Sa ruse suprême (4e scène, — celle du dénouement); g) Désappointement des oiseleurs; Quels sont les oiseaux qui viennent boire à la Mare-aux-Chardonnerets? Dites avec précision comment les oiseleurs posaient leurs gluaux; Montrez que l'alouette met en oeuvre des idées capables d'humilie l'homme; Comment s'y prit-elle pour réaliser son stratagème? (bien détailler ses mouvements).

III. — Le style ; — les expressions. — Montrez la pureté et le charme du style; Relevez quelques phrases qui rendent bien l'animation et la grâce des oiseaux; Faites remarquer que l'allure du style est en rapport avec la vivacité ou la lenteur des mouvements de l'alouette (Elle était arrivée tout d'un vol aux abords de la mare... ; elle boit en rasant l'eau... ; — elle revint vers l'eau; cette fois, lentement, posément...); Quel est le sens de ces expressions : les potagers de la ferme, — la lande sauvage, — une pirouette rapide?

IV. — La grammaire. — Indiquez les mots de la même famille que gluaux et taillis; Trouvez un synonyme de haleine, de désappointement; 3° Quel est le sujet et quels sont les compléments de arrivent (2e phrase du morceau)? Nature de chaque complément.  

Rédaction. — Relatez, avec précision, un acte d'intelligence que vous aurez remarqué chez un petit animal.

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