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LA CRITIQUE D'ART DE DIDEROT

Publié le 17/01/2022

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Nous avons dit également, dans notre chapitrer de cette 3e partie, que Diderot n'avait pas créé la critique d'art. Ce qui est vrai c'est qu'avant lui elle n'avait été le fait que de théoriciens plus ou moins philosophes ou de libellistes qui écrivaient médiocrement ou mal. Il est seulement le premier à lui avoir donné des qualités littéraires et une vie inconnues avant lui. Nous avons également montré, dans notre Introduction et dans notre étude sur la conception qu'a Diderot du génie, qu'il ne s'accorde guère avec lui-même et qu'il est souvent entraîné par des impulsions contradictoires. Ici encore il est sage de le suivre successivement dans ces directions divergentes sans prétendre y découvrir une unité cachée. e Je loue, je blâme, dit-il, dans le Salon de 1767, d'après ma situation particulière qui ne fait pas loi « ; d'autant plus que cette situation particulière est sans cesse changeante et liée à une humeur et à des enthousiasmes fort instables.

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« continence et de chasteté.

S'il admire les homélies peintes de Greuze il ne peut pas oublier que son modèle préféréest cette Mme Greuze, qu'il abordait, quand elle était dans la boutique de son père, le libraire Babuti, en luidemandant, d'un air désinvolte, la Religieuse en chemise et à qui il aurait pu demander, dix ans plus tard, les Bijouxindiscrets.

Ce Diderot-là commente la jeune fille pleurant son oiseau mort, dudit Greuze, en insistant, pendant deuxpages, avec un sourire égrillard sur ce qu'elle a perdu, et qui n'est pas un serin et sur les consolations qu'on peutoffrir quand il ne s'agit pas d'un serin.

Ce Diderot écoute Greuze lui dire : « Je voudrais bien peindre une femmetoute nue, sans blesser la pudeur.

» Et il lui propose un sujet si pudique que ce n'est pas Greuze qui le peint, maisBaudouin ; et l'on pense bien que Baudouin, à la grande indignation de Diderot, y a mis autre chose que de lachasteté.

Malgré tout, le Diderot prédicateur parle plus haut et bien plus souvent que le Diderot galant et sensuel.Le premier prend le second à témoin qu'il en a assez de voir tant de tétons et de fesses et souhaite que la peintureet la sculpture concourent à épurer les moeurs.

« La peinture a cela de commun avec la poésie, et il semble qu'onne s'en soit pas encore avisé, que toutes deux elles doivent être bene moratae.

» « Question qui n'est pas aussiridicule qu'elle le paraîtra peut-on avoir le goût pur, quand on a le coeur corrompu ? » C'est parce qu'il n'a pas lecoeur corrompu qu'il est l'ennemi déclaré de peintres tels que Boucher ou Baudouin, pour des raisons esthétiques,parce que leur couleurs sont fausses, parce que leurs dieux et déesses, bergers et bergères sont conventionnels ;mais tout autant pour des raisons morales parce qu'ils ne se soucient, en réalité, que de montrer des fesses et destétons.

Mais Greuze, lui, eut « le premier qui se soit avisé, parmi nous, de donner des moeurs à la peinture — il n'endonna point, hélas à sa femme qui le ridiculisa et le ruina — et d'enchaîner des événements d'après lesquels il seraitfacile de faire un roman...

» ; un roman vertueux bien entendu.

De là son admiration pour des tableaux tels que Lefils ingrat — Le fils puni — La piété filiale — La fiancée de village — La bonne mère — Les heureux époux — Un père[de village] qui vient de payer la dot de sa fille, etc...

Il les a commentés, d'ailleurs avec un rare talent, comme ilaurait écrit un de ces contes moraux qui faisaient alors fureur Le sujet est pathétique et l'on se sent gagner d'uneémotion douce en le regardant.

» Le choix des sujets « marque de la sensibilité et de bonnes moeurs ».

« Quoi donc! le pinceau n'a-t-il pas été assez et trop longtemps consacré à la débauche et au vice ? Ne devons-nous pas êtresatisfaits de le voir concourir enfin avec la poésie dramatique à nous toucher, à nous instruire, à nous corriger et ànous inviter à la vertu ? Courage, mon ami Greuze ; fais de la morale en peinture et fais-en toujours comme cela.

»Greuze est "son peintre".

L'idée des beaux-arts est si bien liée chez lui à l'idée de morale que ses méditations sur lesalon de 1767 le conduisent à composer et à insérer dans son salon une * Satire contre le luxe, à la manière dePerse » qui a six grandes pages.Il n'est d'ailleurs pas indispensable pour qu'une oeuvre d'art intéresse Diderot qu'elle suscite des émotions morales.

Ilsuffit qu'elle soulève quelqu'une de ces grandes émotions sans lesquelles Diderot ne saurait vivre et qui sont pour lui— quand il ne s'efforce plus d'être raisonneur et philosophe — la source de toute œuvre de génie, drame, musique,poésie, peinture, sculpture.

Il lui arrivera même, par amour des u grands ébranlements de l'âme », de renier samorale et de reprendre, à propos de peinture (Salon de 1765), son paradoxe que rien ne compte que les grandesénergies et qu'on ne saurait supprimer les grands crimes sans supprimer en même temps la force qui fait les grandesactions.

Heureusement il n'a pas toujours besoin de se poser des problèmes aussi troublants.

Il lui suffit de se laisseraller aux mouvements de son âme en présence de tableaux qui lui sont aussi chers que ceux de Greuze.

JosephVernet aussi est "son peintre" tout autant que Greuze.

Et, à côté, mais au-dessous de Vernet, il y a Hubert Robertet ses ruines, Loutherbourg et ses marines, tous ceux qui ont créé une peinture préromantique avant même qu'il yeût une littérature préromantique, qui ont célébré la montagne violente, la mer tempétueuse, les ruinesmélancoliques avant la montagne de Rousseau, la mer de Bernardin de Saint-Pierre, les ruines de Volney ou deChateaubriand.

"Le grand paysagiste, écrit-il, dans ses Pensées détachées sur la peinture, a son enthousiasmeparticulier ; c'est une espèce d'horreur sacrée.

Ses antres sont ténébreux et profonds ; ses rochers escarpésmenacent le ciel ; les torrents en descendent avive fracas, ils rompent au loin le silence auguste de ses forêts.L'homme passe à travers de la demeure des démons et des dieux.

C'est là que l'amant a détourné sa bien-aimée,c'est là que son soupir n'est entendu que d'elle.

C'est là que le philosophe, assis ou marchant à pas lents, s'enfonceen lui-même.

Si j'arrête mon regard sur cette mystérieuse imitation de la nature, je frissonne."Ce grand paysagiste, c'est Joseph Vernet, le peintre romanesque et inépuisable qui garnissait justement de rochersescarpés, d'antres ténébreux, de torrents blanchissants, de tempêtes dévastatrices, de clairs de lunes, les salons,galeries et cabinets de tous les financiers et bourgeois enrichis : « Quels effets incroyables de lumière ! les beauxciels quelles eaux ! quelle ordonnance ! quelle prodigieuse variété de scènes ! Ici, un enfant échappé du naufrageest porté sur les épaules de son père ; là, une femme étendue, morte sur le rivage, et son époux qui se désole.

Lamer mugit, les vents sifflent, le tonnerre gronde ; la lueur sombre et pâle des éclairs perce la nue, montre et dérobela scène.

On entend le bruit des flancs d'un vaisseau qui s'entr'ouvre.

» Vernet est e le Jupiter de Lucien qui, lasd'entendre les cris lamentables des humains, se lève de table et dit : "De la grêle en Thrace..." et l'on voit aussitôtles arbres dépouillés, les moissons hachées et le chaume des cabanes dispersé ; "la peste en Asie..." et l'on voit lesportes des maisons fermées, les rues désertes et les hommes se fuyant ; « ici un volcan...

» et la terre s'ébranlesous les pieds, les édifices tombent, les animaux s'effarouchent et les habitants des villes gagnent les campagnes ;"une guerre là..." et les nations courent aux armes et s'entr'égorgent ; "en cet endroit une disette..." et le vieuxlaboureur expire sur sa porte e.

Au salon de 1767, sept grands tableaux de Vernet.

Mais, pour Diderot, ce ne sontplus sept tableaux, mais sept paysages, sept e sites à travers lesquels le promène l'instituteur des enfants de tamaison qui a choisi les plus beaux, les plus favorables par leur variété, leur grandeur, leurs contrastes, leurslumières, à la contemplation éblouie, à la méditation vagabonde et exaltée : "J'étais immobile, mes regards erraientsans s'arrêter sur aucun objet ; mes bras tombaient à mes côtés.

J'avais la bouche entrouverte.

Mon conducteurrespectait mon admiration et mon silence." Quand il sort de ce silence c'est pour se répandre en réflexions sur lessecrets du peintre, l'ordre mystérieux et fatal de la Nature, les délices de la vie aux champs, l'insaisissable définitiondu Beau, la définition de la vertu, la relativité de la morale, les rapports de la "verve" et de la poésie, de l'état ducorps et de l'état de l'âme, des conditions qui font la terreur et le sublime, etc...Aussi bien les ruines d'Hubert Robert sont pour lui le prétexte d'une longue méditation lyrique sur les émotions. »

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