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Le cinéma intimiste

Publié le 24/11/2018

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UNE REVOLUTION ESTHETIQUE ET MORALE

 

Dévoiler les secrets des corps, donner à voir les souvenirs, les rêves, les obsessions parfois, explorer ce qui s'accomplit au plus intime d'une rencontre fut l'une des principales révolutions esthétiques et morales de l'histoire du cinéma.

 

Ce fut aussi un événement considérable dans le monde du spectacle public, qui, à travers ses différents genres, avait longtemps rusé avec l'intimité. Forcément comique, graveleuse, ou au contraire grandiose, elle pouvait s'aborder dans le monde solitaire et silencieux du roman mais échappait à la représentation publique.

 

Prolongeant et exacerbant un mouvement qui s'esquisse chez les dramaturges Scandinaves de la fin du XIXe siècle, le cinéma impose cette révolution en moins de cinquante ans, en usant de ses moyens et de ses ressources propres. Il joue sur l'obscurité de la salle de projection et sur l'illusion de la proximité des corps pour offrir, quelquefois avec scandale, le spectacle bouleversant de l'intimité humaine. Crise intérieure, rencontre, sensualité sont les grands thèmes de ce genre à part entière.

L'HÉRITAGE DU THÉÂTRE

Que se passe-t-il sous la tente d'Achille, le capricieux héros de L'Iliade? Pourquoi le décor des tragédies classiques est-il toujours planté dans l'antichambre, cet espace intermédiaire qui ne nous laisse qu'imaginer celui de la chambre voisine? La représentation publique de la vie humaine s'est longtemps heurtée à une intimité qui posait problème et exigeait un traitement particulier. Comme la mort, l'union des corps n'était pas représentable, elle ne pouvait guère être évoquée qu'en riant à travers le masque de la comédie et des bons mots : d'Aristophane à Molière, en passant par les fabliaux médiévaux et Shakespeare, le corps affleure mais reste masqué.

 

Quant à ce que l'on nomme aujourd'hui l'«intériorité», c'est une dimension de l'être humain qui ne s'est pleinement déployée que très tard : les angoisses de Hamlet, les fantômes qui hantent Richard III dans les pièces de Shakespeare restent encore proches des monologues tragiques où le style sublime vient à la rescousse de la difficulté à fixer et à exprimer les émotions intérieures. Non qu'elles n'existent pas, mais on pourrait dire qu'avant Rousseau elles n'ont pas encore trouvé de langage qui leur permette vraiment de s'exprimer et de se reconnaître. 

« PASSIONS ORIENTALES Les réalisateurs d'Extrême-Orient ont japonais trouvent leur force dans leur abordé le thème de l'intimité à leur capacité à jouer sur le silence, central manière.

Avec Les Amonts crucifiés dans A Scene at the Seo (sorti en 1991 (1954), le Japonais Ken ji Mizoguchi au Japon) et surtout Dolls (2002) de (1898-1956) ouvre la voie à ce qui Takeshi Kitano.

Du même réalisateur, deviendra la marque de fabrique de on peut citer le policier introverti de mais pour le modèle qu'elle impose : le traitement du personnage, notamment, ouVTe de nouveaux horizons aux réalisateur s qui suivront, en plaçant très haut l'intensité silencieuse et le secret des visages.

l'intimisme nippon : des relations Violent Cap (1989), qui porte à son À L'ITALIENNE difficiles et douloureuses, une part de paroxysme cette vision de l'intimité : • Le néoréalisme des années 1940 et masochisme quelquefois, du drame.

recluse, traversée de bouffées de 1950 s'était aventuré dans les interstices • Cette manière trouve son chef- violence, trouvant une communion de la vie sociale, dans la vie solitaire des d'œuvre avec occasionnelle avec la nature.

humbles et des obscurs (Umberto D., L'Empire des • Si les Japonais ont été des pionniers, 1951, de Vittorio de Sica), mais c'est sens (1975) le cinéma asiatique a découvert depuis au tournant des années 1960 que de Nagisa les années 1970 une forme particulière l'intimisme trouve vraiment sa voie en Oshima : d'intimisme, partagée entre la vision Italie .

Il passe davanta ge par une mise histoire d'une silencieuse d'une harmonie solitaire à distance des conventions que par la relation (Printemps, été, automne , hiver ...

et IIYIAIYI~nA ROMA représentation passionnelle printemps, 2004, du Coréen Kim Ki- sans fard de la qui trouve son duk) et l'amertume brûlante d'une vie humaine.

couronnement dans la mort.

passion (Adieu mo concubine, 1993, La veine sociale • C'est la mort, à nouveau, qui est au du Chinois Chen Kaige).

Avec Happy n'est pas centre de La Balade de Noroyomo Together {1997) de Wang Kar-wai, c'est absente de (1983, Shohei lmamura), dont le récit le sujet tabou de l'homosexualité qui Mamma est articulé autour du voyage d'une est abordé, tandis qu'in the Mood for Roma (1963) grand-mère jusqu'à sa dernière Love (2000, du même Wong Kar-wai) de Pier Paolo demeure.

Du même réalisateur, laisse filer une histoire d'amour Pasolini , mais L'Anguille {1996) est construit sur le inaccomplie et pourtant d'une rare elle s'évanouit dans les films de mutisme d'un homme refusant d'abord intensité.

Le silence, la musique, le jeu Michelangelo Antonioni (L'Awenturo , toute relation avec le monde.

des regards sont au centre de ces 1960 ; La Nuit 1961) et n'apparaît que • Exacerbant les thématiques de histoires nouant pudeur et impudeur, comme un étrange contrepoint chez l'intimité en les poussant jusqu'aux timidité des regards et iVTesse des corps Federico Fellini (La Dolce Vito, 1960 ; limites de la psychologie, ces films -ou l'inverse.

Huit et demi, 1963 ), avec des histoires f--------------,--------------1 déstructurées de rencontres qui n'en ( Le Mécano de la «General" , 1926 ).

Là, un certain minimalisme dans l'expression, l'évidente nécessité du silence permettent au cinéma muet de s'avancer loin dans une direction que le parlant devra réapprendre à explorer.

• Fondamentalement, le cinéma des années «muet>> reste un spectacle auquel participe une foule de specta teurs ; une forme de censure existe, qui va trouver dans le code Hays , dans les Etats-Unis des années 1930 , mais aussi en France , en Italie et en Union soviétique, une formalisation peu ou prou acceptée par tous jusqu'aux années 1950 : on s'embrasse, mais les scènes d'amour en restent à la séduction; quand on meurt , c'est dans le registre héroïque .

Du coMIQUE À L'INTIMISME • La comédie à l'instar du mélodrame apparaissent assez vite comme un écueil dangereux, et, avant les années 1970, rares sont les réalisateurs qui explorent vraiment le registre de l'intimisme à travers ces genres.

• Les films des réalisateurs français d'ava nt-guerre (à l'exception d'Une partie de campagne , 1936, de Jean Renoir ) aussi bien que les comédies anglaises (Robert Hamer) et américaines (Frank Capra, Ernst Lubitsch, Preston Sturges) des années 1950 et italiennes des années 1960 (Di no Risi) vont tous dans le même sens: l'intimité n'est abordée que par le filtre des conventions qui tendent à dépersonnaliser les personnages et à socialiser leurs relations- ce n'est pas un «homme et une femme >>, mais un mari et son épouse, un couple de fiancés ...

• Le cinéma hollywoodien , malgré les conventions et les codes qui l'encombrent, est l 'un des lieux où va s'approfondir la représentation de l'intimité , en détournant la comédie vers le drame.

Les histoire s conjugales du début des années 1950 en donnent un avant-goût, mais c'est dc;ns l'affrontement entre un père et son fils alcoolique dans La Chatte sur un toit brûlant {1958, Richard Brooks), dans la solitude adolescente des films avec James Dean (À l'Est d'Eden , d'Elia Kazan; La Fureur de vivre, de Nicholas Ray, tous deux de 1955) que se met en œuvre une avancée majeure en direction de l'intimité : solitude, détresse, rencontre - et silence, loin du papotage constant de la comédie.

LE MAITRE : BERGMAN • En Europe , le maître incontesté du genre est le Suédois lngmar Bergman (né en 1918), qui fait ses débuts en 1945 avec Crise , avant de donner une série de chefs-d'œuvre explorant l'angoisse , le doute, la solitude, et bien souvent la hantise de souvenirs d'enfance (Fanny et Alexandre , 1983 ).

Le déchirement intérieur, l'humiliation et le regret sont au cœur d 'une œuvre hantée par la maladie (Cris et Chuchotements, 1973 ).

La mise en scène rigoureuse joue sur les plans longs et l'immobilité .

Les personnages sont saisis dans leur difficulté à dire, à vivre ou à être (Le Silence, 1962 ; Persona , 1966; Sonate d 'automne , 1978).

• Bergman est l'auteur d'une œuvre majeure , non seulement en elle-même, sont pas, où, sous les apparences d'une vie sociale festive, des êtres errent dans la solitude.

Cette vocation intimiste est indissociable dans le cinéma italien des années 1960 d'une représentation de cette. »

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