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Je ne connais pour ma part d'autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c'est-à-dire mot après mot, par le cheminement même de l'écriture. Claude Simon.

Publié le 22/02/2012

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Comme en marge de tous ses autres romans publiés aux Éditions de Minuit, Claude Simon est l'auteur d'un livre à part qui vient prendre place dans la collection «Les sentiers de la création» (Skira) : Orion aveugle. Dans ce texte alternent images et récit selon une logique des plus complexes par laquelle ces deux éléments hétérogènes semblent se refléter et surtout s'engendrer l'un l'autre : le texte naît de l'image et l'image du texte. Un début de roman ainsi s'écrit qui constituera l'ébauche d'un roman véritable : Les Corps conducteurs. En tête de Orion aveugle figure un texte manuscrit de Claude Simon reproduit tel quel par l'éditeur. Celui-ci, très bref, est une sorte de préface : Claude Simon y explique la nature particulière de l'ouvrage que le lecteur tient entre les mains Mais plus que cela, Claude Simon consigne en quelques pages sa conception de l'écriture romanesque. Il décrit les «sentiers de la création » qui sont les siens.

« La démarche du romancier change du coup du tout au tout : il n'a plus à raconter un récit progressant en lignedroite du début à la fin de celui-ci.

Il avance comme dans un labyrinthe, celui de son propre langage, parcouranttoujours le même espace, revenant toujours sur les mêmes lieux jusqu'au moment où il lui faut poser le mot «fin ».Le roman n'a plus « d'autre terme que l'épuisement du voyageur explorant ce paysage inépuisable » :«A ce moment se sera peut-être fait ce que j'appelle un roman (puisque, comme tous les romans, c'est une fictionmettant en scène des personnages entraînés dans une action), roman qui cependant ne racontera pas l'histoireexemplaire de quelque héros ou héroïne, mais cette tout autre histoire qu'est l'aventure singulière du narrateur quine cesse de chercher, découvrant à tâtons le monde dans et par l'écriture.»111.

On peut véritablement parler ici d'écriture analogique : les moments de la fiction ne se succèdent plus enfonction de l'intrigue à laquelle ils participent; ils se juxtaposent en raison d'une ressemblance que, de l'un à l'autre,le langage souligne.Même s'il est sans doute celui qui le manie avec le plus de virtuosité et de souffle, Claude Simon est loin d'être leseul écrivain moderne à avoir recours à ce procédé.

L'écriture analogique est en effet l'une des techniques les pluscaractéristiques du nouveau roman.

Alain Robbe-Grillet y a eu recours dès les années 50 avec, par exemple, Dans lelabyrinthe : l'image d'une cité enneigée et l'aventure d'un soldat égaré naissaient de l'extension progressive d'unedescription, celle d'une pièce close, envahie par la poussière, et habitée sans doute par le narrateur lui-même.

Demême, avant Claude Simon, Philippe Sollers relatera dans Le Parc l'histoire d'une journée et d'une nuit au coursdesquelles par le seul jeu des mots se combineront rêve et réalité, présent et passé.

Avec le nouveau roman, lerécit tend à être de moins en moins déterminé par une intrigue qui passe au second plan.

Le cheminement du textedécide véritablement du cours de l'ouvrage et devient, à la limite, le sujet même du livre.Mais, à vrai dire, l'écriture analogique n'est pas le monopole du nouveau roman et Claude Simon le reconnaissait lui-même dans son discours de réception du prix Nobel.

Comparant peinture et littérature, celui-ci déclarait que cesdeux arts, au XXe siècle, avaient découvert que la beauté naissait moins de la représentation d'une réalitéextérieure que de la recherche d'une harmonie interne par laquelle les différents éléments du texte communiquententre eux.

En ce qui concerne le roman :«...

l'ordonnance, la succession et l'agencement ne relèveront plus d'une causalité extérieure au fait littéraire,comme la causalité d'ordre psychosocial qui est la règle dans le roman traditionnel dit réaliste, mais d'une causalitéintérieure, en ce sens que tel événement décrit et non plus rapporté, suivra ou précédera tel autre en raison deleurs seules qualités propres.Si je ne peux accorder crédit à ce deus ex machina qui fait trop opportunément se rencontrer ou se manquer lespersonnages du récit, en revanche il m'apparaît tout à fait crédible, parce que dans l'ordre sensible des choses, queProust soit soudain transporté de la cour de l'hôtel de Guermantes sur le parvis de Saint-Marc à Venise par lasensation de deux pavés sous son pied, crédible aussi que Molly Bloom soit entraînée dans des rêveries érotiquespar l'évocation des fruits juteux qu'elle se propose d'acheter le lendemain au marché, crédible encore que lemalheureux Benjy de Faulkner hurle de souffrance lorsqu'il entend crier le mot «caddie », et tout cela parce qu'entreces choses, ces réminiscences, ces sensations, existe une évidente communauté de qualités, autrement dit unecertaine harmonie, qui, dans ces exemples, est le fait d'associations, d'assonances, mais peut aussi résulter, commeen peinture ou en musique, de contrastes, d'oppositions ou de dissonances.»C'est à la construction d'une telle harmonie que s'emploie l'écriture analogique, délaissant les conventions du romanréaliste pour tracer, au coeur du langage, un chemin dans lequel les mots s'enchaînent et se font écho.. »

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