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Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable. Boileau

Publié le 22/02/2012

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Ce vers est extrait du Chant III de l'Art Poétique de Nicolas Boileau (1636-1711). C'est dans cet ouvrage, publié en 1674, que celui que l'on a longtemps considéré comme le théoricien du classicisme expose les grands principes ou, tout bonnement, les règles qui président à la création des oeuvres dites classiques et qui sont celles de la seconde moitié du XVII' siècle. Quand Boileau fait paraître son Art Poétique, la plupart des grandes oeuvres dramatiques de la période classique ont vu le jour (Corneille, Molière ont fait connaître toute leur production, Racine a composé presque toute son oeuvre, à l'exception de Phèdre, Esther et Athalie), ce qui montre, à l'évidence, qu'il n'a pu influencer les écrivains de son temps par ce recueil de formules et de maximes bien frappées et parfois percutantes qu'est son Art Poétique.
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« Ce qui est prohibé (ce qui ne peut ni ne doit faire l'objet de la représentation) relève de ce que le XVIIe siècledénomme la « bienséance ».

Les moeurs de l'époque (exigences morales, goûts esthétiques, préjugés) interdisentque l'on représente la «barbarie» de Néron.

Le code moral condamne comme « horrible» ce que, corrélativement, la« vraisemblance» exclut comme « incroyable».Aussi le dramaturge est-il amené à modifier l'enchaînement des événements (« l'ordre des succès ») mais égalementle temps, le lieu, les personnes, s'il veut se mettre en règle avec les bienséances, sur le plan moral, ainsi qu'avec lavraisemblance, sur le plan intellectuel.Les deux points de vue précités, de Chapelain et de l'abbé d'Aubignac, marquent nettement le caractère double etapparemment contradictoire de cette notion de vraisemblance, selon que l'emporte l'imitation stricte de la réalité ou,à l'inverse, la recréation d'une nature idéale.

Sous ce rapport, l'abbé d'Aubignac se veut nuancé quand il ajoute quele domaine du possible et de l'imagination créatrice, tout comme celui du réalisme, est passible des contraintesexercées par la bienséance.Ainsi, affirme-t-il, le dramaturge a le loisir d'imaginer la mort subite (due à l'apoplexie ou à la foudre) d'unpersonnage mais à condition que cette péripétie soit rendue «nécessaire» par le développement de l'action et resteconforme aux exigences de la morale.

C'est à ce prix que le possible devient « croyable»: «Le possible n'en sera pas aussi le sujet, car il y a bien des choses qui se peuvent faire, ou par la rencontre descauses naturelles, ou par les aventures de la morale, qui pourtant seraient ridicules et peu croyables si elles étaientreprésentées.

» Entre réalisme et fiction, la marge de manoeuvre paraît étroite car il s'agit de respecter la belle nature, la natureappréhendée dans sa vérité idéale, qui, en toute rigueur, n'est ni la nature vraie ni la nature purement fictive. De cette conception d'une nature idéale, corrigée, embellie par l'imagination et, cela va de soi conforme à «l'opiniondu public» sans le consensus duquel l'homme de théâtre n'obtiendrait aucun succès, il résulte qu'au théâtre le genrele plus apte à mettre en pratique la vraisemblance est la tragédie car c'est à elle qu'il revient de réaliser cettefameuse «purgation des passions», héritée d'Aristote.

En effet, le spectateur se laisserait-il séduire par lespersonnages de la tragédie au point de partager leurs souffrances ou, plus précisément, de ressentir crainte et pitié,comme le veulent les théoriciens de la tragédie au XVII' siècle, s'il n'y était induit pas la représentation d'une véritéidéale, appropriée à ses goûts, c'est-à-dire crédible et donc vraisemblable?La règle des unités (temps, lieu, action) va dans le même sens puisqu'elle vise à rapprocher, pour les confondrevirtuellement, les conditions de la représentation (trois heures d'horloge, un seul lieu, une action principale, assortie,le cas échéant, d'actions secondaires, mais intelligibles) et les conditions de la fiction (le personnage conçu commesupport d'une existence imaginaire à laquelle, le spectateur est supposé participer par identification).Au XVII' siècle, Racine se soumettra sans difficulté à ce code de la vraisemblance.

L'extrême simplicité de l'actiondans Bérénice, exceptionnelle en son temps, entretient aisément l'illusion selon laquelle le théâtre serait l'expressiondu vrai.

«Il n'y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie», affirme Racine, dans la Préface de Bérénice.Corneille aura beau chercher dans l'Histoire des sujets et des personnages susceptibles de cautionner lavraisemblance de ses tragédies, son goût pour les situation exceptionnelles, pour les personnages hors du commun,lui vaudra la réprobation des « doctes» de l'Académie (Scudéry, Chapelain) lors de la création du Cid, en 1637.

Dansl'Avis au Lecteur, qui précède Héraclius (1647), il ose braver ses censeurs en déclarant : «...je ne craindrai point d'avancer que le sujet d'une belle tragédie doit n'être pas vraisemblable.

» Même s'il se corrige en 1660, dans son Examen d'Héraclius, en notant que le sujet «peut» n'être pas vraisemblable, ilne cessera de revendiquer, au nom de la vérité, sa liberté de créateur.Bien que le code des bonnes moeurs théâtrales (règle des unités, bienséances et autres artifices tels que lemonologue, l'aparté, par exemple) paraisse visiblement inconciliable avec la vraisemblance érigée en un véritablecredo, au XVII' siècle, (contradiction parfaitement mise en lumière dans La Dramaturgie classique en France, deJacques Scherer), les théoriciens de l'époque ne se sont nullement alarmés de la facticité que représentait ceconcept de belle nature, sans doute parce qu'il exprimait un état de conscience et de sensibilité faisant l'objet d'unlarge consensus idéologique.Certes, les comédies de Molière font fi de la vraisemblance — mais ce sont des comédies, précisément —; Corneille,également, s'est trouvé en butte aux exigences des « doctes » : que l'on évoque, par exemple, L'Illusion comique(1636) faisant du monde un pur spectacle et du spectacle une pure illusion.A quelques exceptions près, le XVII' siècle répugne à considérer que le théâtre est, comme tout art, du reste, fondésur des conventions.

En ce domaine, le XVIIIe siècle ouvre des perspectives dont les implications retentissentencore aujourd'hui, toutes les audaces étant permises pour tirer parti de ce jeu qui n'a jamais cessé d'articuler l'êtreet le paraître, la réalité et l'illusion.. »

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