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Jean Rouaud, Les Champs d'honneur, Les Éditions de Minuit

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

La scène se passe dans la 2 CV du grand-père. Curieusement, les trajectoires des gouttelettes qui filtraient à l'oblique, passé le premier agacement, créaient un climat de bonne humeur : l'attente déçue du miracle où la pluie glisserait sur nous comme sur les plumes d'un canard nous poussait à un règlement de comptes moqueur. Rapides, tendues, ou au contraire se posant en bout de course avec mollesse, les gouttelettes frappaient au petit bonheur le coin de l'œil, la tempe, la pommette, ou visaient droit au creux de l'oreille, si imprévisibles, aux paramètres si compliqués, qu'il était inutile de chercher à s'en prémunir, à moins de s'enfouir la tête dans un sac. Le jeu, bataille navale rudimentaire, consistait simplement à annoncer « Touché « quand l'une d'elles, plus forte que les autres, nous valait un sursaut, le sentiment d'être la cible d'un tireur inconnu. La seule règle était d'être honnête, de ne pas s'écrouler sur le siège, mimant des souffrances atroces, pour une goutte anodine. D'où des contestations souvent, mais en termes mesurés. On veillait à ne pas hausser le ton : la 2 CV de grand-père était un endroit solennel - non son armure comme le laissait penser l'état pitoyable de la carrosserie, mais sa cellule. Une fois, une unique fois, il fut des nôtres, quand une goutte vint se suspendre comme un lumignon1 au bout de son nez et que, sortant de son mutisme, d'une voix couverte, voilée, de celles qui servent peu, il lança : « Nez coulé. « Nous cessâmes sur-le-champ de nous chamailler, presque dérangés tout d'abord par cette immixtion2 d'un grand dans notre cour, et puis, l'effet de surprise retombé, ce fut comme une bonne nouvelle, le retour d'un vieil enfant prodigue : grand-père n'était pas loin, à portée de nos jeux quand on l'imaginait à l'autre bout de son âge dans un bric-à-brac de souvenirs anciens - alors, soulagés, peut-être aussi pour manifester de quel poids pesait son absence, nous partons d'un rire joyeux, délivré, qui s'abrite derrière la compréhension à retardement du jeu de mots : ce nez qui coule clôt idéalement notre bataille quand, faute d'y trouver une fin, nous nous astreignions à ressasser toujours la même pauvre règle. Notre jeu d'eau improvisé se révéla définitivement impossible à reprendre, comme si d'un seul coup l'exclamation en 25 demi-teinte de grand-père l'avait épuisé. En revanche, elle nous servit longtemps de constat désabusé à l'occasion de diverses catastrophes domestiques : du lait qui déborde de la casserole, de la lampe de poche qui flanche, à la chaîne qui saute du pédalier et à la montre arrêtée. Jean Rouaud, Les Champs d'honneur, Les Éditions de Minuit, 1990.

1. Lumignon : extrémité d'une bougie ou d'une lampe allumée. 2. Immixtion : action de s'immiscer, c'est-à-dire d'intervenir dans une conversation, un débat...

QUESTIONS question 1 « Quand « apparaît à trois reprises dans le second paragraphe avec deux valeurs différentes. Lesquelles ? Donnez deux équivalents de cette conjonction (un pour chaque valeur). (2 points) question 2 Après avoir expliqué : «... il fut des nôtres... « (première phrase du second paragraphe), vous justifierez l'emploi des pronoms et le temps du verbe. (3 points) question 3 Dans un commentaire organisé de trente lignes minimum, vous étudierez le jeu des enfants en montrant comment il se crée et comment il évolue (vous pouvez vous appuyer, par exemple, sur la construction du texte, le vocabulaire, les temps verbaux...). (5 points)

« C'est là, au contact de la rue et des clients qui viennent lui acheter leurs quotidiens, leurs hebdomadaires et leursrevues, qu'il écrit l'histoire des Champs d'honneur.

C'est avec eux qu'il a commencé à parler de sa famille, del'histoire des siens au tournant de la Grande Guerre de 1914-1918, et plus particulièrement des personnagescentraux de son premier roman : ses grands-parents. SON ŒUVRE - les Champs d'honneur (1990).

question 1 « Quand» apparaît à trois reprises dans le second paragraphe avec deux valeurs différentes.

Lesquelles ? Donnezdeux équivalents de cette conjonction (un pour chaque valeur).

(2 points) Dans ce texte la première valeur de « quand » exprime une relation de concordance temporelle.

La conjonctionpourrait alors être remplacée ici par une autre conjonction de temps : lorsque. « Quand » prend aussi une seconde valeur : celle d'une opposition entre deux propositions simultanées, et, dans cecas, son équivalent serait : alors que. question 2 Après avoir expliqué : «...

il fut des nôtres...

» (première phrase du second paragraphe), vous justifierez l'emploi despronoms et le temps du verbe.

(3 points) Le jeu de « bataille navale rudimentaire » qui se déroule dans la voiture a été imaginé, et ne concerne, que lesenfants embarqués dans cet équipage « solennel ». Le seul adulte de la scène est le grand-père-conducteur.

Les enfants-passagers le vivent comme leur aïeul, c'est-à-dire : un homme âgé, enfermé dans ses souvenirs, et très éloigné de leurs préoccupations ludiques et de leurs codesde langage.

L'annonce « Nez coulé » révèle brusquement aux enfants la proximité, à la fois personnelle, mais aussispirituelle, de leur grand-père.

Cette prise de conscience, aussi brutale qu'inattendue, est exprimée au début dudeuxième paragraphe par l'expression « il fut des nôtres ». Le narrateur, parce qu'il se trouve dans le récit, utilise ici le verbe être au passé simple pour bien marquer cettepause brusque, cet arrêt qui met en valeur une réalité exceptionnelle.

Il lui adjoint deux pronoms jouant un rôleimportant dans l'expression.

« Il », pronom personnel masculin-singulier, de troisième personne, désigne bien sûr le grand-père-conducteur-des-enfants.

« Nôtres », pronom possessif pluriel, indique qu'un rapportde forte identité unit le groupe des petits enfants à leur grand-père. ** question 3 Dans un commentaire organisé de trente lignes minimum, vous étudierez le jeu des enfants en montrant comment ilse crée et comment il évolue (vous pouvez vous appuyer, par exemple, sur la construction du texte, le vocabulaire,les temps verbaux...).

(5points) Dans le début de son récit, Jean Rouaud présente ce qui n'est qu'une simple séance de jeu au sein d'un grouped'enfants appartenant à la même famille.

Pourtant, soudainement, dans le second paragraphe, le texte prend unintérêt particulier lorsque nous prenons conscience, en voyant le jeu évoluer, que sous une banalité apparente, sedissimule en réalité une riche valeur expérimentale et humaine. Dans le premier paragraphe Jean Rouaud nous raconte comment un groupe d'enfants adopte, puis s'installe dans unetactique de jeu qui consiste à s'emparer du mouvement des gouttes de pluie qui : « filtraient », « créaient », «frappaient », « visaient », en pénétrant dans la voiture de leur aïeul.

Cette suite de verbes d'action indique quecette « bataille navale rudimentaire », comme beaucoup de situations ludiques, se développe spontanément.

Lesjeunes joueurs prennent tout simplement en compte des éléments présents dans leur environnement.

Le jeu estpour ces enfants un moyen de répondre à une attente, à un moment d'inaction, d'ennui passager. Dans la deuxième phrase nous assistons au développement du jeu.

Les enfants investissent dans celui-ci leurs corpset leurs sensations.

L'auteur procède à l'aide d'une énumération « l'œil, la tempe, la pommette », il renforce cetteaccumulation en ajoutant un terme supplémentaire six mots plus loin : « l'oreille ».

Notons au passage que ce derniermot appartient, lui aussi, au même champ lexical des parties de la tête. Après ces notations corporelles, Jean Rouaud poursuit le récit de l'engagement des enfants dans la logique du jeu.Les joueurs sortent maintenant du silence : ils parlent.

Des verbes et des expressions utilisées dans le texte nousl'indiquent : « annoncer », « termes mesurés », « ne pas hausser le ton ».

Mais à côté de cette suite de termes, un. »

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