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Chrysippe par Victor Goldschmidt Faculté des Lettres de Rennes " Sans Chrysippe il n'y aurait pas de portique.

Publié le 05/04/2015

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Chrysippe par Victor Goldschmidt Faculté des Lettres de Rennes " Sans Chrysippe il n'y aurait pas de portique. " Les témoignages des anciens s'accordent sur ce jugement, d'autant plus remarquable qu'il n'est pas vrai à la rigueur. Troisième directeur de l'École, Chrysippe semble plutôt se contenter de prendre la suite. Il continue l'oeuvre de Zénon de Cittium, le fondateur en titre qu'il n'a pas connu, et de Cléanthe, esprit peu puissant dont il accepte de rester l'élève pendant de longues années, jusqu'à accéder, après sa mort, au scholarchat ; il a dépassé alors la cinquantaine. Il est vrai qu'il s'écarte sur certains points de ses prédécesseurs, mais dans l'ensemble il fait figure de conservateur et de défenseur, se soumettant le premier à cette orthodoxie qu'il devait systématiser lui-même et fixer définitivement aux yeux des générations suivantes. C'est un fait assez rare dans l'histoire des idées que le " second fondateur " d'une doctrine, joignant l'originalité à la fidélité, donne à son travail de restauration un tour personnel. Le fait s'explique en partie par le stoïcisme même qui a toujours su rassembler des hommes fort différents et autoriser des divergences sans compromettre son unité fondamentale. Mais il a sa raison aussi dans la personnalité de Chrysippe qui, résistant à l'attrait des doctrines adverses et à la tentation de fonder une secte dissidente, s'est exprimée, avec toute sa ferveur et son intelligence, dans l'adhésion aux dogmes de Zénon. Quand Chrysippe, venant de sa Chypre natale, débarque à Athènes, le Portique est en difficulté avec les écoles environnantes et, surtout, avec lui-même. Parmi les disciples de Zénon, les uns affaiblissent la doctrine à force de médiocrité, d'autres, en exagérant tel trait, la simplifient et l'altèrent ; d'autres enfin l'abandonnent ouvertement. Au dehors, Cléanthe résiste mal aux attaques redoutables de la Nouvelle Académie et à la pression des écoles rivales qui, elles aussi, mais par des voies plus directes ou plus riantes, garantissent à leurs adeptes l'accès au bonheur : cyrénaïsme, cynisme et Jardin d'Epicure. Si Chrysippe sauve le stoïcisme de la décomposition interne et l'empêche d'être absorbé par les établissements concurrents, c'est qu'il renouvelle l'organisation de l'école et que, du vivant encore de Cléanthe, il prend la direction du combat contre le scepticisme académique. Mais la raison véritable de son succès est d'avoir repensé entièrement la doctrine de Zénon et de l'avoir inventée, si l'on peut dire, par ses propres moyens. Ce disciple de la troisième génération n'a rien d'un épigone ; son enseignement procède d'une conviction que seule peut donner la découverte personnelle, et c'est à bon droit que les anciens l'ont considéré, selon le mot d'Athénée, comme " le chef du Portique ". Malgré sa renommée de philosophe, nous ne savons presque rien sur sa vie. La tradition, pourtant si friande d'anecdotes édifiantes et d'apophtegmes frappants, a retenu peu de détails pittoresques et ne connaît aucun récit pathétique sur sa mort ; elle ne lui attribue même pas le " suicide raisonnable " qu'avaient pratiqué ses deux prédécesseurs. On nous parle surtout de son activité de professeur et de savant. De son érudition aussi, qui était prodigieuse, et de sa capacité de travail : à en croire sa vieille femme de ménage, il se serait astreint à rédiger cinq cents lignes tous les jours. Il aurait écrit sept cent cinq livres (dont même le catalogue ne nous a pas été conservé intégralement et dont nous ne connaissons que des " fragments " d'après des citations faites par des écrivains postérieurs) ; on ajoute que le tout était composé avec une entière négligence de la forme et du style. D'autres récits indiquent une conscience très forte de sa propre valeur, jointe à l'indépendance à l'égard des pouvoirs établis, à Athènes ou ailleurs. Il accepte le droit de cité, mais sans en faire aucun usage ; contrairement à une coutume alors fort répandue, il ne dédie pas ses traités à des rois et il refuse, malgré les encouragements de Cléanthe, de représenter le stoïcisme à la cour du roi Ptolémée. Ce dernier trait n'est pas sans rappeler la célèbre lettre de Spinoza à Fabritius, et sans doute pourrait-on prolonger cette comparaison (" il vivait pauvrement, dit un texte, tout en possédant de la fortune "), si nos sources étaient plus abondantes. Elles suffisent en tout cas pour nous faire deviner, derrière une vie consacrée à la philosophie et à l'enseignement, cette disponibilité stoïcienne, à laquelle manquait seulement l'occasion pour se manifester avec éclat et dans des gestes propres à étonner les chroniqueurs. On ne comprendrait pas, sans cela, qu'un Epictète ait pu vivre ce même stoïcisme dont Chrysippe avait fait la théorie. La restitution exacte des apports de Chrysippe est la tâche encore inachevée d'une érudition que le peu d'abondance et l'imprécision des sources ne favorisent guère. Il apparaît, en tout cas, que le rôle principal de Chrysippe a été de constituer en un système cohérent les intuitions globales, parfois rudimentaires, de ses devanciers ; de les illustrer aussi par des observations concrètes et de les défendre avec une vigueur dialectique et une subtilité qui faisaient dire aux anciens que " si les dieux faisaient de la dialectique, ce serait celle de Chrysippe ". C'est lui également qui oriente décidément la doctrine vers un monisme, et son nom est attaché à des pièces maîtresses du système, comme la théorie des passions, celle de l'individualité, l'anthropologie ; l'élaboration de la logique paraît tout entière son oeuvre, et c'est surtout sous la forme que lui a donnée Chrysippe, que nous connaissons la célèbre doctrine du Destin. Ce mot même de destin a assuré de tout temps la popularité du stoïcisme et a porté son influence bien au-delà des écoles et des philosophes de métier. Rien de plus naturel. Le précepte stoïcien : suivre de bon gré, plutôt que de se laisser traîner de force, est rejoint par la sagesse populaire : " Faire contre mauvaise fortune bon coeur ", " Faire de nécessité vertu ". La mauvaise fortune nous impose au moins le simulacre des courbettes, et le tempérament le moins porté au défaitisme éprouve la pression de la nécessité. En ce sens, nous sommes tous stoïciens par nature, le renard de la fable qui fit mieux que de se plaindre, et le loup de la poésie romantique qui fit preuve de " stoïque fierté ". Mais il y a bien des manières de " suivre " et bien des motifs pour se laisser traîner : le désir de sauver la face, la vanité, l'orgueil, le dédain et le " froid silence ", le mépris ; et aussi la modestie, le plaisir de s'humilier, l'abandon, l'attrait de l'échec et la délectation de jouer perdant, le recours absolutoire à la " fatalité ". Toutes ces attitudes, selon les sujets, sont à ...

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