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Platon par Victor Goldschmidt Faculté des Lettres de Rennes Ses détracteurs et certains de ses amis sont d'accord : la doctrine platonicienne est le fruit d'une vocation politique manquée.

Publié le 05/04/2015

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Platon par Victor Goldschmidt Faculté des Lettres de Rennes Ses détracteurs et certains de ses amis sont d'accord : la doctrine platonicienne est le fruit d'une vocation politique manquée. A partir de là, les appréciations divergent. Ceux-ci le louent de l'intérêt porté à la chose publique et au bien commun. L'éloge n'est d'ailleurs pas sans arrière-pensée ; il est apologétique. Cet idéaliste sublime s'est penché sur les misères de son temps ; l'utopiste impénitent est le fondateur de la science sociale. Chez ceux-là, il y a entente sur la condamnation, mais sur les considérants, on dispute. Pour les uns, Platon est le théoricien de la dictature spirituelle, il est directement responsable de l'inquisition médiévale et, aujourd'hui, de tout régime totalitaire, d'où qu'il vienne, quoi qu'il se propose et quelles que puissent être, d'ailleurs, les différences d'inspiration et de structure. Pour d'autres, l'utopisme platonicien répond aux intérêts d'une classe (on veut parler du parti aristocratique athénien) et fournit tous les mouvements réactionnaires des concepts et des conceptions dont ils ont besoin : l'idéalisme, le mépris de l'action directe, la croyance au retour des choses et la négation du progrès, l'éternité substituée au temps historique, fuite dans le mysticisme mystificateur ; la liste n'est pas complète. Ces mises en accusation multiples et ces plaidoyers ne sont pas sans apparence. Les oppositions ne s'annulent pas, et il faut se garder de les renvoyer dos à dos. On peut seulement s'interroger sur le fondement du débat, commun à beaucoup d'autres procès qu'on a coutume d'intenter de nos jours à titre posthume. C'est d'abord l'idée d'une causalité mécanique, qui fait juger les idées comme des actes politiques, dans leurs effets réellement produits, non d'après l'intention. C'est ensuite la prétention à l'universalité, dans l'espace et le temps, de la doctrine accusatrice ou, ce qui revient au même, l'idée d'une causalité cyclique qui ramène les situations identiques et les superpose dans un présent éternel ; ma propre historicité s'érige ainsi en tribunal de l'histoire universelle. Le platonisme, à coup sûr, déborde la situation historique où il est né ; il s'agit de savoir en quoi. Quand il parle de ses ambitions politiques, Platon écrit : " Jadis, dans ma jeunesse j'éprouvais ce qu'éprouvent tant de jeunes gens. J'avais le projet, du jour où je pourrais disposer de moi-même, d'aborder aussitôt la politique. " (Lettre VII, 324 b) De fait, et malgré ses relations personnelles et familiales avec les chefs de l'oligarchie, il se tient à l'écart. La démocratie restaurée réveille ses espoirs, mais bientôt, le procès et la condamnation de Socrate le détournent définitivement de l'action politique : " Finalement, je compris que tous les États actuels sont mal gouvernés, car leur législation est à peu près incurable sans d'énergiques préparatifs, joints à d'heureuses circonstances. " Et il ajoute : " Je fus alors irrésistiblement amené à louer la vraie philosophie ". Cette " vraie philosophie " comprend une doctrine politique. Elle comprend encore une logique et une cosmologie, une métaphysique et une morale, une médecine, une psychologie, une technologie. Comment mettre à l'origine de tout cela une action entravée et une vocation déçue ? C'est manier sans façon les causes occasionnelles. Les ambitions contrariées n'ont pas tant de vertu. Les actes d'accusation n'apportent pas tant de lumière. Ils instruisent le procès, et c'est tout ce qu'on leur demande ; pourquoi prétendre, par-dessus le marché, instruire et expliquer ? Les griefs de totalitarisme ou d'adhésion à une société esclavagiste ne craignent pas l'anachronisme et parviennent à leur fin ; ils n'ont pas, jusqu'ici, résolu les apories du Parménide ni fait comprendre l'épistémologie du Sophiste. Il faut cesser de voir dans le fondateur de " la vraie philosophie " l'héritier aigri du jeune homme qui, jadis, avait partagé les ambitions politiques de " tant de jeunes gens ". Qu'est donc cette vraie philosophie ? Dans un texte célèbre, Aristote la fait dériver de deux sources : d'Héraclite " selon lequel toutes les choses sensibles sont dans un flux perpétuel et ne peuvent être objet de science " et, d'autre part, de Socrate " dont les recherches portaient sur les choses morales... et qui avait, en cette matière, cherché l'universel et fixé la pensée sur les définitions. Platon accepta son enseignement, mais sa formation héraclitéenne l'amena à penser que cet universel devait se trouver dans des réalités d'un autre ordre, et non dans les choses sensibles... A de telles réalités, il donna le nom d'idées ; les sensibles seraient séparées des Idées et dénommées d'après elles ; en effet, une pluralité d'objets du même nom existe par participation à l'Idée homonyme ". Derrière sa sécheresse technique, ce texte donne un sommaire assez fidèle de la philosophie platonicienne, qui est une philosophie des Idées ou, comme il vaut mieux dire, des Formes ou, comme on dirait aujourd'hui, des Essences ou encore des Structures. C'est aussi avec grande raison qu'Aristote indique le rôle de Socrate, encore qu'il ne l'indique peut-être pas bien. Ce que Platon doit à Socrate, c'est bien plus que la découverte du concept et de l'universel, c'est le motif fondamental de son idéalisme : l'expérience d'une opposition et d'un désaccord entre essence et existence, entre valeur et réalité, entre être et apparence, entre être et devenir - conflit qui se joue et se diversifie de bien des manières, mais toujours sur le même thème. L'élaboration philosophique de ce thème s'appuie sur l'opposition entre les Formes intelligibles et les choses sensibles, opposition dont les origines sont nombreuses. Aristote marque bien le rôle de l'Héraclitéisme, qui avait insisté sur l'instabilité des choses, emportées par un flux perpétuel. A l'inverse, la permanence de " l'Être véritable " avait été exaltée par Parménide, et les arguments ne manquaient pas qui ont pu amener Platon à situer cet Être dans les Formes invisibles : l'idéalité des objets mathématiques, le canon conventionnel de la beauté plastique, les règles régissant les arts et techniques. L'enseignement de Socrate y ajouta les normes de la conduite morale, mais son procès et sa condamnation firent transposer le conflit sur le plan politique et, bientôt, cosmique. La distinction entre les Formes et les choses sensibles se manifeste ainsi dans la lutte entre la justice et le pouvoir et, au niveau de l'Univers, dans l'affrontement de la Raison avec la Nécessité. La Théorie des Formes en vient à exprimer un dualisme généralisé et, à tous les niveaux du réel, fournit une méthode de disjonction entre deux termes dont l'un représente le Bien et l'autre, l'existence. Malgré les autres sources qui ont pu la nourrir et la fortifier,...
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