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De l'inutilité du théâtre au théâtre Article dans Le Mercure de France, N° 81, septembre 1896 Alfred Jarry Je crois que la question est définitivement tranchée de savoir si le théâtre doit s'adapter à la foule ou la foule au théâtre.

Publié le 05/04/2015

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De l'inutilité du théâtre au théâtre Article dans Le Mercure de France, N° 81, septembre 1896 Alfred Jarry Je crois que la question est définitivement tranchée de savoir si le théâtre doit s'adapter à la foule ou la foule au théâtre. Laquelle, antiquement, n'a pu comprendre ou faire semblant de comprendre les tragiques et comiques que parce que leurs fables étaient universelles et réexpliquées quatre fois en un drame, et le plus souvent préparées par un personnage prologal. Comme aujourd'hui elle va à la Comédie-Française entendre Molière et Racine parce qu'ils sont joués d'une façon continue. Il est d'ailleurs assuré que leur substance lui échappe. La liberté n'étant pas encore acquise au théâtre de violemment expulser celui qui ne comprend pas, et d'évacuer la salle à chaque entracte avant les bris et les cris, on peut se contenter de cette vérité démontrée qu'on se battra (si l'on se bat) dans la salle pour une oeuvre de vulgarisation, donc point originale et par cela antérieurement à l'originale accessible, et que celle-ci bénéficiera, au moins le premier jour, d'un public resté stupide, muet par conséquent. Et le premier jour ceux-là viennent, qui savent comprendre. Il y a deux choses qu'il siérait - si l'on voulait descendre jusqu'au public - de lui donner, et qu'on lui donne : des personnages qui pensent comme lui (un ambassadeur siamois ou chinois, entendant l'Avare, gagea que l'avare serait trompé et la cassette prise), et dont il comprenne tout avec cette impression : "Suis-je spirituel de rire de ces mots spirituels", qui ne manque aux auditeurs de M. Donnay, et l'impression de la création, supprimant la fatigue de prévoir ; et en second lieu, des sujets et péripéties naturelles, c'est-à-dire quotidiennement coutumières aux hommes ordinaires, étant de fait que Shakespeare, Michel-Ange ou Léonard de Vinci sont un peu amples et d'un diamètre un peu rude à parcourir, parce que, génie et entendement ou même talent n'étant point d'une nature, il est impossible à la plupart. S'il y a dans tout l'univers cinq cents personnes qui soient un peu Shakespeare et Léonard par rapport à l'infinie médiocrité, n'est-il pas juste d'accorder à ces cinq cents bons esprits ce qu'on prodigue aux auditeurs de M. Donnay, le repos de ne pas voir sur la scène ce qu'ils ne comprennent pas, l...
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« sens qu'il ne donne pas à l'artiste la réalisation de l'extérieur vu à travers soi ou mieux créé par soi. Or il serait très dangereux que le poète à un public d'artistes imposât le décor tel qu'il le peindrait lui-même.

Dans une œuvre écrite, qui sait lire y voit le sens caché exprès pour lui, reconnaît le fleuve éternel et invisible et l'appelle "Anna Peranna".

La toile peinte réalise un aspect dédoublable pour très peu d'esprits, étant plus ardu d'extraire la qualité d'une qualité que la qualité d'une quantité.

Et il est juste que chaque spectateur voie la scène dans le décor qui convient à sa vision de la scène.

Devant un grand public, différemment, n'importe quel décor artiste est bon, la foule comprenant non de soi, mais d'autorité. Il y a deux sortes de décors, intérieurs et sous le ciel.

Toutes deux ont la prétention de représenter des salles ou des champs naturels.

Nous ne reviendrons pas sur la question entendue une fois pour toutes de la stupidité du trompe-l' œil.

Mentionnons que ledit trompe-l' œil fait allusion à celui qui voit grossièrement, c'est-à-dire ne voit pas, et scandalise qui voit d'une façon intelligente et éligente la nature, lui en présentant la caricature par celui qui ne comprend pas.

Zeuxis a trompé des bêtes brutes, dit-on, et Titien un aubergiste. Le décor par celui qui ne sait pas peindre approche plus du décor abstrait, n'en donnant que la substance ; comme aussi le décor qu'on saurait simplifier en choisirait les utiles accidents. Nous avons essayé des décors héraldiques, c'est-à-dire désignant d'une teinte unie et uniforme toute une scène ou un acte, les personnages passant harmoniques sur ce champ de blason.

Cela est un peu puéril, ladite teinte s'établissant seule (et plus exacte, car il faut tenir compte du daltonisme universel et de toute idiosyncrasie) sur un fond qui n'a pas de couleur.

On se le procure simplement et d'une manière symboliquement exacte avec une toile pas peinte ou un envers de décor, chacun pénétrant l'endroit qu'il veut, ou mieux, si l'auteur a su ce qu'il voulut, le vrai décor exosmosé sur la scène. L'écriteau apporté selon les changements de lieu évite le rappel périodique au non-esprit par le changement des décors matériels, que l'on perçoit surtout à l'instant de leur différence. Dans ces conditions, toute partie de décor dont on aura un besoin spécial, fenêtre qu'on ouvre, porte qu'on enfonce, est un accessoire et peut être apportée comme une table ou un flambeau. L'acteur "se fait la tête", et devrait tout le corps, du personnage.

Diverses contractions et extensions faciales de muscles sont les expressions, jeux physionomiques, etc.

On n'a pas pensé que les muscles subsistent les mêmes sous la face feinte et peinte, et que Mounet et Hamlet n'ont pas semblables zygomatiques, bien qu'anatomiquement on. »

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