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Droit de mort et pouvoir sur la vie

Publié le 30/06/2012

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Longtemps, un des privilèges caractéristiques du pouvoir souverain avait été le droit de vie et de mort. Sans doute dérivait-il formellement de la vieille patria potestas qui donnait au père de famille romain le droit de disposer de la vie de ses enfants comme de celle des esclaves; ilia leur avait donnée, il pouvait la leur retirer. Le droit de vie et de mort tel qu'il se formule chez les thèoriciens classiques en est une forme déjà considérablement atténuée. Du souverain à ses sujets. on ne conçoit plus qu'il s'exerce dans l'absolu et inconditionnellement. mais dans les seuls cas où le souverain se trouve exposé dans son existence même : une sorte de droit de réplique. Est-il menacé par des ennemis extérieurs, qui veulent le renverser ou contester ses droits ? Il peut alors légitimement faire la guerre. et demander à ses sujets de prendre part à la défense de l'Etat ; ...

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« sur les choses, le temps, les corps et finalement la vie ; il culminait dans le privilège de s'en emparer pour la supprimer.

Or, l'Occident a connu depuis l'âge classique une très profonde transformation de ces mécanismes du pouvoir.

I.e « prélèvement » tend à n'en plus être la forme majeure, mais une pièce seulement parmi d'autres qui ont des fonctions d'incitation, de renforcement, de contrôle, de surveillance, de majoration et d'organisation des forces qu'il soumet: un pouvoir destiné à produire des forces, à les faire croître et à les ordonner plutôt que voué à les barrer, à les faire plier ou à les détruire.

I.e droit de mort tendra dès lors à se déplacer ou du moins à prendre appui sur les exigences d'un pouvoir qui gère la vie et à s'ordonner à ce qu'elles réclament.

Cette mort, qui se fondait sur le droit du souverain de se défendre ou de demander qu'on le défende, va apparaître comme le simple envers du droit pour le corps social d'assurer sa vie, de la maintenir ou de la développer.

Jamais les guerres n'ont été plus sanglantes pourtant que depuis le XIX' siécle, et même, toutes proportions gardées, jamais les régimes n'avaient jusque-là pratiqué sur leurs propres populations de pareils holocaus­ tes.

Mais ce formidable pouvoir de mort -et c'est peut-être ce qui lui donne une part de sa force et du cynisme avec lequel il a repoussé si loin ses propres limites - se donne maintenant comme le complémentaire d'un pouvoir qui s'exerce positivement sur la vie, qui entreprend de la gérer, de la majorer, de la multiplier, d'exercer sur elle des contrôles précis et des régulations d'ensemble.

I..es guerres ne se font plus au nom du souverain qu'il faut défendre; elles se font au nom de l'existence de tous ; on dresse des populations entières à s'entre-tuer réciproquement au nom de la nécessité pour elles de vivre.

I..es massacres sont devenus vitaux.

C'est comme gestionnaire de la vie et de la survie, des corps et de la race que tant de régimes ont pu mener tant de guerres, en faisant tuer tant d'hommes.

Et, par un retournement qui permet de boucler le cercle, plus la technologie des guerres les a fait virer à la destruction exhaustivé, plus en effet la décision qui les ouvre et celle qui vient les clore s'ordonnent à la question nue de la survie.

La situation atomique est aujourd'hui au point d'aboutissement de ce processus : le pouvoir d'exposer une population à une mort générale est l'envers du pouvoir de garantir à une autre son maintien dans l'existence.

I.e principe : pouvoir tuer pour pouvoir vivre, qui soutenait la tactique des combats, est devenu principe de stratégie entre · Etats; mais l'existence en question n'est plus celle, juridique, de la souveraineté, c'est celle, biologique, d'une population.

Si le génocide est bien le rêve des pouvoirs modernes, ce n'est pas par un retour aujourd'hui du vieux droit de tuer; c'est parce que le pouvoir se situe et s'exerce au niveau de la vie, de l'espèce, de la race et des phénomènes massifs de population.

J'aurais pu prendre, à un autre niveau, l'exemple de la peine de mort.

Elle a été longtemps avec la guerre l'autre forme du droit de glaive ; elle constituait la réponse du souverain à qui attaquait sa volonté, sa loi, sa personne.

Ceux qui meurent sur l'échafaud sont devenus de plus en plus rares, à J'inverse de ceux qui meurent dans les guerres.

Mais c'est pour les mêmes raisons que ceux-ci sont devenus. »

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