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Lettres persanes Lettre CXLI, Rica à Uzbek Charles de Montesquieu De Paris, le 26 de la lune de Gemmadi 1720 J'irai te voir sur la fin de la semaine.

Publié le 05/04/2015

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Lettres persanes Lettre CXLI, Rica à Uzbek Charles de Montesquieu De Paris, le 26 de la lune de Gemmadi 1720 J'irai te voir sur la fin de la semaine. Que les jours couleront agréablement avec toi ! Je fus présenté, il y a quelques jours, à une dame de la cour, qui avait quelque envie de voir ma figure étrangère. Je la trouvai belle, digne des regards de notre monarque, et d'un rang auguste dans le lieu sacré où son coeur repose. Elle me fit mille questions sur les moeurs des Persans, et sur la manière de vivre des Persanes. Il me parut que la vie du sérail n'était pas de son goût, et qu'elle trouvait de la répugnance à voir un homme partagé entre dix ou douze femmes. Elle ne put voir, sans envie, le bonheur de l'un ; et sans pitié, la condition des autres. Comme elle aime la lecture, surtout celle des poètes et des romans, elle souhaita que je lui parlasse des nôtres. Ce que je lui en dis redoubla sa curiosité : elle me pria de lui faire traduire un fragment de quelques-uns de ceux que j'ai apportés. Je le fis ; et je lui envoyai, quelques jours après, un conte persan. Peut-être seras-tu bien aise de le voir travesti. Du temps de Cheik-ali-Can, il y avait, en Perse, une femme nommée Zuléma : elle savait par coeur tout le saint Al Coran ; il n'y avait point de dervis qui entendît mieux qu'elle les traditions des saints prophètes ; les docteurs arabes n'avaient rien dit de si mystérieux, qu'elle n'en comprît tous les sens ; et elle joignait, à tant de connaissances, un certain caractère d'esprit enjoué, qui laissait à peine deviner si elle voulait amuser ceux à qui elle parlait, ou les instruire. Un jour qu'elle était avec ses compagnes dans une des salles du sérail, une d'elles lui demanda ce qu'elle pensait de l'autre vie ; et si elle ajoutait foi à cette ancienne tradition de nos docteurs, que le paradis n'est fait que pour les hommes. C'est le sentiment commun, leur dit-elle : il n'y a rien que l'on n'ait fait pour dégrader notre sexe. Il y a même une nation répandue par toute la Perse, qu'on appelle la nation juive, qui soutient, par l'autorité de ses livres sacrés, que nous n'avons point d'âme. Ces opinions si injurieuses n'ont d'autre origine que l'orgueil des hommes, qui veulent porter leur supériorité au-delà même de leur vie : et ne pensent pas que dans le grand jour, toutes les créatures paraîtront devant Dieu comme le néant, sans qu'il y ait entre elles de prérogatives que celles que la vertu y aura mises. Dieu ne se bornera point dans ses récompenses : et comme les hommes qui auront bien vécu, et bien usé de l'empire qu'ils ont ici-bas sur nous, seront dans un paradis plein de beautés célestes et ravissantes, et telles que, si un mortel les avait vues, il se donnerait aussitôt la mort, dans l'impatience d'en jouir ; aussi les femmes vertueuses iront dans un lieu de délices où elles seront enivrées d'un torrent de voluptés, avec des hommes divins qui leur seront soumis : chacune d'elles aura un sérail, dans lequel ils seront enfermés ; et des eunuques, encore plus fidèles que les nôtres pour les garder. J'ai lu, ajouta-t-elle, dans un livre arabe, qu'un homme, nommé Ibrahim, était d'une jalousie insupportable. Il avait douze femmes extrêmement belles, qu'il traitait d'une manière très dure : il ne se fiait plus à ses eunuques, ni aux murs de son sérail ; il les tenait presque toujour...
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« aussitôt la mort, dans l'impatience d'en jouir ; aussi les femmes vertueuses iront dans un lieu de délices où elles seront enivrées d'un torrent de voluptés, avec des hommes divins qui leur seront soumis : chacune d'elles aura un sérail, dans lequel ils seront enfermés ; et des eunuques, encore plus fidèles que les nôtres pour les garder. J'ai lu, ajouta-t-elle, dans un livre arabe, qu'un homme, nommé Ibrahim, était d'une jalousie insupportable.

Il avait douze femmes extrêmement belles, qu'il traitait d'une manière très dure : il ne se fiait plus à ses eunuques, ni aux murs de son sérail ; il les tenait presque toujours sous la clef, enfermées dans leur chambre, sans qu'elles pussent se voir ni se parler ; car il était même jaloux d'une amitié innocente : toutes ses actions prenaient la teinture de sa brutalité naturelle : jamais une douce parole ne sortit de sa bouche ; et jamais il ne fit le moindre signe, qui n'ajoutât quelque chose à la rigueur de leur esclavage. Un jour qu'il les avait toutes assemblées dans une salle de son sérail, une d'entre elles, plus hardie que les autres, lui reprocha son mauvais naturel.

“ Quand on cherche si fort les moyens de se faire craindre, lui dit-elle, on trouve toujours auparavant ceux de se faire haïr.

Nous sommes si malheureuses, que nous ne pouvons nous empêcher de désirer un changement : d'autres, à ma place, souhaiteraient votre mort ; je ne souhaite que la mienne ; et, ne pouvant espérer d'être séparée de vous que par là, il me sera encore bien doux d'en être séparée.

” Ce discours, qui aurait dû le toucher, le fit entrer dans une furieuse colère ; il tira son poignard, et le lui plongea dans le sein.

“ Mes chères compagnes, dit-elle d'une voix mourante, si le ciel a pitié de ma vertu, vous serez vengées.

” À ces mots elle quitta cette vie infortunée, pour aller dans le séjour des délices, où les femmes qui ont bien vécu jouissent d'un bonheur qui se renouvelle toujours. D'abord elle vit une prairie riante, dont la verdure était relevée par les peintures des fleurs les plus vives : un ruisseau, dont les eaux étaient plus pures que le cristal, y faisait un nombre infini de détours.

Elle entra ensuite dans des bocages charmants, dont le silence n'était interrompu que par le doux chant des oiseaux.

De magnifiques jardins se présentèrent ensuite ; la nature les avait ornés avec sa simplicité, et toute sa magnificence.

Elle trouva enfin un palais superbe, préparé pour elle, et rempli d'hommes célestes, destinés à ses plaisirs. Deux d'entre eux se présentèrent aussitôt pour la déshabiller : d'autres la mirent dans le bain et la parfumèrent des plus délicieuses essences : on lui donna ensuite des habits infiniment plus riches que les siens : après quoi, on la mena dans une grande salle, où elle trouva un feu fait avec des bois odoriférants, et une table couverte des mets les plus exquis.

Tout semblait concourir au ravissement de ses sens : elle entendait, d'un côté, une musique d'autant plus divine qu'elle était plus tendre ; de l'autre, elle ne voyait que des danses de ces hommes divins, uniquement occupés à lui plaire.

Cependant tant de plaisirs ne devaient servir qu'à la conduire insensiblement à des plaisirs plus grands.. »

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