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ACCAPARANT, -ANTE, adjectif.

Publié le 29/09/2015

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ACCAPARANT, -ANTE, adjectif.  

[En parlant d'une personne ou d'une disposition de l'esprit ou d'une activité humaine]  Qui veut, prend ou garde à son usage exclusif une personne ou une valeur attachée à une personne (temps, affection, etc.). Synonymes : envahissant, exigeant, jaloux, avide (confer accaparer II) :  

Ø 1.... où elle [l'intention] tend, c'est à se répandre, à se présenter au dehors sa propre image, à rencontrer d'autres consciences, (...). N'est-ce point (...) la fidèle traduction de cet instinct secret, que l'ardeur de l'adolescent prêt à se donner à tout, à se dévouer, à s'épancher, (...) N'est-ce point aussi la marque de cette envahissante et accaparante ambition, que ces élans de générosité, cette confiance parfois présomptueuse, ou ces découragements mélancoliques d'une âme juvénile qui croit aimer beaucoup parce qu'elle aspire à être beaucoup aimée et qui souffre de ne pas l'être assez, parce que c'est elle qui n'est pas encore assez aimante ni assez désintéressée?

MAURICE BLONDEL, L'Action, Essai d'une critique de la vie,  1893, page 242. 

Ø 2. Un signe de lui, et tout l'avenir d'Anne pouvait être transformé... ce signe, pourtant, il était bien résolu à ne pas le faire. Il imaginait trop bien ce qu'un tel « sauvetage » impliquerait pour lui de charges nouvelles, accaparantes. Tous les gestes engagent; surtout les gestes généreux... Or, il avait sa propre vie à conduire, sa liberté à sauvegarder.

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, l'Été 1914, 1936, page 220. 

Ø 3. Beaucoup de parents emprisonnent simplement leurs enfants dans le besoin qu'ils ont de se les définir et leur imposent par suggestion l'image sommaire qu'ils s'en sont bâclée sur quelques impressions, qu'ils désirent ou redoutent secrètement leur voir accepter. Sans exercer ces tyrannies capricieuses, d'autres parents se croiraient inférieurs à leur tâche s'ils n'enveloppaient leurs enfants d'une affection accaparante, d'une tendresse proprement étouffante;...

EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 100. 

Ø 4.... viens, bouche mes yeux, écrase ma pensée, occupe-moi, sois pesant, exigeant, accaparant, ne me laisse pas seule avec lui;...

JEAN-PAUL SARTRE, La Mort dans l'âme,  1949, page 155. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 20. 

 

Forme dérivée du verbe \"accaparer\"

 accaparer

ACCAPARER, verbe transitif.  

I.—  Dans le domaine de l'économie.  Accumuler, à des fins spéculatives et au détriment d'autres ayants droit, des produits ou des valeurs de première nécessité : 

Ø 1. Ce commerce tend, (...), à transporter, pour ainsi dire, la marchandise d'un temps dans un autre, au lieu de la transporter d'un endroit dans un autre. S'il ne donne point de bénéfice, s'il donne de la perte, c'est une preuve qu'il était inutile, que la marchandise n'était point trop abondante au moment où on l'achetait, et qu'elle n'était point trop rare au moment où on l'a revendue. On a aussi appelé les opérations de ce genre, commerce de réserve, et cette désignation est bonne. Lorsqu'elles tendent à accaparer toutes les denrées d'une même espèce, pour s'en réserver le monopole et la revente à des prix exagérés, on nomme cela des accaparemens. Ils sont heureusement d'autant plus difficiles que le pays a plus de commerce, et par conséquent plus de marchandises de tout genre dans la circulation.

JEAN-BAPTISTE SAY, Traité d'économie politique,  1832, page 104. 

Ø 2. L'ignorance populaire a presque toujours eu en horreur ceux qui ont fait le commerce des grains, et les gouvernements ont trop souvent partagé les préjugés et les terreurs populaires. Les principaux reproches qui ont été faits aux commerçants en blé, ont été d'accaparer cette denrée pour en faire monter le prix, ou tout au moins de faire, sur l'achat et la vente, des profits qui ne sont qu'une contribution gratuite levée sur le producteur et sur le consommateur.

JEAN-BAPTISTE SAY, Traité d'économie politique,  1832 page 210. 

Ø 3. Un marchand d'allumettes a l'instinct de l'accaparement. Accaparer la marchandise est la pensée du boutiquier de la rue Saint-Denis dit le plus vertueux, comme du spéculateur dit le plus effronté. Quand les magasins sont pleins, il y a nécessité de vendre.

HONORÉ DE BALZAC, La Maison Nucingen,  1838, page 638. 

Ø 4. L'esprit d'Évariste, naturellement inquiet et scrupuleux, s'emplissait, aux leçons des Jacobins et au spectacle de la vie, de soupçons et d'alarmes. À la nuit, en suivant, pour se rendre chez Élodie, les rues mal éclairées, il croyait, par chaque soupirail, apercevoir dans la cave la planche aux faux assignats; au fond de la boutique vide du boulanger ou de l'épicier il devinait des magasins regorgeant de vivres accaparés; à travers les vitres étincelantes des traiteurs, il lui semblait entendre les propos des agioteurs qui préparaient la ruine du pays en vidant des bouteilles de vin de Beaune ou de Chablis...

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Les Dieux ont soif,  1912, page 174. 

—  En particulier.  Monopoliser, en se les appropriant, des biens ou des valeurs économiques : 

Ø 5. Quiconque, sans travailler, s'emparait par force ou par adresse de la subsistance d'autrui, rompait l'égalité, et se plaçait au dessus et au dehors de la loi. Quiconque accaparait les moyens de production, sous prétexte d'activité plus grande, détruisait encore l'égalité. L'égalité étant alors l'expression du droit, quiconque attentait à l'égalité était injuste.

PIERRE-JOSEPH PROUDHON, Qu'est-ce que la propriété?, préface, 1840, page 179. 

Ø 6. Pour nous, elle [l'affaire] est magnifique. Écoutez! Nous laissons encore passer quelque temps, puis nous achetons tout en sous-main. Des gens à moi offrent déjà dix pour cent; on accepte... Bref, avant cinq mois, nous accaparons les actions... Alors nous crions à la mauvaise gestion du gérant, nous le flanquons à la porte. Je reprends la direction, nous arrêtons les procès, nous payons les sinistres, nous soldons les dividendes arriérés; avant six mois les actions remontent au pair, et dans un an, par suite d'un mouvement de bascule naturel, elles ont doublé de valeur. Alors, nous réalisons nos dix millions... Comprenez-vous?

THÉODORE BARRIÈRE, ERNEST CAPENDU, Les Faux bonshommes,  1856, II, 4, page 59. 

Ø 7. Ingelby était libre. Il commença la bataille pour conquérir les cabarets. Les brasseries, dans le Nord, ne vendent de bière qu'autant qu'elles sont propriétaires du fonds des cabarets où l'on débite. L'effort des grandes brasseries tend à accaparer ainsi le plus possible de fonds de commerce, où elles imposeront leurs bières,...

MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 309. 

Ø 8. Si on veut donner une idée simplifiée du mécanisme social, on peut dire : d'un côté, une petite élite bourgeoise de gens riches, les uns compétents et laborieux, les autres oisifs et parasites; élite, qui possède tout, dispose de tout, occupe tous les postes de commandements, et accapare les bénéfices, sans en faire profiter la masse; —  puis, de l'autre côté, cette masse, les vrais producteurs, les exploités : un immense troupeau d'esclaves...

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, page 156. 

II.—  Langue commune.  Prendre ou garder abusivement et à son usage exclusif quelque chose ou quelqu'un qui de droit appartient aussi à autrui. 

A.—  [L'agent est une personne] 

1. [L'objet est une chose] 

a) [Le plus souvent concret ou une valeur de civilisation] :

Ø 9. C'était la première fois, depuis la révolution, qu'on entendait un nom propre dans toutes les bouches. (...) on ne parlait plus que de cet homme qui devait se mettre à la place de tous, et rendre l'espèce humaine anonyme, en accaparant la célébrité pour lui seul, et en empêchant tout être existant de pouvoir jamais en acquérir.

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, tome 1, 1817, page 8. 

Ø 10. Victor Hugo a pris l'ode, Canalis donne dans la poésie fugitive, Béranger monopolise la chanson, Casimir Delavigne accapare la tragédie et Lamartine la méditation.

HONORÉ DE BALZAC, Les Illusions perdues,  1843, page 263. 

Ø 11.... en en voyant arriver encore deux, elle [Nana] se mit à rire, elle trouvait ça trop drôle. Tant pis! On tiendrait comme on tiendrait. Tous étaient debout, il n'y avait que Gaga et Rose Mignon assises, Bordenave accaparant à lui seul deux fauteuils.

ÉMILE ZOLA, Nana,  1880, page 1170. 

b) [Il désigne l'attention, le temps, la vie, d'une personne] :

Ø 12.... ne vous laissant pas même respirer dans l'avenir, elles [ces femmes-là] accaparent en projet votre lendemain, votre surlendemain. Pour Dieu, madame, un peu moins de sollicitude. Ne sentirez-vous donc point que le premier de vos bienfaits serait de nous rendre l'espace et d'épargner tant soit peu notre liberté?

HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime,  8 juillet 1866, page 358. 

Ø 13.... à force d'être inégal à tout, il se prenait pour quelqu'un (...). Son vice, c'était la passion de se rendre intéressant, et comme il ne pouvait compter ni sur ses qualités physiques pour accaparer l'attention, ni sur son ameublement pour retenir les femmes en mal de fauteuils à cinq pieds, il attendait cette faveur de ses écrits tous voués à lui donner de l'importance.

JOE BOUSQUET, Traduit du silence,  1936, page 208. 

—  Absolument : 

Ø 14. N'es-tu pas, en croyant donner, celui qui accapare? Tu étais venu pour partager ma vie... Partager, oui : prendre ta part!

GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, La Vagabonde,  1910, page 312. 

2. [L'objet est une personne] :

Ø 15. [Ma maîtresse] était par trop ingénieuse à m'isoler du reste de la terre; chaque jour c'était nouvelle précaution pour m'accaparer.

FRANÇOIS VIDOCQ, Mémoires de Vidocq, chef de la police de sûreté, jusqu'en 1827, tome 3, 1828-1829, page 337. 

Ø 16. Depuis huit jours, me serai-je rendu grotesque! Ha! ha!... Non seulement je n'ai pas deviné que ce beau monsieur fût ici pour l'agrément d'Henriette... (...) Mais encore, je l'accaparais, le cher Ponta, je le voulais pour moi seul! Je m'accrochais à lui, à elle... Avec un manque de tact!... Je contrariais tout!

HENRY BERNSTEIN, Le Secret,  1913, II, 12, page 29. 

Ø 17. Gilbert lui annonça qu'il allait entreprendre un travail de longue haleine. (...). Renée battit des mains : depuis quelque temps, il lui semblait que Gilbert trouvait le temps long auprès d'elle; elle se reprochait de l'accaparer et de le distraire de toute recherche sérieuse.

MARCEL ARLAND, L'Ordre,  1929, page 330. 

Ø 18. C'est là un des moments le plus pénible de l'épreuve quand d'un air négligent ou supérieur ils réclament un rendez-vous. Au moment où je réponds les mots rituels : « Robert est tellement pris en ce moment », je sens leur regard sévère qui me met en accusation; et je finis par m'avouer coupable; je suis sa femme, oui; mais d'abord, de quel droit? Et puis ça n'est pas une raison pour l'accaparer : un monument public, ça appartient à tous.

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 182. 

B.—  [L'agent est une chose : force contraignante de nature spirituelle, morale, passionnelle, etc.; l'objet désigne une personne ou son esprit, son temps, etc.] :

Ø 19.... depuis la malheureuse agitation de la Réforme, il semble que la pensée et l'action chrétiennes de notre pays se soient comme hypnotisées sur certains points de morale, je dirai même sur certains scrupules de moeurs, qui ont bien leur intérêt, mais qui ne méritaient peut-être pas de retenir, d'accaparer, d'immobiliser toutes les forces. Ces questions si particulières ont paru devenir le pivot de la vie religieuse. On a négligé en leur faveur des soucis plus graves; on a laissé en jachère un domaine spirituel autrement étendu.

LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Copains,  1913, page 226. 

Ø 20. Le comte d'Orgel naissait à un sentiment nouveau. Il avait toujours évité l'amour comme une chose trop exclusive. Pour aimer il faut du loisir, et les frivolités l'accaparaient. Mais la passion s'insinua en lui si habilement qu'il y put à peine prendre garde.

RAYMOND RADIGUET, Le Bal du comte d'Orgel,  1923, page 94. 

Ø 21. Cuverville. 18 juillet. Exaspéré par cette relation de voyage (deuxième partie) dont je ne veux, ni ne peux me distraire, qui m'accapare et retient toutes mes pensées. Je tâche de pousser jusqu'au bout la lecture des données immédiates; j'ai bien du mal...

ANDRÉ GIDE, Journal,  1927, page 843. 

Ø 22. La pensée de Jenny ne le quittait pas. Il se répétait ses paroles, il vibrait tout entier à leur écho, il entendait encore les moindres inflexions de sa voix. Ce n'était pas assez dire que cette présence ne le quittait pas : elle vivait en lui; il en était accaparé; au point qu'il était dépossédé de lui-même; au point que l'aspect des choses, le sens même de l'univers, s'en trouvaient transformés, spiritualisés...

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, page 326. 

Ø 23.... Barthélemy n'était venu que pour m'enlever Geneviève et non seulement j'y consentais, mais encore j'aidais à notre séparation. (...). Mon sentiment avait atteint à un tel paroxysme que je n'en touchais plus que le tourment infatigable; il accaparait tant de place que l'amour lui-même ne trouvait plus, en moi, un seul point libre d'orages où manifester sa douceur.

HENRI BOSCO, Le Mas Théotime,  1945, page 167. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 288. 

 

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