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cette casserole jusqu'à l'université.

Publié le 06/01/2014

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cette casserole jusqu'à l'université. À quinze ans, les notes scolaires de M. avaient plongé. Et son père, cette fois, s'était manifesté pour la remettre au travail. À seize ans, elle avait fait un bref séjour à l'hôpital après avoir encastré sa première voiture dans un mur. Son père lui avait racheté une berline moins puissante mais elle avait dû payer deux amendes pour excès de vitesse, dont une qui lui avait coûté la moitié de ses économies. La veille de ses dixsept ans, après avoir obtenu son bac, M. avait décidé de quitter la maison et de faire le tour du monde. Son père avait remué ciel et terre pour la retrouver, fait jouer ses relations, engagé des détectives, mais elle avait pris le temps de mûrir son projet et de rassembler l'argent. On l'avait soupçonnée d'avoir usurpé une autre identité. C'était faux. Elle avait laissé à son père un mot qui exprimait ses intentions. Et, chaque semestre, elle lui adressait un courrier pour le rassurer. Son tour du monde s'était en fait limité au continent américain. Elle choisissait des destinations improbables, à l'écart des circuits touristiques. Il lui fallait s'aventurer le plus loin possible, dans des endroits perdus. Un oubli total de soi, une rage et une violence qui répondaient à la douleur enfouie en elle. Ce périple harassant lui avait appris que d'autres souffrances existaient sur Terre. Mais c'est aussi à cette période qu'elle avait ôté la vie à un homme... Un samedi soir, sur un sentier qui longeait une plage de la côte ouest du Mexique, près de Puerto Vallarta, tandis que la fête battait son plein dans les bars, M. avait croisé un type éméché. Il l'avait abordée, l'avait serrée de trop près, et quand elle avait voulu s'en débarrasser, il s'était jeté sur elle. Ils se trouvaient trop loin des dancings pour que ses cris puissent alerter quiconque. Elle s'était débattue, mais c'était un homme jeune, solidement bâti, et il avait réussi à la plaquer au sol. Ce qui s'était passé ensuite, elle aurait voulu ne jamais avoir à s'en souvenir. Alors qu'il cherchait à lui maintenir le buste, elle avait saisi une poignée de terre et l'avait écrasée sur le visage de son agresseur pour l'aveugler ; puis, comme il tentait de s'essuyer, elle avait réussi à se dégager en rampant. Il l'avait rattrapée par la cheville pour la ramener vers lui. En raclant la terre de ses ongles, elle avait rencontré un gros galet, l'avait empoigné et, dans un effort inouï, s'en était servi pour frapper le violeur à la pomme d'Adam, puis à la figure, au crâne. Elle avait ensuite martelé sa tête jusqu'à ce qu'il s'affaisse, en sang, assommé, mort. Elle était restée un moment prostrée près du corps, dans l'obscurité. Après, elle s'était enfuie. La police mexicaine ramassait trop de cadavres dans le coin pour ouvrir une enquête susceptible de déboucher sur un mandat de recherche international. M. était rentrée à Boston. Son père ne lui avait pas posé de questions, mais il s'était inquiété de savoir ce qu'elle comptait faire pour ses études. Il avait sans doute peur de la braquer à nouveau et de la perdre tout à fait. Trois ans plus tard, il se tuait aux commandes de l'avion qu'il pilotait. Quels avaient alors été les sentiments de M. ? Le chagrin, le désarroi, l'incompréhension. Une culpabilité qui semblait insurmontable. Et, plus inavouable encore, un soulagement. L'envie de vivre une vie qui ne lui laisserait aucun remords. L'héritage qu'elle avait reçu de ses parents la préservait de tout souci financier, mais elle n'y attachait aucun prix. Il lui permettait seulement de circuler à sa guise, sans mesurer combien cette aisance la distinguait de la plupart des gens de son âge. Elle n'en faisait jamais état. C'était là, et pour ainsi dire sans qu'elle y soit elle-même. Aujourd'hui, elle logeait dans un quartier de l'Ouest parisien, dans l'appartement de sa tante paternelle, Jane Evans. Celle-ci l'avait accueillie comme sa propre enfant. Jane était la seule à connaître une partie des épreuves qu'avait traversées la jeune fille. Elle s'était démenée auprès de l'administration pour que M. puisse s'inscrire en troisième cycle à la Sorbonne afin d'avoir une chance de retrouver un équilibre. Elle pourrait voyager comme elle le désirait, elle avait besoin de se sentir libre, écoutée, et protégée par moments. Jane veillait sur elle avec délicatesse. Ainsi, Marion n'effaçait rien de son histoire, elle cherchait seulement à la dépasser. C'est alors qu'Yvan Sauvage et son mystère avaient surgi pour lui rendre soudain l'avenir désirable. 9 Il avait dormi la fenêtre ouverte. La chaleur et les notes de musique montant de la rue donnaient à cette nuit une saveur estivale. Plus tôt dans la soirée, Yvan avait pris quelques verres avec les membres d'un groupe de musique cubaine qui jouait dans un bar, près de chez lui. Il avait dansé, bu, fait la fête, partagé des conversations métaphysiques et chaotiques avec des inconnus. S'il n'avait pas été à deux pas de son domicile, il aurait prolongé ces bacchanales sans idée de retour. Vers dix heures, Marion arpentait les trottoirs parisiens, les paupières battues par l'insomnie. Elle se retrouva bientôt au pied de l'immeuble d'Yvan. Le digicode de la porte d'entrée ne fonctionnait plus, il l'avait prévenue. Elle poussa le lourd battant et se dirigea vers la cage d'escalier. Les parties communes étaient à rénover, murs défraîchis, tapis élimés. Et l'ascenseur montait par à-coups, faisant redouter un arrêt intempestif entre deux étages. Marion patienta stoïquement jusqu'à la dernière secousse précédant l'arrêt de l'engin. En sortant, elle tomba nez à nez avec une vieille dame coiffée d'un foulard élégant qui, elle, n'avait pas hésité à monter par l'escalier. L'octogénaire lui lança un regard furtif tout en ouvrant la porte de son appartement, mitoyen de celui d'Yvan. Marion attendit d'être seule pour s'annoncer d'un coup de sonnette. Une voix étouffée lui parvint. -- J'arrive, un instant... Elle consulta le portable qu'elle avait presque toujours en main. Dix heures trente. Elle l'avait réveillé, constata-t-elle en se pinçant les lèvres. Derrière la porte, Yvan enfila un jean, fouilla dans un amas de linge pour en extraire une chemise propre, et fit un saut dans la salle de bains pour tenter de sauver la situation. Mais trois gouttes d'eau ne lui rendraient pas son teint de communiant, et sa tignasse résistait à la brosse. Tant pis. Lorsqu'il ouvrit à Marion, celle-ci resta plantée sur le seuil. -- Je peux repasser plus tard, excusez-moi d'être arrivée aussi tôt. -- Non, non, ce n'est pas grave, c'est plutôt moi qui devrait m'excuser. Je n'ai pas mis le réveil. Habituellement, je suis debout aux aurores. Marion entra. Yvan l'invita à prendre place sur la seule chaise encore disponible, les autres servant d'étagères. Il renonça à se laisser choir dans le grand fauteuil en cuir. -- Je ne tombe pas au meilleur moment, fit Marion. -- Pour le rangement de mon appartement, il n'y a pas de bon moment, en fait. Yvan fila dans la kitchenette et mit de l'eau à chauffer. Puis il passa la tête dans le salon. -- Je prépare du thé, vous en voulez ? Ou alors du café ? Elle accepta le thé pour l'accompagner dans son petit déjeuner. Il ne s'était pas rasé depuis des jours et ses cheveux étaient hirsutes. L'appartement sentait la cire mélangée à la cannelle. Ce n'était pas désagréable. -- Vous êtes surprise ? Ce n'est pas ce que vous aviez imaginé, n'est-ce pas ? lança Yvan en suivant le regard que Marion promenait autour d'elle. -- Euh, non... Je m'intéressais à vos toiles, près du bureau. C'était lui mentir un peu. Yvan se montra flatté. -- Ah, les toiles. En effet, elles sont exceptionnelles. J'y tiens beaucoup. Ce sont des oeuvres qui m'ont été offertes par des connaissances. Elles ne sont pas suffisamment mises en valeur, l'éclairage ne convient pas, mais ici, difficile de faire mieux. -- Au moins, vous avez tout sous la main, fit Marion. -- C'est si petit que ça chez moi ? s'inquiéta Yvan. -- Excusez-moi, je ne voulais pas... J'habite aussi un endroit où je n'ai qu'à tendre le bras pour lire ou me préparer un repas. Là, elle mentait effrontément. Sa chambre à elle seule faisait la surface du domicile d'Yvan. Et Marion n'occupait qu'une petite partie du duplex dont sa tante était propriétaire sur la rive droite, à proximité du parc Monceau. -- Un studio, c'est de votre âge. Moi, j'avais une maison, et puis... Retour à la case départ. Les aléas de l'existence. Passons. Elle l'observait à la dérobée tout en buvant un thé qui lui brûlait le palais. Elle finit par se tortiller sur son siège et préféra se remettre debout, la tasse à la main. Yvan s'était mis en quête de chaussures et farfouillait dans un carton à demi ouvert, lui tournant le dos. Elle le trouvait amusant dans son petit appartement tout en désordre, avec sa tête ébouriffée des matins douloureux. À le voir en conférence parler de son métier, de l'art, elle s'était représenté sa vie dans un décor bourgeois, cossu, avec un cabinet de curiosités digne des esthètes du siècle romantique. Or il habitait un logement de célibataire, une sorte de caverne d'ermite, n'étaient le mobilier et les bouquins qui grimpaient jusqu'au plafond. Il n'avait donc personne dans sa vie ? L'endroit était si exigu qu'il donnait l'impression de ne rien pouvoir cacher de son occupant. Pourtant, Marion pressentait chez lui des pans d'ombre, une fragilité qu'elle pouvait partager. Sa réserve, cette manie de s'excuser lui parlaient secrètement. Yvan la tira de ses réflexions en lui montrant une série de photos sorties de son imprimante. Il la laissa regarder une à une les images tout en la contemplant à son tour. L'attention que portait Marion à ces clichés était fascinante. Elle les absorbait du regard, les parcourait du bout des doigts. Yvan s'était

« Ainsi, Marion n’effaçait riendeson histoire, ellecherchait seulement àla dépasser.

C’estalors qu’Yvan Sauvage etson mystère avaientsurgipourluirendre soudain l’avenirdésirable.. »

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