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elle avertit en même temps des dangers inhérents à ce triomphe.

Publié le 06/01/2014

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elle avertit en même temps des dangers inhérents à ce triomphe. Pour devenir une histoire, les détails de ce qui est arrivé à la grand-mère, de ce qui est arrivé en temps réel, dans l'histoire réelle, à une personne réelle, auraient à être subordonnés au plan général qui existait déjà, pour des raisons idiosyncrasiques quelconques de personnalité, de préférence et de goût, dans l'esprit de la petite-fille - à la manière dont les petites pierres ou tesserae utilisées par les artisans grecs ou romains étaient insérées dans le ciment selon un plan conçu par l'artiste, une invention sans laquelle (vous dirait l'artiste) les tesserae, qui pouvaient être des pierres semiprécieuses comme l'onyx, le quartz ou le jaspe, ou bien simplement des morceaux de pierre, n'auraient été rien d'autre, en fin de compte, que des morceaux de pierre vaguement attrayants. Autre façon de dire la même chose, la proximité vous rapproche de ce qui s'est passé, est responsable des faits que nous recueillons, des artefacts que nous possédons, des citations Verbatim des gens que nous enregistrons ; mais la distance est ce qui rend possible l'histoire de ce qui s'est passé, c'est précisément ce qui donne à quelqu'un la liberté d'organiser et de composer ces fragments dans un ensemble plaisant et cohérent - de prendre, par exemple, trois propos séparés, tenus par une personne au cours de trois soirées différentes, et de les enchaîner parce que, de cette façon, ils génèrent un effet dramatique beaucoup plus puissant que si on les trouvait dans trois chapitres successifs d'un livre. Longtemps, une fois accompli notre dernier voyage, cette idée du triomphe de la distance, du narrateur, m'a paru à la fois attrayante et intéressante. Et pourquoi pas ? Je suis l'héritier de mon grand-père qui (les gens avaient l'habitude d'en rire quand j'étais petit) pouvait aller à l'épicerie du coin pour acheter du lait et en revenir avec une histoire étonnante et dramatique. Si vous êtes une certaine personne dans une certaine famille, vous n'avez pas besoin de grandchose pour inventer une histoire. C'est pour cette raison que, lorsque je suis revenu du Danemark et que j'ai regardé mes douzaines d'enregistrements vidéo, fait le point sur toutes les histoires que j'avais entendues tout en reconnaissant que nous n'avions pas obtenu l'histoire complète que nous avions espérée, j'ai considéré tout ça et je me suis dit, Ça suffit. Je me suis dit, Genug ist genug. Je me suis dit, Nous avons terminé.     Cinquième partie Vayeira, ou L'Arbre dans le jardin (8 juillet 2005)       ... Dans l'état d'esprit où l'on «observe», on est très au-dessous du niveau où l'on se trouve quand on crée. Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleur     Les funérailles de Mme Begley ont eu lieu un mardi matin, brillant et froid, de la fin du mois de décembre. Elle était morte un samedi, deux jours avant son quatre-vingt-quatorzième anniversaire. Comme d'habitude, elle avait eu raison : je n'avais pas écrit assez vite. Pendant des mois, elle n'avait pas été bien. Pas pien, pas pien du tout, coupait-elle sur un ton las quand j'étais assez idiot pour commencer une de nos conversations téléphoniques par un mécanique Comment allez-vous ? Je connaissais déjà la réponse à ce moment-là. Même si elle avait commencé à paraître un peu plus frêle, son esprit, pour autant que je pouvais en juger, était intact. Elle écoutait attentivement quand je la tenais au courant de mes voyages, de ma recherche, de mon travail d'écriture ; elle a été très sympathique, de manière presque déconcertante, quand je lui ai annoncé, au cours d'une longue conversation téléphonique un après-midi, que je venais d'apprendre la mort de Dyzia Lew en Biélorussie ; que nous n'irions donc jamais à Minsk. Nous partons tous, un par un, avait-elle dit d'une voix plate. Elle continuait à lire le Times et la New York Review of Books, du début jusqu'à la fin et, pendant toute l'année 2004, elle m'a appelé souvent pour me donner son commentaire sur tel ou tel article que j'avais écrit. Un mois avant sa mort, nous avons parlé au téléphone des tragiques grecs et, de nouveau, elle m'a raconté une histoire que j'avais entendue pour la première fois un jour de janvier, près de cinq ans plus tôt, lorsque j'étais venu, un peu nerveux, lui rendre visite chez elle et qu'elle m'avait servi la première de tant de tasses de thé. L'histoire était la suivante : peu après la fin de la guerre en Pologne, le premier événement culturel organisé avait été une représentation de l'Antigone de Sophocle. Comme nous le savions bien tous les deux, Antigone est une pièce qui parle d'un individu qui se dresse bravement contre un gouvernement autoritaire et qui meurt pour ça. Mais il y a d'autres formes de résistance qui sont impensables dans la tragédie grecque ; par exemple, la survie. Aujourd'hui, lorsque je fais un cours sur la tragédie grecque, je raconte les deux histoires : celle d'Antigone en Pologne et celle de Mme Begley qui s'est cachée et qui a survécu. Les Grecs, soupirait-elle profondément au téléphone, les Grecs, le théâtre, je les connaissais tous autrefois, j'avais l'habitude d'aller tout voir. Mais son corps défaillait, je le savais, même si, comme d'habitude, je refusais de penser à la fin, au point où allait finir par conduire cette défaillance. Ses genoux la gênaient, disait-elle chaque fois que nous parlions, chaque fois que je lui rendais visite dans le haut de Lexington Avenue, où elle ne venait plus m'accueillir à la porte, mais m'attendait installée dans son trône, la climatisation éteinte, ou bien assise à la table de la salle à manger, sur la chaise la plus proche de la cuisine, devant les plats de saumon fumé, de petits pains et de pâtisseries en rangs serrés. Quelle importance si je suis coincée ici, avait-elle dit au téléphone avec un ricanement un peu sinistre, au milieu du mois d'août de sa dernière année, quand une panne générale avait privé New York d'électricité, je ne peux pas bouger quoi qu'il en soit ! De mon appartement de la 71e Rue, j'avais appelé son appartement sur la 94e Rue pour voir si elle n'avait besoin de rien. Mon téléphone électrique était mort, comme tous les autres, mais j'avais sorti d'un placard un vieux téléphone, un énorme modèle noir des années 1950 que j'avais acheté pour me faire plaisir au marché aux puces. Ce téléphone n'avait pas besoin d'électricité pour fonctionner, pas plus que celui qu'utilisait, je le savais, Mme Begley. En composant laborieusement son numéro, laissant le cadran revenir à sa position initiale après chaque chiffre, procédé dont je n'avais plus entendu le son depuis des années, ce son qui ravivait des souvenirs de ma mère avec le vieux téléphone à cadran dans la cuisine, agitant sa tête blonde en direction de la maison des voisins ; en composant le numéro, je savais que je parviendrais à la joindre. Sa voix, lorsqu'elle avait répondu, semblait animée et étrangement amusée par la surprise, comme si l'excitation provoquée par la crise dans la ville entière était un soulagement par rapport aux nouvelles rassises de sa santé défaillante. Elle m'avait dit que, oui, elle allait bien, que, non, je n'avais pas besoin de lui apporter quoi que ce fût. J'avais regardé par ma fenêtre les immeubles sombres du côté est de mon quartier et en jouant avec le lourd combiné, j'avais dit, Nous sommes probablement les seules personnes dans New York à pouvoir avoir une conversation téléphonique ! Vous savez pourquoi ? avait-elle murmuré. C'est parce que nous sommes les seuls à avoir gardé ces téléphones ! C'est parce que nous aimons tous les deux les vieilles choses ! Ha ! Elle avait donc des problèmes avec ses genoux. Ou bien elle avait des déficiences de sodium, de calcium ou peut-être de potassium, je ne parviens pas à me souvenir du nom des éléments chimiques qui étaient trop rares ou trop abondants dans son sang, mais je savais qu'une de ces déficiences provoquait un problème qui l'enrageait et la frustrait, qui était une sorte d'aphasie. Elle était au beau milieu d'une conversation et, tout à coup, elle prenait un air à la fois
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« quand oncrée. MarcelProust, Àl'ombre desjeunes fillesenfleur     Les funérailles deMme Begley onteulieu unmardi matin, brillant etfroid, delafin dumois de décembre.

Elleétait morte unsamedi, deuxjours avant sonquatre-vingt-quatorzième anniversaire.

Commed'habitude, elleavait euraison :je n'avais pasécrit assez vite. Pendant desmois, ellen'avait pasétébien.

Pas pien, paspien dutout, coupait-elle surunton las quand j'étaisassezidiotpour commencer unedenos conversations téléphoniques parun mécanique Comment allez-vous ? Je connaissais déjàlaréponse àce moment-là.

Mêmesielle avait commencé àparaître unpeu plus frêle, sonesprit, pourautant quejepouvais enjuger, était intact.

Elleécoutait attentivement quandjelatenais aucourant demes voyages, dema recherche, demon travail d'écriture ;elle aété très sympathique, demanière presque déconcertante, quandjelui aiannoncé, aucours d'une longue conversation téléphonique un après-midi, quejevenais d'apprendre lamort deDyzia LewenBiélorussie ;que nous n'irions donc jamais àMinsk.

Nouspartons tous,unpar un,avait-elle ditd'une voixplate.

Elle continuait àlire le Times et la New YorkReview ofBooks, du début jusqu'à lafin et, pendant. »

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