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fuite, déguisée, avec son petit garçon sous le bras, de cachette en cachette, de faux nom en faux nom ?

Publié le 06/01/2014

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fuite, déguisée, avec son petit garçon sous le bras, de cachette en cachette, de faux nom en faux nom ? Mme Begley m'avait regardé. Achhh, avait-elle dit, bien sûr que non, vous me prenez pour une folle  ? Je vais vous dire ce qui s'est passé. Nous étions lentement retournés vers la salle de séjour. Elle s'était assise de nouveau dans le fauteuil et m'avait alors raconté l'histoire : comment, une fois la guerre terminée, après avoir retrouvé son mari, le docteur important de Stryj qui, comme tant de docteurs, avait été emmené par les Russes, lors de la retraite de 1941, elle avait pris contact avec quelqu'un qui vivait dans leur ancienne maison, la fameuse maison que j'avais essayé, sans succès, de retrouver, l'été précédent. Il m'a dit qu'il avait récupéré une bonne partie de mes photos, avait-elle dit, et que si je les voulais, je pouvais envoyer de l'argent à telle personne à telle adresse. Elle avait fait une grimace, même si l'expression n'était pas dénuée d'humour. Je l'ai donc fait pendant un certain temps, j'envoyais de l'argent et il envoyait une photo, deux photos. Je n'avais rien dit. J'essayais d'imaginer quelle rançon j'aurais été prêt à payer pour récupérer mon passé. Mais, finalement, mon mari s'est mis en colère, il en avait assez et j'ai arrêté. Elle s'était tue un moment pendant que ses yeux s'illuminaient en regardant les étagères de photos de Louis et de sa famille. Et vous voyez, j'ai beaucoup de photos maintenant, avait-elle dit.     Chez Jack Greene, la photo de Shmiel, Ester et Bronia a commencé à délier les langues, et la conversation à propos de mon grand-oncle et de sa famille disparus est soudain devenue houleuse et quelque peu désordonnée. Pendant tant d'années, nous avions su si peu de choses à leur sujet que c'en était frustrant. A présent, je me sentais frustré pour la raison inverse, parce que je n'étais pas capable de tout entendre à la fois. Sans savoir à qui j'aurais dû parler en premier, où poser le micro sur la table, entendant des bribes de conversation en provenance de tous les coins, je me suis tourné vers Matt avec une expression angoissée, pendant que les quatre anciens de Bolechow bavardaient entre eux, et j'ai dit, Je suis en train de perdre tout ça. Jack Greene disait, Je me souviens des Jäger, je me souviens de Shmiel Jäger, je me souviens d'Itzhak Jäger - vous savez qu'il est allé en Palestine dans les années 1930 ? Oui, ai-je répondu, je sais. Itzhak, le frère de Shmiel, le frère qui, m'avait dit ma mère à un moment donné, était celui dont son père se sentait le plus proche, celui qu'il aimait le plus, Itzhak qui avait été arraché à Bolechow par sa femme ardemment sioniste pour partir au Moyen-Orient avec leurs deux enfants. De l'autre côté de la table, Boris Goldsmith souriait et essayait de se faire entendre. Je me souviens, a dit Boris, qu'il a eu la première radio de la ville. Elle était énorme - levant les deux mains pour esquisser une grande boîte - avec une énorme antenne. Le r de « énorme » restait coincé au fond de sa gorge, sous la luette - exactement là où mon grand-père l'aurait placé. Elle était très haute, l'antenne, a dit Boris. On ne pouvait même pas l'entendre... Il a eu aussi le premier téléphone. La première radio, le premier téléphone. Le premier de son village. Pendant que Boris racontait cette histoire, que j'appréciais parce qu'elle correspondait à une idée que je me faisais déjà de Shmiel, des fragments d'une autre histoire sur les produits électroménagers et le statut social a scintillé à la périphérie de ma mémoire, même si ce n'est qu'à mon retour chez moi, quand j'ai appelé ma mère, que j'ai pu m'en souvenir avec précision. Mon père avait acheté à Oncle Itzhak et Tante Miriam le premier réfrigérateur qu'on ait vu à Haifa, m'a dit ma mère au téléphone. Ils n'avaient pas de réfrigérateur et lorsqu'ils ont enfin eu l'électricité là où ils vivaient, mon père a pensé qu'ils devraient avoir un réfrigérateur, et il leur en a fait envoyer un. Itzhak et Miriam étaient l'objet de toutes les rumeurs de la ville ! Mais, au cours de ce dimanche après-midi en Australie, je n'arrivais pas à me souvenir de l'histoire. Vous le  connaissiez  donc  bien ?  ai-je  demandé  à  Bons Goldsmith. Je le connaissais très bien ! Et je n'arrivais pas à penser à une autre question à lui poser. C'était ça, l'étrangeté de ce voyage : j'étais enfin là, parlant à des gens qui les avaient bien connus, très bien même, et je ne savais pas par où commencer. Je me faisais l'effet de quelqu'un qui se trouve devant une porte cadenassée à qui on a donné un grand trousseau de clés. Je me suis rendu compte à cet instant précis à quel point j'étais mal préparé. Comment découvrir qui était une personne en particulier ? Comment décrire une personnalité, une vie ? Cherchant mes mots, gêné, je me suis tourné vers Boris Goldsmith. Alors c'était quel genre de personne ? ai-je demandé. Boris a eu l'air décontenancé. C'était une personne ordinaire, a-t-il dit d'une voix lente. Il était boucher. Il avait deux camions. Il faisait la route de Bolechow à Lvov. Boucher, camions, Lvov. Je savais déjà ou, du moins, j'aurais pu le deviner. Je me sentais impuissant. Et vous avez connu Ester ? ai-je dit, hésitant. Oh oui... J'y allais très souvent. C'était de l'autre côté de la rue. J'habitais déjà là quand ils ont emménagé... Il avait habité en face de chez eux ! Je me suis souvenu, à ce moment-là, d'un autre moment très précieux, dix-huit mois plus tôt, quand j'avais fait la connaissance d'Olga et de Pyotr et qu'elle avait dit, Znayu, znayu, je les ai connus, je les ai connus. Je n'avais pas rêvé alors que je pourrais m'approcher d'encore plus près. Et maintenant que j'y étais, la seule question à laquelle je pouvais penser, c'était, Vous vous souvenez quand il a emménagé ? Boris a secoué la tête pour s'excuser et dit, Je ne m'en souviens pas. C'était il y a très longtemps. La façon dont il a dit C'était il y a très longtemps m'a fait penser au début d'un conte de fées. La pièce est devenue silencieuse. Boris s'est remis à parler. La maison existait déjà, a-t-il dit. Quand il a emménagé, il a commencé à tout reconstruire. Il l'a transformée complètement. Puis il a acheté les deux camions, des Studebaker. Il avait un service de livraisons avec un partenaire, un type qui s'appelait Schindler. J'ai jeté un coup d'oeil en direction de Matt. Il m'a souri rapidement, mais n'a rien dit. Boris a poursuivi, Lorsque les Russes sont arrivés en 39, ils ont confisqué ses camions, et à ce moment-là il est parti dans la campagne acheter du bétail pour le gouvernement. Bétail. Mon grand-père aurait prononcé comme ça : Batail. Acheter du bétail pour le gouvernement ? ai-je demandé. C'était intéressant : je m'étais toujours demandé ce qui était arrivé à Shmiel pendant ces deux années d'occupation soviétique, entre 1939 et 1941. Bob a interjeté, Oui, pour le gouvernement, parce qu'il était employé par le gouvernement à ce moment-là. C'était un employé du gouvernement ! a confirmé Boris, d'une voix forte. Oui, les communistes ! Ce n'est que plus tard que j'ai lu le témoignage d'un survivant sur les années soviétiques : la liquidation et la nationalisation de toutes les entreprises ; les impôts intolérablement élevés, la désintégration du zloty polonais et, par conséquent, l'évaporation soudaine de toutes les liquidités, les queues devant les quelques magasins qui avaient des choses à vendre. Les déportations inattendues, en pleine nuit, des « contre-révolutionnaires bourgeois » vers la Sibérie - une bénédiction cachée, comme l'avenir allait le montrer. J'ai lu ça et j'ai essayé d'imaginer ce que partir dans la campagne acheter du bétail pour le gouvernement avait pu signifier pour Shmiel, qui avait laissé tomber une vie aux Etats-Unis, des années auparavant, pour reconstruire la fortune de sa famille. La liquidation de la vieille entreprise familiale, la saisie des deux camions Studebaker, l'appropriation par un petit fonctionnaire soviétique des responsabilités qui avaient autrefois appartenu au dirigeant du cartel des bouchers et, finalement, l'assignation à un travail subalterne humiliant - même si c'était un travail lié à la profession qu'il connaissait si bien. Ce n'est pas avant que Boris ait dit parti dans la campagne acheter du bétail pour le gouvernement, que j'ai clairement pensé au fait que Shmiel était boucher, qu'il était quelqu'un qui gagnait sa vie avec les animaux, comme l'avait fait sa famille depuis des générations. Lorsque j'étais enfant et que mon grand-père nous rendait visite, il m'emmenait, à un moment donné de son séjour, ainsi que ma mère - il conduisait son break -, jusqu'au centre commercial où, entre un coiffeur et une pharmacie, s'était nichée une boucherie cascher. Cette boucherie, étroite et toujours d'un froid déroutant à cause des casiers ouverts qui couraient le long du sol d'un côté et étaient remplis de foies et d'intestins farcis congelés et sous plastique, était tenue par deux frères avec qui mon grand-père passait un bon moment à parler en yiddish. Je me suis souvent demandé, à l'époque, pourquoi nous repartions presque toujours sans rien acheter, et c'est seulement lorsque Boris avait dit parti à la campagne acheter du bétail pour le gouvernement que j'ai compris que mon grand-père y allait non seulement pour entendre le son du yiddish, mais pour parler de viande, pour parler du commerce de sa famille.     Quelque chose m'est venu à l'esprit pendant que Boris parlait. Si Shmiel avait, à un moment donné, emménagé dans une maison en face de celle de Boris Goldsmith, alors la maison que nous avions visitée à Bolechow, la maison ancestrale des Jäger, la n° 141, où vivaient à présent

« grand-père l'auraitplacé. Elle était trèshaute, l'antenne, adit Boris.

Onnepouvait mêmepasl'entendre...

Ilaeu aussi le premier téléphone. La première radio,lepremier téléphone.

Le premier deson village.

Pendant queBoris racontait cettehistoire, quej'appréciais parcequ'elle correspondait àune idée quejeme faisais déjà deShmiel, desfragments d'uneautrehistoire surlesproduits électroménagers etlestatut social ascintillé àla périphérie dema mémoire, mêmesice n'est qu'àmon retour chezmoi, quand j'aiappelé mamère, quej'aipum'en souvenir avecprécision.

Mon pèreavait acheté à Oncle Itzhak etTante Miriam lepremier réfrigérateur qu'onaitvuàHaifa, m'a ditma mère au téléphone.

Ils n'avaient pasderéfrigérateur etlorsqu'ils ontenfin eul'électricité làoù ils vivaient, monpèreapensé qu'ilsdevraient avoirunréfrigérateur, etilleur enafait envoyer un. Itzhak etMiriam étaientl'objetdetoutes lesrumeurs delaville ! Mais, aucours dece dimanche après-midi enAustralie, jen'arrivais pasàme souvenir del'histoire. Vous le connaissiez  donc bien? ai-je  demandé  à Bons Goldsmith. Je leconnaissais trèsbien ! Et jen'arrivais pasàpenser àune autre question àlui poser.

C'était ça,l'étrangeté decevoyage : j'étais enfinlà,parlant àdes gens quilesavaient bienconnus, trèsbien même, etjene savais pas paroùcommencer.

Jeme faisais l'effetdequelqu'un quisetrouve devant uneporte cadenassée àqui onadonné ungrand trousseau declés.

Jeme suis rendu compte àcet instant précis àquel point j'étais malpréparé.

Comment découvrirquiétait unepersonne en particulier ?Comment décrireunepersonnalité, unevie?Cherchant mesmots, gêné,jeme suis tourné versBoris Goldsmith. Alors c'était quelgenre depersonne ?ai-je demandé.

Borisaeu l'air décontenancé. C'était unepersonne ordinaire, a-t-ilditd'une voixlente.

Ilétait boucher.

Ilavait deux camions. Il faisait laroute deBolechow àLvov. Boucher, camions,Lvov.Jesavais déjàou,dumoins, j'aurais puledeviner.

Jeme sentais impuissant. Et vous avezconnu Ester?ai-je dit,hésitant.

Ohoui...

J'yallais trèssouvent.

C'étaitdel'autre côté delarue.

J'habitais déjàlàquand ilsont emménagé... Il avait habité enface dechez eux ! Jeme suis souvenu, àce moment-là, d'unautre moment très précieux, dix-huitmoisplustôt,quand j'avaisfaitlaconnaissance d'Olgaetde Pyotr et qu'elle avaitdit, Znayu, znayu,jeles aiconnus, jeles aiconnus.

Je n'avais pasrêvé alors queje pourrais m'approcher d'encoreplusprès.

Etmaintenant quej'yétais, laseule question à laquelle jepouvais penser,c'était,Vousvoussouvenez quandila emménagé ? Boris asecoué latête pour s'excuser etdit, Jene m'en souviens pas.C'était ilya très longtemps. La façon dontila dit C'était ilya très longtemps m'a faitpenser audébut d'unconte defées. La pièce estdevenue silencieuse.

Boriss'estremis àparler. La maison existaitdéjà,a-t-ildit.Quand ila emménagé, ila commencé àtout reconstruire.

Ill'a transformée complètement.

Puisila acheté lesdeux camions, desStudebaker.

Ilavait un. »

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