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Hirsch, peut-être au heder, l'école hébraïque, peut-être en jouant dans

Publié le 06/01/2014

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Hirsch, peut-être au heder, l'école hébraïque, peut-être en jouant dans les rues non pavées de la ville ; et s'il se souvenait simplement du nom de l'un d'eux - mon grand-père peut-être, ou Oncle Julius le désespéré, ou peut-être Jeanette - il pourrait non seulement les rétablir, ne serait-ce qu'un instant, dans le présent, mais il allait restaurer, d'une certaine façon, quelque chose d'encore plus précieux Si j'avais commencé à penser à mes voyages à la recherche de la famille de Shmiel comme à une mission de sauvetage, pour arracher au passé quelques échardes de leurs vies, de leurs personnalités j'avais aussi pensé à ce voyage en particulier, avec la possibilité de pouvoir parler à ce vieux, très vieux, M. Grossbard, comme à une mission pour sauver quelque chose de mon grand-père. J'espérais donc secrètement. Si les choses se passaient bien avec cette Mme Grossbard, je me disais que je pourrais trouver un moyen de la persuader de me laisser voir son beau-frère.     En attendant l'arrivée de Meg, nous nous sommes tous assis autour de la table couverte de dentelle dans la salle à manger de Jack et de Sarah. Celle-ci y avait disposé des tasses et des assiettes pour le café et le gâteau ; lorsque Meg arriverait, nous commencerions à manger et à parler. Entre-temps, Jack a regardé les photos que j'avais apportées, les vieilles photos de famille et celles de notre voyage à Bolechow. Vous savez, a-t-il dit, nous avons des surnoms en yiddish pour toutes les villes de la région. Des surnoms ? ai-je répété. Bien sûr, a dit Jack (il employait ces deux mots souvent et avec emphase, ainsi que C'est exact, formule à laquelle il donnait une inflexion polonaise, c'est essact, tout en inclinant nettement la tête en avant). Par exemple, a poursuivi Jack, on disait de quelqu'un qu'il était un krikher de Bolechow, ce qui voulait dire un rampeur. Pourquoi ? ai-je demandé. Parce qu'il fallait ramper par les rues - il y avait tant de rues et de quartiers ! Il souriait, amusé par ce souvenir. Tant de quartiers ? ai-je répété. J'étais troublé, parce que j'avais toujours pensé que Bolechow était minuscule. Lorsque nous y étions allés, mes frères, ma soeur et moi, nous avions eu l'impression ce n'était pas plus grand que le Rynek, la grande place ; la route qui venait de Styj au nord ; et la route qui partait vers le cimetière. Comme nous allions nous en rendre compte, nous n'avions presque rien vu de la ville. Il y avait en fait beaucoup plus que ça. Bien sûr, a dit Jack. Par exemple, il y avait un joli quartier à Bolechow - il regardait une photo en disant cela, un des instantanés de notre voyage en Ukraine, deux ans plus tôt - que nous appelions la Colonie allemande. Il y avait la Colonie allemande, la Colonie italienne. Il y avait un quartier qui s'appelait Bolechow Ruski. Matt et moi nous sommes regardés en riant à l'idée qu'il ait pu y avoir des « colonies » dans ce minuscule shtetl, et Jack a ri, lui aussi. Ouais, on était des sacrés fêtards ! s'est-il exclamé avec vantardise. Il l'a dit sur un ton qui m'a rappelé si vivement mon grand-père que je suis resté une minute sans pouvoir parler. Jack a continué. Prenez Lvov. Elle s'appelait Lemberger pipick. Il a souri. Pipick ? Pipick, c'est le nombril en yiddish. Oui, a-t-il dit. Parce qu'elle avait une place, un rynek, en plein milieu de la ville, c'était comme un nombril ! Dolina, on l'appelait Dolina hoïze. Hoïze, le pantalon. Parce qu'elle n'avait que deux rues, elle faisait penser à un pantalon ! Il s'est interrompu un instant. J'avais connu autrefois les noms de ces villes, et pendant longtemps j'avais pensé qu'elles n'étaient rien d' autre que des destinations, des endroits correspondant à certaines dates, ou à certaines personnes dans l'arbre généalogique de ma famille. Soudain, elles semblaient prendre vie, parce que je pouvais les imaginer à travers le regard des gens qui y avaient vécu, qui avaient inventé ces surnoms idiots et affectueux pour elles. Au moment où Jack nous expliquait la signification de Dolina boise, la sonnette a retenti et Mme Grossbard est entrée.   Elle ne ressemblait pas à ce à quoi je m'attendais. Minuscule, mais droite comme un i, les cheveux auburn, avec des reflets cuivrés, plaqués en arrière dans une coiffure de toute évidence onéreuse, elle donnait l'impression d'être à la fois vive et distante. Elle portait des vêtements sombres qui soulignaient l'aspect brillant de ses cheveux : un chemisier en soie noire, un pull violet. De grandes boucles d'oreilles en or pendaient à ses lobes allongés. Jack l'a embrassée sur les joues quand elle est entrée. Voici Daniel Mendelsohn, a-t-il dit en pointant la main vers moi. Puis, la pointant vers Matt, il a souri et dit, Et voici l'autre M. Mendelsohn. Je suis tellement content de vous rencontrer, ai-je dit. Ma mère est la cousine de Frydka. Oui, a-t-elle répondu en passant devant moi pour aller s'asseoir à la table, où elle s'est immédiatement emparée des photos, je sais. Sans le moindre sourire, elle a passé en revue les photos que Matt avait prises pendant notre voyage en Ukraine : une antique bique à L'viv, dans l'embrasure d'une porte sur laquelle on parvient à peine à distinguer le sillon pour la mésusa qui s'y trouvait autrefois ; un vieil homme sur la petite place de Bolechow, tenant une chèvre en laisse. Pendant que je restais là, réfléchissant à ce que je pourrais bien dire, j'ai remarqué que l'atmosphère de douce réminiscence qui avait caractérisé les quinze premières minutes de cette étrange réunion commençait à s'alourdir. De toute évidence, je n'étais pas le seul à avoir été mis mal à l'aise par Mme Grossbard. Je me suis demandé quelles histoires privées, vieilles de soixante ans, perduraient derrière les salutations polies qui s'échangeaient au même instant. Je devais le découvrir six mois plus tard. Comme j'avais déjà un peu peur d'elle - cette femme sur qui je comptais pour sauver Frydka de l'obscurité totale et qui était déjà réticente de façon indéfinissable mais palpable -, je me suis aperçu que j'essayais instinctivement de l'apaiser, de la même façon que j'essayais, enfant, d'apaiser la quatrième et dernière épouse de mon grand-père, cette femme difficile qui ne souriait jamais, avec son tatouage sur le bras, et dont nous avions tous peur. Aussi, lorsque Mme Grossbard s'est tournée vers moi en sortant d'un sac en plastique une photo pour me la donner - une photo posée de studio de Frydka où la jolie fille, morte depuis longtemps, porte une babouchka et sourit à peine, une image que je n'avais jamais vue auparavant, et où elle ressemble singulièrement à ma mère -, lorsque Mme Grossbard s'est tournée vers moi et a dit, Voici Frydka Jäger, j'ai bêtement répondu, comme pour confirmer quelque chose qu'elle jugeait important, C'est la cousine de ma mère. Elle m'a regardé sans sourire et a dit, Oui, je sais, c'était mon amie, en soulignant à peine, comme il faut, le mot « mon ». Elle s'est replongée dans son sac. Je n'ai que quelques photos de groupe de Frydka, a-t-elle dit. Elle a expliqué qu'elles ne lui appartenaient pas. Elles avaient appartenu à une amie commune de Frydka et d'elle, une jeune femme du nom de Pepi Diamant. Di-AH-mant. Elle a péri, mais son album a survécu, a dit Mme Grossbard d'une voix neutre. J'ai retrouvé son album après la guerre, quand je suis revenue à Bolechow, et j'en ai pris quelques-unes - ses photos, mes photos, les photos de Frydka. Je savais qu'elle voulait dire : les photos de Pepi, les photos de Meg, les photos de Frydka (le surnom de Pepi, je l'ai appris dans l'après-midi, avait été Pepci, prononcé PEP-shuh). Curieusement, Meg ne m'a pas proposé immédiatement de regarder ces photos miraculeusement préservées. Je pouvais seulement apercevoir, à travers le plastique, des instantanés de groupes de filles : en robe d'été devant des portes de jardin ; en maillot de bain au bord de l'eau ; en veste d'hiver à la taille marquée, à skis. De l'autre côté de la table, Boris Goldsmith, serré entre Jack Greene et Bob Grunschlag, regardait d'autres photos. De toute évidence, ils attendaient tous que l'interview commençât. Les ignorant complètement, Mme Grossbard a poursuivi. J'ai vu Frydka pour la dernière fois - c'était à l'époque où nous pouvions encore circuler librement - en février 1942. La dernière fois... Sa voix a déraillé. Elle s'est brusquement tue et m'a regardé droit dans les yeux pour la première fois. Vous avez l'air très aryen, a-t-elle dit sur un ton légèrement accusateur. J'étais stupéfait. Vraiment ? ai-je dit, à demi amusé. Oui, a coupé Meg. C'est très important, vous savez. Nous avons un petit truc à ce sujet, nous tous. Parce que quelqu'un qui avait votre allure avait une chance de vivre. J'étais incapable de trouver une réponse adéquate à ce qu'elle venait de dire, aussi ai-je préféré sortir une photo qui avait appartenu à mon grand-père, une photo sur laquelle Shmiel, les cheveux blancs et l'air fatigué, et Ester, un peu courte avec une poitrine importante dans une robe imprimée, se tiennent, avec un air protecteur, de chaque côté de Bronia, qui a l'air d'avoir dix ans à peu près. J'ai posé la photo sur la table devant Meg Grossbard et elle l'a prise délicatement. Pour la première fois, la dureté et la réticence ont paru se dissoudre, et Meg Grossbard, en hochant doucement la tête, a dit tout bas, Oui. C'étaient ses parents. Et - aussi pour la première fois - elle a souri.  

« Jack acontinué. Prenez Lvov.Elles'appelait Lemberger pipick.

Il asouri.

Pipick ? Pipick, c'est lenombril enyiddish. Oui, a-t-il dit.Parce qu'elle avaituneplace, un rynek, en plein milieu delaville, c'était comme un nombril ! Dolina,onl'appelait Dolina hoïze.Hoïze, le pantalon.

Parcequ'elle n'avaitque deux rues, ellefaisait penser àun pantalon ! Il s'est interrompu uninstant.

J'avaisconnuautrefois lesnoms deces villes, etpendant longtemps j'avaispenséqu'elles n'étaient riend’ autre quedesdestinations, desendroits correspondant àcertaines dates,ouàcertaines personnes dansl'arbre généalogique dema famille.

Soudain, ellessemblaient prendrevie,parce quejepouvais lesimaginer àtravers le regard desgens quiyavaient vécu,quiavaient inventé cessurnoms idiotsetaffectueux pour elles. Au moment oùJack nous expliquait lasignification de Dolina boise, la sonnette aretenti et Mme Grossbard estentrée.   Elle neressemblait pasàce àquoi jem'attendais.

Minuscule,maisdroite comme uni,les cheveux auburn,avecdesreflets cuivrés, plaqués enarrière dansunecoiffure detoute évidence onéreuse, elledonnait l'impression d'êtreàla fois vive etdistante.

Elleportait des vêtements sombresquisoulignaient l'aspectbrillantdeses cheveux :un chemisier ensoie noire, unpull violet.

Degrandes bouclesd'oreilles enorpendaient àses lobes allongés.

Jackl'a embrassée surlesjoues quand elleestentrée. Voici Daniel Mendelsohn, a-t-ilditenpointant lamain versmoi.

Puis, lapointant versMatt, ila souri etdit, Etvoici l'autre M.Mendelsohn. Je suis tellement contentdevous rencontrer, ai-jedit.Mamère estlacousine deFrydka. Oui, a-t-elle répondu enpassant devantmoipour allers'asseoir àla table, oùelle s'est immédiatement emparéedesphotos, je sais. Sans lemoindre sourire,elleapassé enrevue lesphotos queMatt avaitprises pendant notre voyage enUkraine :une antique biqueàL'viv, dansl'embrasure d'uneportesurlaquelle on parvient àpeine àdistinguer lesillon pourlamésusa quis'ytrouvait autrefois ;un vieil homme sur lapetite placedeBolechow, tenantunechèvre enlaisse. Pendant quejerestais là,réfléchissant àce que jepourrais biendire, j'airemarqué que l'atmosphère dedouce réminiscence quiavait caractérisé lesquinze premières minutesde cette étrange réunion commençait às'alourdir.

Detoute évidence, jen'étais pasleseul àavoir été mis mal àl'aise parMme Grossbard.

Jeme suis demandé quelleshistoires privées,vieilles de soixante ans,perduraient derrièrelessalutations poliesquis'échangeaient aumême instant. Je devais ledécouvrir sixmois plustard. Comme j'avaisdéjàunpeu peur d'elle – cette femme surqui jecomptais poursauver Frydka de l'obscurité totaleetqui était déjàréticente defaçon indéfinissable maispalpable –, jeme suis aperçu quej'essayais instinctivement del'apaiser, delamême façonquej'essayais, enfant,. »

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