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Jäger et de Kornblüh avaient contribué à développer, l'homme qui

Publié le 06/01/2014

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Jäger et de Kornblüh avaient contribué à développer, l'homme qui avait écrit un certain nombre de lettres entre janvier et décembre 1939, une femme qui était très chaleureuse, très sympathique, le père de quarante-sept ans de quatre filles, un type toujours chic et assez convaincu de son importance, une jeune fille qui était encore une enfant, dont un homme de soixante-dix-huit ans vivant à Sydney en Australie, se souviendrait de lui avoir dit autrefois, pardessus une barrière, Hallo, Bronia !, un homme, une femme, une enfant qui avaient été contraints de vivre, à ce point de leur existence, en sachant que leur troisième fille et sa soeur aînée, une jeune fille de seize ans à qui son père avait donné, pour perpétuer sa mémoire, le prénom de sa soeur chérie qui était morte, serait-il psalmodié un jour, une semaine avant son mariage, avait été abattue au bord d'une fosse commune ; un oncle, une tante et une cousine qui, à ce moment-là, au moment où lui et elles plus tard avaient entendu peut-être l'étrange sifflement commencer, ont une nièce et une cousine qu'ils n'ont jamais rencontrée, mais qu'il a mentionnée poliment dans plusieurs de ces lettres (Je te salue, ainsi que Gerty et la chère enfant, baisers de moi et de ma femme chérie et de mes enfants à toi et à tous les frères et soeurs aussi), une nièce qui vit dans le Bronx, dans l'Etat de New York, une jolie blonde de onze ans qui porte un appareil dentaire et vient d'entrer, la première semaine de septembre 1942, en sixième (tout comme son futur mari, alors âgé de treize ans, dont une grande partie de la famille serait perdue pour le récit, entrait en quatrième, où il allait jouer avec un garçon que tout le monde appelait Billy Ehrenreich, ce qui n'était pas son vrai nom, mais il vivait après tout à l'étage au-dessus avec les Ehrenreich, un réfugié d'Allemagne qui dirait parfois à mon père qu'il avait eu quatre soeurs dont il avait été séparé et qui avaient, disait-il, « disparu », un mot que mon père, alors petit garçon, ne pouvait pas tout à fait comprendre) - dans cette chambre, ils allaient finir par respirer l'air empoisonné et, au bout de quelques minutes, les vies de Shmiel Jäger, d'Ester Schneelicht Jäger et de Bronia Jäger, des vies qui vont, dans des années, se résumer à une collection de quelques photos et de quelques phrases les concernant, Elle l'a appelé le król, le roi, elle était très chaleureuse, très sympathique, elle n'était qu'un bébé, qui jouait encore avec ses jouets, ces vies, et bien d'autres choses qui étaient vraies à leur sujet, mais ne peuvent plus jamais être connues désormais, ont touché à leur fin.     Ce fut donc la seconde Aktion, à laquelle ont survécu Bob et Jack Greene, parce qu'ils avaient réussi à se cacher, tandis que Shmiel, sa femme et sa fille n'avaient pas su le faire, à supposer qu'ils aient même essayé : une éventualité qui - pensions-nous en Australie -était impossible à confirmer. Pourquoi les Grunschlag avaient-ils réussi à se cacher dans ce minuscule espace derrière la fausse cloison dans l'étable, et les autres non ? Bob nous a raconté une histoire, et de toutes les histoires que nous allions entendre pendant ce voyage, c'est celle qui a le plus affecté mon frère au coeur tendre - sans doute parce que, à la différence des autres horreurs dont nous avons entendu parler et qui défient simplement et, à mon avis, justement toute tentative, aussi bien intentionnée soit-elle, de s'identifier à elles, cette histoire-là concernait quelque chose d'assez petit, d'assez familier, pour être entièrement saisi par les membres innocents de la génération de Matt et moi. Au moment de la seconde Aktion, a dit Bob, il a fallu que je me débarrasse de mon chien. Croyez-moi, c'est la chose la plus dure que j'aie jamais dû faire. Vous ne pouvez pas imaginer. Je l'avais depuis la naissance, j'avais l'habitude de dormir avec lui sur mon lit et, naturellement, le lit était mouillé le matin et ils ne savaient pas si c'était moi ou lui qui l'avait fait ! Il fallait qu'il emmène son chien et qu'il s'en débarrasse, de peur qu'il se mette à aboyer et ne révèle leur cachette derrière la fausse cloison. Au moment où nous l'avons entendue pour la première fois, Matt, qui adore les chiens, a été bouleversé par cette histoire ; et depuis, c'est l'histoire qu'il va raconter lorsqu'il parle de notre voyage en Australie, ce printemps-là, et veut vous faire comprendre, de façon émouvante, l'horreur que ces gens ont connue : celle de ce petit garçon qui avait dû tuer son chien. Je crois que cela l'a ému à ce point précisément parce que c'est tellement minuscule. Pour une raison quelconque, l'horreur de la situation de ce petit garçon, qui doit tuer son chien adoré, est plus facile à saisir, à rendre palpable et à absorber que ne le sont toutes les autres horreurs. L'horreur, par exemple, d'avoir à tuer votre propre enfant, de peur que ses cris ne vous fassent arrêter avec vos compagnons. Mais, bien entendu, à l'époque où Bob Grunschlag nous a raconté cette histoire, nous n'avions pas encore lu le témoignage de Mme Gelernter.   Le vaisseau dans lequel Noé et sa famille, ainsi que les nombreux autres exemples de créatures vivantes sans tache, ont été sauvés, a fait l'objet d'une fascination persistante au cours de l'histoire. Ce qui est intrigant à propos de ce fameux véhicule du salut, c'est l'étrangeté du mot hébreu employé pour décrire ce que nous rendons en général par « arche ». Friedman, à juste titre selon moi, se plaint de cette traduction désormais inévitable, car ce que le nom féminin de tebah signifie au sens propre est en fait « boîte ». C'est certainement ce que nous pouvons déduire de la description qui est faite de l'arche dans le texte : elle est rectangulaire, il n'y a pas de quille, pas de gouvernail, pas de voile, et elle est complètement fermée sur tous les côtés. Il est émouvant de lire les impressions de Friedman concernant cet objet étrangement brut dans lequel l'absence de caractéristiques normalement associées à un navire produit cette image poignante : « Dans ce vaisseau », écrit-il, « les êtres humains et les animaux sont absolument sans défense, jetés sur les eaux sans aucun contrôle sur leur sort. Pour apprécier l'image que ce récit nous met sous les yeux, nous devons imaginer cette boîte de vie sans défense ballottée dans un univers violent qui est en train de craquer. » Cette image d'une impuissance enfantine est, d'une certaine façon, appropriée, puisque le seul autre objet dans la Torah qui soit désigné par le mot tebah est en fait le panier d'osier dans lequel est caché Moïse afin de le faire échapper à un autre exemple de tentative d'annihilation totale dans la Torah : le décret du pharaon d'Egypte de faire mourir chaque nouveau-né d'Israël. Comme l'arche de Noé, le panier de Moïse est un humble objet, fait par la main de l'homme, totalement fermé, scellé au brai, et sans aucun doute absolument et horriblement sombre à l'intérieur -- une boîte dont l'occupant passif doit, tout simplement, tenter sa chance. L'image d'une telle boîte comme un abri dans un monde qui est sur le point de rompre vient assez naturellement à l'esprit quand on considère les histoires comme celle que m'ont racontée Jack Greene et son frère Bob en Australie -- des histoires dans lesquelles le salut n'était possible, en ces temps de terreur, que pour ceux qui avaient construit des cachettes en forme de boîtes sombres : par exemple, l'espace minuscule derrière la fausse cloison que Moses Grunschlag avait fait construire dans une étable pour lui et ses deux fils, la cachette souterraine dans la forêt où, finalement, les trois et quelques autres ont pu aller se cacher pendant un an, jusqu'à ce que le pharaon des Temps modernes soit vaincu. Dans ces arches des Temps modernes aussi, les êtres humains étaient absolument impuissants, sans le moindre contrôle sur leur sort, occupants passifs d'espaces sombres dont ils finiraient par émerger comme Noé, comme Moïse, clignant des yeux dans la lumière. Et pourtant, sans doute en raison de l'insistance subtile avec laquelle parashat Noach connecte telle chose à son opposé, la création à la destruction, la destruction à la renaissance, les figurines d'argile au chaos boueux, les eaux sulfureuses au cèdre puant, les boîtes dans lesquelles les quarante-huit Juifs de Bolechow ont en définitive été sauvés (pour ne rien dire de tous les autres contenants dont les occupants n'ont pas eu autant de chance, chiffre impossible à connaître puisqu'il n'y a personne pour raconter ces histoires) font inévitablement penser à certaines autres structures en forme de boîtes qui, dans le récit des Temps modernes du décret selon lequel le peuple d'Israël doit mourir, étaient non des instruments du salut mais de l'annihilation. Oui, il y avait des endroits cachés, des compartiments sombres et scellés dans lesquels les occupants ne pouvaient qu'écouter et espérer ; mais il y avait aussi les fourgons à bestiaux, avec leur cargaison d'êtres humains ballottés par la tempête ; il y avait aussi les chambres à gaz. C'étaient aussi des boîtes. C'étaient aussi des arches.     Ce fut donc la seconde Aktion, début septembre 1942, au cours de laquelle - comme chacun le pensait autour de la table chez Jack et Sarah - Shmiel, Ester et Bronia avaient péri. Sur cette famille de six, dont il ne reste qu'une photographie où ils apparaissent tous ensemble, datée d'août 1934, où Shmiel, de façon choquante, est débraillé et mal rasé, anomalie qui s'explique du fait qu'il est (comme le dit la légende au dos de la photo) en deuil de sa mère, mon arrièregrand-mère Taube, décédée le mois précédent : sept visages qui ne sourient pas que je reconnais aujourd'hui comme étant ceux de Shmiel, Ester, le frère d'Ester, Bruno, Bronia, Ruchele, Lorka et Frydka aux yeux sombres, dont le visage est partiellement coupé par la bordure de la photo - sur cette famille de six, pour laquelle il n'y a jamais eu de période de deuil formel comparable à celui qu'ils observent au moment où cette photo a été prise, il n'en testait que deux en octobre 1942. Elles s'étaient retrouvées à la Fassfabrik, avait dit Jack, l'usine de barils, Lorka et Frydka, ainsi que les Adler. Et nous étions associés à cette firme, nous aussi, avait-il dit - lui et les survivants de sa famille : son père et Bob. C'est après la seconde Aktion, a expliqué Jack, que les gens ont été assignés à des camps de travail. Il y avait quelques tanneries, une scierie, l'usine de barils. Et ils ont désigné certains endroits pour en faire des camps où vivre, des Lager, d'où nous partions pour aller travailler et où nous rentrions chaque soir. Notre père a fait transformer notre maison en Lager. Et dans cette maison vivaient vingt personnes environ. Tout le monde travaillait dans un camp ? ai-je demandé. Quiconque ne travaillait pas, a répondu Jack, était envoyé dans le ghetto de Stryj. Ce n'était pas, ont-ils dit tous en choeur, un endroit où vous aviez envie de vous retrouver. Mais, dès 1943, il est devenu parfaitement clair que « les travailleurs utiles » allaient être tués,

« quelque chosed'assez petit,d'assez familier, pourêtreentièrement saisiparlesmembres innocents delagénération deMatt etmoi. Au moment delaseconde Aktion, a dit Bob, ila fallu quejeme débarrasse demon chien. Croyez-moi, c'estlachose laplus dure quej'aie jamais dûfaire.

Vousnepouvez pasimaginer.

Je l'avais depuis lanaissance, j'avaisl'habitude dedormir avecluisur mon litet, naturellement, le lit était mouillé lematin etils ne savaient passic'était moiouluiqui l'avait fait ! Il fallait qu'ilemmène sonchien etqu'il s'endébarrasse, depeur qu'ilsemette àaboyer etne révèle leurcachette derrièrelafausse cloison.

Aumoment oùnous l'avons entendue pourla première fois,Matt, quiadore leschiens, aété bouleversé parcette histoire ;et depuis, c'est l'histoire qu'ilvaraconter lorsqu'ilparledenotre voyage enAustralie, ceprintemps-là, etveut vous fairecomprendre, defaçon émouvante, l'horreurquecesgens ontconnue :celle dece petit garçon quiavait dûtuer sonchien. Je crois quecela l'aému àce point précisément parcequec'est tellement minuscule.

Pourune raison quelconque, l'horreurdelasituation decepetit garçon, quidoit tuer sonchien adoré, est plus facile àsaisir, àrendre palpable etàabsorber quenelesont toutes lesautres horreurs. L'horreur, parexemple, d'avoiràtuer votre propre enfant, depeur quesescris nevous fassent arrêter avecvoscompagnons.

Mais,bienentendu, àl'époque oùBob Grunschlag nousa raconté cettehistoire, nousn'avions pasencore luletémoignage deMme Gelernter.

  Le vaisseau danslequel Noéetsa famille, ainsiquelesnombreux autresexemples decréatures vivantes sanstache, ontétésauvés, afait l'objet d’unefascination persistante aucours de l'histoire.

Cequi estintrigant àpropos decefameux véhicule dusalut, c'estl'étrangeté dumot hébreu employé pourdécrire ceque nous rendons engénéral par« arche ».

Friedman, àjuste titre selon moi,seplaint decette traduction désormaisinévitable, carceque lenom féminin de tebah signifie ausens propre estenfait « boîte ».

C'estcertainement ceque nous pouvons déduire deladescription quiestfaite del'arche dansletexte :elle estrectangulaire, iln'y apas de quille, pasdegouvernail, pasdevoile, etelle estcomplètement ferméesurtous lescôtés.

Il est émouvant delire lesimpressions deFriedman concernant cetobjet étrangement brutdans lequel l'absence decaractéristiques normalementassociéesàun navire produit cetteimage poignante :« Dans cevaisseau », écrit-il,« lesêtres humains etles animaux sontabsolument sans défense, jetéssurleseaux sansaucun contrôle surleur sort.

Pour apprécier l'imagequece récit nous metsous lesyeux, nousdevons imaginer cetteboîte devie sans défense ballottée dans ununivers violentquiestentrain decraquer. » Cetteimage d'uneimpuissance enfantine est, d'une certaine façon,appropriée, puisqueleseul autre objetdanslaTorah quisoit désigné par lemot tebah estenfait lepanier d'osier danslequel estcaché Moïse afindelefaire échapper àun autre exemple detentative d'annihilation totaledanslaTorah :le décret du pharaon d'Egypte defaire mourir chaque nouveau-né d'Israël.Commel'archedeNoé, le panier deMoïse estunhumble objet,faitpar lamain del'homme , totalement fermé,scelléau brai, etsans aucun douteabsolument ethorriblement sombreàl'intérieur —une boîte dont l'occupant passifdoit,toutsimplement, tentersachance. L'image d'unetelleboîte comme unabri dans unmonde quiestsur lepoint derompre vient assez naturellement àl'esprit quandonconsidère leshistoires commecellequem'ont racontée Jack Greene etson frère BobenAustralie —des histoires danslesquelles lesalut n'était possible, ences temps deterreur, quepour ceuxquiavaient construit descachettes enforme de boîtes sombres :par exemple, l'espaceminuscule derrièrelafausse cloison queMoses. »

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