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    La difficulté clé, pour Rachi, c'est que la lecture fausse suggère une chronologie erronée de la Création : que Dieu a créé le ciel, puis la terre, puis la lumière, et ainsi de suite.

Publié le 06/01/2014

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    La difficulté clé, pour Rachi, c'est que la lecture fausse suggère une chronologie erronée de la Création : que Dieu a créé le ciel, puis la terre, puis la lumière, et ainsi de suite. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé, dit Rachi. Si vous vous trompez sur les petits détails, la grande image sera fausse, elle aussi. La façon dont de minuscules nuances comme l'ordre des mots, leur choix, la grammaire et la syntaxe peuvent avoir des ramifications plus vastes pour la signification complète du texte donne une couleur au commentaire de Rachi dans son ensemble. Selon lui (pour prendre un autre exemple), la tristement célèbre « double ouverture » de la Genèse - le fait qu'elle ne contient pas un, mais deux récits de la Création, le premier commençant avec la création du cosmos et s'achevant avec la création du genre humain (Genèse 1, 1-30), le second se concentrant dès le début sur la création d'Adam et se déplaçant presque immédiatement vers l'histoire d'Eve, du serpent et de l'Expulsion du Jardin d'Eden -- est, au fond, un problème de style, assez facilement expliqué. Dans sa discussion de Genèse 2, Rachi anticipe sur les plaintes des lecteurs -- la création a été, après tout, traitée dans Genèse 1, 27 -- mais déclare que, après avoir lui-même consulté un certain corpus de la sagesse rabbinique, il a découvert une certaine « règle » (numéro treize sur trente-deux, en fait, qui aident à expliquer la Torah), et cette règle dit que lorsqu'une proposition générale ou une histoire est suivie d'un second récit de cette histoire, le second récit est censé être compris comme une explication plus détaillée du premier. Et donc le second récit de la création du genre humain, dans Genèse 2, est pour ainsi dire censé être conçu comme une version améliorée du premier récit que nous avons dans Genèse 1. Comme c'est le cas en effet : car rien dans le premier chapitre de la Genèse, avec son récit chronologique sec de la création du cosmos, de la terre, de sa flore et de sa faune, et enfin du genre humain, ne nous prépare à la riche narration du second chapitre, avec sa fable de l'innocence, de la tromperie, de la trahison, de la dissimulation, de l'expulsion et de la mort pour finir, de l'homme et de la femme dans un endroit protégé, de l'apparition soudaine et catastrophique d'un mystérieux intrus, le serpent, et puis : l'existence paisible détruite. Et au centre de tout ce drame - car Rachi ne s'épargne rien pour expliquer qu'il se trouve bien au centre en effet -le symbole mystérieux et assez émouvant de l'arbre dans le jardin, un arbre qui représente, j'en suis venu à le penser, à la fois le plaisir et la douleur qui naissent de la connaissance des choses. Aussi intéressant que cela ait pu être, quand je me suis immergé dans la Genèse et ses commentateurs pendant un certain nombre d'années, j'ai naturellement fini par préférer l'explication générale de Friedman sur le pourquoi d'un tel commencement de la Torah. Je dis « naturellement » parce que la question que Friedman se préoccupe de faire comprendre à ses lecteurs est, par essence, une question d'écrivain : comment commencer une histoire ? Pour Friedman, l'ouverture de Bereishit fait penser à une technique que nous connaissons tous grâce aux films : « Comme certains films qui commencent par un long travelling qui se resserre ensuite, écrit-il, le premier chapitre de la Genèse se déplace progressivement d'un plan sur le ciel et la terre pour descendre et se resserrer sur le premier homme et la première femme. Le point focal de l'histoire va continuer à se resserrer : depuis l'univers jusqu'à la terre, au genre humain, à des territoires spécifiques, à des peuples, à une seule famille. » Et cependant, rappelle-t-il à ses lecteurs, les vastes préoccupations cosmiques du récit historico-mondial que nous relate la Torah resteront à l'arrière-plan lorsque nous continuerons à lire, fournissant ainsi le riche substrat de sens qui donne toute sa profondeur à l'histoire de cette famille. La remarque de Friedman implique que, très vraisemblablement, ce sont souvent les petites choses plutôt que la grande image que l'esprit retient le plus facilement : par exemple, il est plus naturel et plus attrayant pour des lecteurs de comprendre le sens d'un grand événement historique à travers l'histoire d'une seule famille.   Comme on ne parlait pas beaucoup de Shmiel et comme, lorsqu'on en parlait, c'était souvent sous la forme de murmures ou en yiddish, langue que ma mère parlait avec son père pour préserver leurs secrets - en raison de tout cela, quand j'apprenais quelque chose, c'était en général par hasard.   Un jour, quand j'étais petit, je l'avais entendu parler à son cousin au téléphone et dire un truc du genre, Je croyais qu'ils se cachaient et qu'un voisin les avait dénoncés, non ?   Une autre fois, des années plus tard, j'avais entendu quelqu'un dire, Quatre filles superbes.   Une autre fois encore, j'ai entendu mon grand-père dire à ma mère, Je sais seulement qu'ils se cachaient dans un kessle. Comme je faisais déjà les ajustements nécessaires en raison de son accent, quand je l'avais entendu dire ça, je m'étais simplement demandé, Quel castel ? Bolechow, à en juger par les histoires qu'il m'avait racontées, n'était pas un endroit où trouver des castels ; c'était un endroit tout petit, je le savais, un endroit paisible, une petite ville avec une place, une église ou deux, une shul et des boutiques affairées. C'est bien plus tard, longtemps après que mon grand-père est mort et que j'ai étudié plus sérieusement l'histoire de sa ville, que j'ai appris que Bolechow, comme tant d'autres shtetls polonais, avait été autrefois la propriété d'un aristocrate polonais, et lorsque j'avais su ce fait, j'avais naturellement plaqué cette information nouvelle sur mon souvenir ancien de ce que j'avais entendu mon grand-père dire, Je sais seulement qu'ils se cachaient dans un kessle. Un castel. De toute évidence, Shmiel et sa famille avaient trouvé une cachette dans la grande résidence d'une famille noble qui avait autrefois possédé la ville, et c'était là qu'ils avaient été découverts après avoir été trahis.   À un moment quelconque, j'avais entendu quelqu'un dire, Ce n'était pas le voisin, c'était leur propre bonne, la shiksa. J'ai trouvé ça troublant et bouleversant, puisque nous avions nous aussi une femme de ménage qui était - je savais ce que signifiait shiksa - une femme chrétienne, une Polonaise, en fait. Pendant trente-cinq ans, la femme de ménage polonaise de ma mère, une grande femme aux hanches larges que nous avions fini par considérer et traiter comme une troisième grand-mère, une femme qui, alors que les années 1960 devenaient les années 1970, et les années 1970, les années 1980, en était arrivée à avoir le même genre de corps (comme il est possible de le constater grâce aux quelques photos que nous avons d'elle) que celui qu'avait eu autrefois la femme de Shmiel, Ester, cette femme venait toutes les semaines chez nous pour passer l'aspirateur, faire la poussière, laver le sol, et conseiller ma mère, en temps utile, sur ce qu'elle devait faire de tel ou tel bric-à-brac (C'est l'ordure ! tançait-elle à propos d'un objet de porcelaine ou de cristal. Jette-le à poubelle !). Après que Mme Wilk et ma mère sont devenues amies, et que les visites hebdomadaires à la maison dégénéraient, avec le temps, en déjeuners de plus en plus longs, composés d'oeufs durs, de pain, de fromage et de thé, pris à la table de la cuisine devant laquelle les deux femmes, dont les mondes n'étaient pas aussi éloignés qu'ils auraient pu le paraître au premier abord (c'était à Mme Wilk que mon grand-père, lorsqu'il nous rendait visite, racontait en polonais ses plaisanteries scandaleuses et déplacées) ; après des années de mardi au cours duquel elles passaient des heures assises à se plaindre et à échanger certaines histoires - par exemple, celle que Mme Wilk avait fini par confier à ma mère sur la façon, oui, dont on lui avait appris, à elle et aux autres filles polonaises de sa ville de Rzeszow, à haïr les Juifs, et qu'elles étaient bien incapables alors de comprendre que ces histoires sur les Juifs étaient fausses - et aussi certains potins sur les pani, les riches voisines qui ne partageaient pas leurs repas avec leur femme de ménage ; après tout ce temps, au cours duquel les deux femmes étaient devenues amies, Mme Wilk avait commencé à apporter à ma mère des bocaux remplis de délices polonais qu'elle préparait et dont le plus célèbre, à la fois pour le son amusant de son nom et pour l'arôme sublime qu'il diffusait, était quelque chose qu'elle appelait « gawumpkees » : de la viande hachée et épicée, roulée dans des feuilles de chou et nageant dans une sauce rouge très riche... Cela et, je suppose, le fait que je n'ai pas grandi en Pologne, voilà pourquoi je trouvais si pénible de penser que Shmiel et sa famille avaient été trahis par la bonne shiksa. Une autre fois, des années plus tard, au cours d'une conversation téléphonique, le cousin germain de ma mère en Israël, Elkana, le fils du frère sioniste qui avait eu le bon sens de quitter la Pologne dans les années 1930, un homme qui, plus que tout autre vivant, me rappelle à présent son oncle, mon grand-père -- avec cet air d'autorité omnisciente et ce sens de l'humour tordu, sa largesse pour ce qui est des histoires de famille et de l'amour de la famille, un homme qui, s'il n'avait pas changé son nom de famille pour se conformer à la politique hébraïsante de Ben Gourion dans les années 1950, répondrait encore aujourd'hui au nom d'Elkana Jäger, le nom qu'on lui avait donné à la naissance et qui, à quelques variations d'orthographe près, était le même que celui porté par un homme de quarante-cinq ans qui portait des chapeaux mous et était tombé raide mort, un matin, dans un spa de la province d'un empire qui n'existe plus -, mon cousin Elkana avait dit, Il avait des camions, et les nazis avaient besoin des camions.   Une fois, j'ai entendu quelqu'un dire, Il était l'un des premiers sur la liste.   J'entendais donc ces choses, quand j'étais enfant. Avec le temps, ces bribes de murmures, ces fragments de conversations, que je savais être censé ne pas entendre, ont fini par s'agglutiner pour former les vagues contours de l'histoire que, pendant longtemps, nous avions pensé connaître.     Un jour, alors que j'étais un peu plus âgé, j'ai eu l'audace de demander. J'avais presque douze ans, et ma mère et moi gravissions les marches larges et basses de l'escalier de la synagogue à
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« La remarque deFriedman impliqueque,trèsvraisemblablement, cesont souvent lespetites choses plutôtquelagrande imagequel'esprit retientleplus facilement :par exemple, ilest plus naturel etplus attrayant pourdeslecteurs decomprendre lesens d'ungrand événement historique àtravers l'histoire d'uneseulefamille.

  Comme onne parlait pasbeaucoup deShmiel etcomme, lorsqu'on enparlait, c'étaitsouvent sous laforme demurmures ouenyiddish, languequemamère parlait avecsonpère pour préserver leurssecrets – enraison detout cela, quand j'apprenais quelquechose,c'étaiten général parhasard.   Un jour, quand j'étaispetit,jel'avais entendu parleràson cousin autéléphone etdire untruc du genre, Jecroyais qu'ilssecachaient etqu'un voisin lesavait dénoncés, non?   Une autre fois,desannées plustard, j'avais entendu quelqu'un dire, Quatre fillessuperbes.

  Une autre foisencore, j'aientendu mongrand-père direàma mère, Je sais seulement qu'ilsse cachaient dansunkessle.

Comme jefaisais déjàlesajustements nécessairesenraison deson accent, quandjel'avais entendu direça,jem'étais simplement demandé,Quelcastel ? Bolechow, àen juger parleshistoires qu'ilm'avait racontées, n'étaitpasunendroit oùtrouver des castels ;c'était unendroit toutpetit, jelesavais, unendroit paisible, unepetite villeavec une place, uneéglise oudeux, une shul et des boutiques affairées.C'estbienplustard, longtemps aprèsquemon grand-père estmort etque j'aiétudié plussérieusement l'histoirede sa ville, quej'aiappris queBolechow, commetantd'autres shtetls polonais, avaitétéautrefois la propriété d'unaristocrate polonais,etlorsque j'avaissuce fait, j'avais naturellement plaqué cette information nouvellesurmon souvenir anciendeceque j'avais entendu mongrand-père dire, Je sais seulement qu'ilssecachaient dansunkessle.

Un castel.

Detoute évidence, Shmiel et sa famille avaient trouvéunecachette danslagrande résidence d'unefamille noblequiavait autrefois possédélaville, etc'était làqu'ils avaient étédécouverts aprèsavoirététrahis.   À un moment quelconque, j'avaisentendu quelqu'un dire,Cen'était paslevoisin, c'étaitleur propre bonne, la shiksa.

J'ai trouvé çatroublant etbouleversant, puisquenousavions nous aussi unefemme deménage quiétait –je savais ceque signifiait shiksa – une femme chrétienne, unePolonaise, enfait.

Pendant trente-cinq ans,lafemme deménage polonaise de ma mère, unegrande femme auxhanches largesquenous avions finipar considérer ettraiter comme unetroisième grand-mère, unefemme qui,alors quelesannées 1960devenaient les années 1970,etles années 1970,lesannées 1980,enétait arrivée àavoir lemême genrede corps (comme ilest possible deleconstater grâceauxquelques photosquenous avons d'elle) que celui qu'avait euautrefois lafemme deShmiel, Ester,cettefemme venaittoutes les semaines cheznous pourpasser l'aspirateur, fairelapoussière, laverlesol, etconseiller ma mère, entemps utile,surcequ'elle devaitfairedetel outel bric-à-brac (C'est l'ordure ! tançait-elle àpropos d'unobjet deporcelaine oudecristal.

Jette-le àpoubelle !).

Après que Mme Wilketma mère sontdevenues amies,etque lesvisites hebdomadaires àla maison dégénéraient, avecletemps, endéjeuners deplus enplus longs, composés d'œufsdurs,de pain, defromage etde thé, prisàla table delacuisine devantlaquelle lesdeux femmes, dont les mondes n'étaient pasaussi éloignés qu'ilsauraient puleparaître aupremier abord(c'était à Mme Wilkquemon grand-père, lorsqu'ilnousrendait visite,racontait enpolonais ses plaisanteries scandaleuses etdéplacées) ;après desannées demardi aucours duquel elles passaient desheures assisesàse plaindre etàéchanger certaineshistoires–par exemple, celle que Mme Wilkavait finipar confier àma mère surlafaçon, oui,dont onluiavait appris, àelle. »

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