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PROGRÈS

Publié le 02/04/2015

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PROGRÈS

En un certain sens, on a toujours parlé de progrès, parce qu'il est avant tout une image : celle de la croissance des vivants. Mais la vie n'est qu'un cycle qui conduit à la mort ; si l'idée de progrès est toujours celle d'une progression, d'une marche vers un but, pour qu'elle soit véritablement thématisée, il faut que cette progression soit inéluctable et que le but ne soit pas un terme répétable ou définitif. Il n'y a de progrès que si l'on sort du cycle, que si l'on passe de la clôture imposée par la mort du vivant, à une ouverture qui dépasse les vivants.

On sait que notre concept de progrès a été élaboré aux XVIIIe et XIXe siècles ; il ne pose, dans le fond, que deux problèmes, savoir à quelles conditions l'éclatement de l'image initiale a été possible, et si ces conditions sont compatibles avec toutes les déterminations du réel.

I — Élaboration du concept de progrès

L'élaboration du concept de progrès peut se comprendre à

partir de trois champs :

a — Le développement des sciences : Bacon est le premier à penser le développement des sciences comme un accrois­sement quantitatif qu'un individu isolé ne pourra achever ; Descartes, en affirmant laisser à ses descendants le soin d'achever la chaîne de raisons par lui commencée, affirme pour la science la possibilité d'une marche continue qui transcende l'individu. La physique de Newton apporte l'idée

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d'un changement de la science, d'une discontinuité qui n'est pas un total reniement du passé, et la confirmation d'un accroissement. Les Lumières (l'Encyclopédie; Condorcet, Tableau des progrès de l'esprit humain) conçoivent à partir de là le développement des sciences comme la progression de l'esprit humain sur une échelle de valeurs qui va de la superstition à la raison, du primitif au civilisé.

b — L'histoire : Avec le XVIIIe siècle, l'histoire passe du récit événementiel à une considération des sociétés et de leur vie ; elle n'est plus le roman des faits politiques, la succession d'événements sans ordre ; portant sur le développement des sciences et des techniques ; elle est nécessairement la marche en avant d'une rationalité qui se conquiert au cours du temps. Le progrès devient une valeur, parce qu'il est pensé comme le processus de déploiement de la culture vers un état de savoir et de liberté.

c — La biologie : L'idée d'une évolution (voir Darwin) apparaît comme une façon de réinterpréter le progrès conçu comme valeur ; elle accomplit l'éclatement de l'image initiale : on ne pense plus le progrès à partir de la croissance des vivants, c'est l'évolution embryogénétique qui répète l'évolution zoologique de la série.

Il — Critique de la notion de progrès

Elaboré dans divers champs, notre concept de progrès est en fait une constellation de déterminations : celles de l'amélio­ration des sciences et des techniques, d'un développement de la culture devant apporter plus de bien-être, d'un accrois­sement d'ordre et de raison ; il est une valeur que l'évolu­tionnisme soutient en affirmant que l'organisation de la vie l'emporte peu à peu sur la pauvreté originaire de la nature ; par là l'homme est un devenir infini vers un but absolu : il est de part en part historique. A ces déterminations, la pensée moderne apporte des objections :

a — L'anthropologie nous amène à considérer que toutes les société ont une histoire, qu'il n'y a que des peuples adultes (c'est pourquoi Lévi-Strauss critique l'évolutionnisme socio­logique) ; l'ordre de notre histoire n'est par conséquent pas une nécessité, les étapes n'en ont pas un caractère absolu : pour l'Europe par exemple, l'agriculture et la domestication des animaux vont de pair, tandis qu'en Amérique un développement exceptionnellement poussé de la première s'accompagne d'une presque complète ignorance de la seconde. Pour Lévi-Strauss, le progrès n'est que le mythe des sociétés qui font leur histoire selon cette idée.

b — L'une des déterminations fondamentales du progrès, c'est sa liaison au développement des sciences et des techniques et à l'idée que le bonheur (le bien-être) en provient. Ceci peut être remis en cause de diverses façons.

On peut se demander en quoi le machinisme est une valeur, on peut douter qu'il apporte un surcroît de bien-être, voire que la croissance économique qu'il semble impliquer soit une fin en soi, dans la mesure où l'accroissement des satisfactions (consommations) n'en est peut-être pas une. L'industria­lisation, loin d'être un progrès, une valeur, est pour Marcuse (L'Homme unidimensionnel) une aliénation fondamentale de l'homme, qu'il s'agit de renverser en renversant par là la connexion de la science à l'exploitation industrielle.

 

Comme valeur, l'idée de progrès résiste mal au renversement contemporain des valeurs ; peut-on la penser autrement que comme le thème idéologique d'une société en voie d'indus­trialisation ?

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