ROUSSEAU (Jean-Jacques)
Né à Genève en 1712, mort à Ermenonville en 1778. Fils d'un horloger, il s'enfuit en 1728 de chez le patron où on l'avait mis en apprentissage et commence une existence errante et mouvementée. Recueilli par Mme de Warens, il complète son instruction et se fixe à Paris (1741) où il ne peut faire admettre un système de notation musicale de son invention, voyage en Italie, revient à Paris où il fréquente Diderot (1745) ; il connaît alors la célébrité grâce à son Discours sur les sciences et les arts, 1750, et à son opéra « Le Devin du Village e ; durant cette période, il collabore à l'Encyclopédie (par ex. l'article Économie politique) ; écrit le Discours sur l'origine de l'inégalité, 1754, mais se brouille avec d'Alembert et les Lumières ; de plus en plus isolé, il écrit un roman (La Nouvelle Héloïse, 1761) et doit s'installer en Suisse après la publication du Contrat social et de l'Émile, 1762 ; de retour à Paris, il mène une existence isolée, oppressé par la crainte d'une persécution imaginaire, dont témoignent les Rêveries d'un promeneur solitaire, et auparavant les célèbres Confessions.
1. Toute l'oeuvre de Rousseau vise à élucider les conditions morales et politiques de la vie humaine. L'homme n'est pas un animal raisonnable qui atteint le bonheur dans l'épanouissement de la civilisation ; l'homme qui médite est un animal dépravé, la civilisation dégrade peu à peu le bonheur qu'il trouvait dans son état originaire. Il vivait alors en harmonie avec la nature : point de besoins non satisfaits, point de lutte pour la vie, d'association pour subsister, et par conséquent point d'aliénation de la liberté.
La nature humaine (définie de façon toute négative) est perfectibilité ; mais dans l'état de pure nature, cette perfectibilité est pour ainsi dire à l'état zéro, au point que les vertus naturelles comme la pitié n'ont pas le loisir de se déployer. L'état de pure nature est un état moralement neutre, où l'homme n'ayant aucun contact avec ses semblables, n'est ni bon ni méchant. En l'absence de causes internes (comme par exemple un instinct de sociabilité) il n'y a aucune nécessité à ce que l'homme éprouve soudain le besoin de vivre en société : ce besoin ne peut naître que de causes externes et accidentelles (catastrophes naturelles, création des saisons). Dès lors, forcés pour survivre de s'associer, les hommes voient leurs capacités se développer, leurs connaissances, leurs langages, leurs arts naître. Mais ils perdent l'immédiateté de leur rapport à la nature, la transparence originaire d'une conscience heureuse et fruste s'obscurcit ; « être et paraître devinrent deux choses tout à fait différentes «. Ils doivent sans cesse travailler pour satisfaire des besoins croissants, inventer l'agriculture, lutter les uns contre les autres ; la nature elle-même devient un obstacle. Les plus forts l'emportent et, en s'emparant des biens, créent la propriété et l'inégalité. Si par là l'humanité passe d'un état de nature, déjà fort éloigné de l'état de pure nature, à celui de société civile, c'est pour son malheur. Les rapports sociaux sont des rapports de dépendance, et si la société peut être organisée par un contrat social, c'est un faux contrat fondé sur la force et qui soumet les plus faibles aux plus forts. Pour Hobbes, l'état de nature est un état de guerre auquel la Société met fin ; pour Rousseau l'état de pure nature est un état de paix auquel la Société fait succéder un état de guerre. L'homme est né libre et partout il est dans les fers.
2. Le Contrat social s'efforce de trouver une solution quasi géométrique à ce problème, compte tenu de l'irréversibilité de l'histoire, c'est-à-dire de l'impossibilité de retourner à la pure nature ; il s'agit « de trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant. « Pour cela, Rousseau refuse de faire du Contrat Social un pacte de soumission entre les hommes ; il s'agira d'un pacte d'association. La souveraineté individuelle est inaliénable, et si le souverain
dans l'état civil est la volonté générale, il ne s'ensuit pas que celle-ci se soumette à celle-là ; la volonté générale étant composée des volontés individuelles en obéissant à la volonté générale, en tant que sujets, les citoyens, n'obéissent qu'à eux-mêmes en tant que membres du souverain. La souveraineté de la volonté générale peut être absolue sans nuire à la volonté individuelle, et l'homme en obéissant aux lois n'est pas soumis à ses semblables. Faisant du gouvernement (le prince) un simple fonctionnaire, et n'admettant aucune limite à la souveraineté, Rousseau crée l'image d'une démocratie,qui ne pourra convenir aux penseurs libéraux (voir Locke).
· Le thème fondamental de Rousseau est la liberté humaine ; par conséquent, son analyse de la société repose sur la spontanéité individuelle. C'est celle-ci qu'il défend dans le système d'éducation décrit dans l'Êmile ; il est par là conduit à prendre parti pour la sensibilité personnelle contre la raison universelle, pour la nature contre la culture, faisant de la morale non l'acquis conventionnel d'une histoire contingente, ou le précepte d'un intellect calculateur, mais le jaillissement d'une conscience, qu'il qualifiera, dans la Profession de foi du vicaire savoyard, d'instinct divin. En mettant l'accent sur la liberté et l'irréductibilité du sujet moral, il ouvre la voie à la philosophie pratique de Kant.