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Stefan et Ulyana, n'était pas, contrairement à ce que j'avais cru, celle dans laquelle Shmiel et sa famille avaient vécu et d'où ils étaient partis pour leurs morts, quelles qu'elles aient pu être.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

famille
Stefan et Ulyana, n'était pas, contrairement à ce que j'avais cru, celle dans laquelle Shmiel et sa famille avaient vécu et d'où ils étaient partis pour leurs morts, quelles qu'elles aient pu être. Je voulais en être sûr et j'ai donc continué à interroger Boris. Il avait donc ses quatre filles quand il a emménagé ? Boris a eu l'air surpris. Il avait trois filles, a-t-il dit. Je ne me souviens que de trois filles. Euh, en fait, ai-je dit, elles étaient quatre, mais... Je ne pense pas qu'elles étaient quatre. Je ne pense vraiment pas... Boris a pris la photo de Shmiel, Ester et Bronia, qui avait fait le tour de la table et était arrivée devant lui. J'ai pris moi-même quelques photos et, penché sur la table, j'ai montré du doigt. Lorka, Frydka, Ruchele et Bronia, ai-je dit. A l'autre bout de la table, Meg Grossbard s'est brusquement redressée. Et Bronia ! a-t-elle dit. Oui ! Elle souriait. Mais Boris n'était toujours pas convaincu. Je ne me souviens que de trois, a-t-il insisté. Je suis certain qu'il n'ayait que trois filles. A ce moment-là, Sarah Greene a souri et dit, Hé bien, ils savent mieux que toi, c'était leur famille ! Tout le monde a ri. Je redoutais en insistant sur ce que je savais être la vérité d'avoir offensé Boris et en suggérant que sa mémoire était défaillante. De son côté, Boris a abandonné les filles et dit, un peu irrité, Il était boucher. Je ne me souviens pas de ses liens de famille. Vous vous souvenez qu'un de ses frères est parti pour la Palestine ? ai-je demandé. Je ne connais pas son frère, a dit sèchement Boris. Juste qu'il avait une famille autrefois.     Pour changer de sujet, j'ai demandé à tout le monde s'il y avait eu d'autres Jäger à Bolechow. Mon grand-père avait dit qu'il avait des cousins qui avaient vécu en ville, quand il était enfant - les cousins Jäger qui étaient, je suppose, parents de sa tante Sima, celle dont nous avions trouvé par hasard la pierre tombale dans le cimetière de Bolechow. C'est ce que je viens de demander à Jack à l'instant, a dit Mme Grossbard, en se tournant vers moi. Il y avait des Jäger dans le rynek. C'étaient les oncles de Dusia Zimmerman... C'étaient les frères de sa mère. Sa mère était une Jäger. Ils avaient une confiserie, une cukierna. Elle s'est tournée vers Jack et, en polonais, lui a demandé de traduire cukierna en anglais. Sarah Greene a dit, Un café ? Meg a levé une main manucurée. Non, non, non, non, a-t-elle dit. Le quadruple non était, comme j'allais le comprendre au cours de cette journée, une de ses réactions habituelles quand elle était agacée par les imprécisions des autres. Le ton de sa voix était ferme et sans humour. Pas un café, je suis désolée, a-t-elle dit. Nous n'avions pas de cafés. Tout le monde a ri et j'étais incapable de dire si c'était à propos de l'irritation de Meg ou de l'absurdité qu'un petit shetl comme Bolechow ait pu avoir quelque chose comme un café. J'ai connu Frydka toute ma vie, m'a dit Meg. La dernière fois que je l'ai vue, c'était en 42 quand on pouvait encore circuler dans les rues. Et après, je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Je n'en ai aucune idée. Mais Lorka, je l'ai rencontrée en janvier ou en février 1942, chez une autre amie, parce qu'il y avait son petit ami qui était là. J'ai l'habitude des tours et détours de la syntaxe anglaise, lorsqu'elle est filtrée par le polonais, mais je n'étais pas très sûr de savoir du petit ami de laquelle elle parlait. Le petit ami de qui ? aije demandé à Meg. Le petit ami de Lorka, a-t-elle répliqué. Yulek Zimmerman, il s'appelait. C'est la dernière fois que je l'ai vue, parce que Yulek avait une jeune soeur qui était notre amie, à Frydka et moi. Elle a expliqué : au début de 1942, avant que les Juifs ne soient plus autorisés dans les rues de Bolechow, Meg s'était rendue chez les Zimmerman pour voir son amie Dusia Zimmerman, et lorsqu'elle était arrivée, le frère aîné de Dusia, Yulek, était là avec sa petite amie, Lorka Jäger. Elle avait donc un petit ami, me suis-je dit. Pendant que Meg s'attardait sur cette histoire qu'elle allait me raconter de nouveau, quelques jours plus tard, quand j'irais la voir chez son beau-frère, le vieux M. Grossbard - non sans difficultés, comme on le verra -, j'essayais de me souvenir pourquoi le nom de Zimmerman me rappelait quelque chose. Et je m'en suis souvenu : le dernier jour de notre visite à Bolechow, un an et demi plus tôt, des vieilles femmes, dans la rue, nous avaient dit qu'elles ne connaissaient personne du nom de Jäger, mais qu'elles avaient connu une famille Zimmerman. Mais je n'avais pas voulu m'arrêter pour leur parler parce que les Zimmerman n'avaient rien à voir avec nous.     J'ai demandé à Meg, Donc vous l'avez connue petite fille ? Je parlais de Frydka. Oh oui, nous avons grandi ensemble. Et vous connaissiez un peu les autres soeurs ? Elle a fait une grimace. Bien sûr, a-t-elle dit. La dernière, je ne la connaissais pas bien parce qu'elle était petite, mais les autres... Sa voix a déraillé un peu et elle a souri tristement. J'étais très souvent chez eux, a-t-elle ajouté au bout d'un moment. Ils étaient adorables, ils étaient sympathiques. C'était une maison charmante. Très chaleureuse, très accueillante. Elle a poursuivi après un silence, Elle n'avait qu'un étage, mais c'était vaste. Elle était peinte en blanc, je m'en souviens. De nouveau, j'étais déconcerté et frustré - furieux contre moi-même, d'une certaine façon. Elle les avait si bien connus et je n'avais pas le début d'une question qui aurait pu faire jaillir de sa mémoire une impression vivante de ce qu'avait été cette famille disparue. J'ai demandé à Mme Grossbard de parler d'Ester. Nous ne savons absolument rien d'elle, lui ai-je dit. Euh, a-t-elle répondu en haussant les épaules, comment voulez-vous que je la décrive ? Elle était accueillante, sympathique et... Euh... Je ne peux pas vous en dire plus, parce que la vie... Tout le monde est resté silencieux un moment, et puis Sarah a rompu le silence en riant. Elle a dit, Elle était probablement comme toutes les autres mères juives ! Meg a réagi. J'avais remarqué à présent qu'elle n'aimait pas que les autres aient le dernier mot. Comme tout le monde - comme moi aussi -, elle voulait avoir le contrôle de son histoire. Non, non, non, non, a-t-elle dit. Elle était très sympathique, elle avait une personnalité très enjouée. Le père, je ne l'ai pas vu beaucoup, parce qu'il était rarement à la maison, mais la mère, elle était toujours là. Comme toutes les autres mères juives m'a donné une idée. Et si j'essayais de penser à eux comme à des gens ordinaires plutôt que de les considérer comme des icônes couleur sépia ? J'ai décidé d'essayer de provoquer Mme Grossbard. Vous savez, lui ai-je dit, vous avez connu ces filles quand elles étaient des petites filles, mais vous les avez aussi connues adolescentes. Est-ce qu'elles avaient de bons rapports avec leurs parents, est-ce qu'elles se plaignaient d'eux ? Elle a paru troublée, comme si elle ne savait pas où je voulais en venir. Ecoutez, m'a-t-elle dit, nous étions très jeunes quand la guerre a éclaté... Oui, me suis-je dit, je sais. Les Archives de l'État polonais m'ont envoyé une copie du certificat de naissance de Frydka. Vingt-deux octobre 1922. Elle n'avait même pas dix-sept ans au début de la guerre, pas tout à fait dix-neuf quand les Soviétiques ont battu en retraite et que les Allemands sont arrivés. Vingt et un, probablement, quand elle est morte - s'il est vrai qu'elle est partie dans la forêt rejoindre les partisans de Babij en 1943, ce qu'il est impossible de savoir avec certitude. Je savais qu'elles étaient toutes jeunes quand la guerre avait éclaté, ces filles, mais j'avais la vague impression, à la façon dont Meg avait évité de parler de Frydka adolescente, qu'elle l'avait fait parce que c'était un sujet qui pouvait conduire à un autre qu'elle était encore moins prête à discuter. Et il se trouve que j'avais raison. Bob Grunschlag nous a interrompus à cet instant précis. Qui oserait se plaindre de ses parents ? a-t-il dit en souriant. Tout le monde a ri. Alors que les gens ricanaient encore, j'ai entendu Meg s'adresser à Jack de l'autre côté de la table, à voix basse. Elle disait : Je ne me souviens pas exactement quand Frydka... était avec Tadzio Szymanski ? Elle était avec Tadzio ? Entre mon ignorance des prénoms polonais, à ce moment-là, et la façon dont elle avait prononcé ces quatre derniers mots, qui avaient sonné à mon oreille comme elle était avec Tadzio, il m'était impossible de dire quel était ce nom précisément. J'ai demandé qui était ce Stadzio ou Tadzio Szymanski. Non, non, non, non, a répondu immédiatement Meg. Sa voix était ferme ; elle avait dû être une
famille

« Le quadruple non était, comme j'allaislecomprendre aucours decette journée, unedeses réactions habituelles quandelleétait agacée parlesimprécisions desautres.

Leton desavoix était ferme etsans humour. Pas uncafé, jesuis désolée, a-t-elledit.Nous n'avions pasde cafés. Tout lemonde ari et j'étais incapable dedire sic'était àpropos del'irritation deMeg oude l'absurdité qu'unpetit shetl comme Bolechow aitpu avoir quelque chosecomme uncafé. J'ai connu Frydka toutemavie, m'a ditMeg.

Ladernière foisque jel'ai vue, c'était en42quand on pouvait encorecirculer danslesrues.

Etaprès, jene sais pascequ'elle estdevenue.

Jen'en ai aucune idée.MaisLorka, jel'ai rencontrée enjanvier ouenfévrier 1942,chezuneautre amie, parce qu'ilyavait sonpetit amiquiétait là. J'ai l'habitude destours etdétours delasyntaxe anglaise, lorsqu'elle estfiltrée parlepolonais, mais jen'étais pastrès sûrdesavoir dupetit amidelaquelle elleparlait.

Lepetit amidequi ?ai- je demandé àMeg.

Lepetit amideLorka, a-t-elle répliqué.

YulekZimmerman, ils'appelait.

C'est la dernière foisque jel'ai vue, parce queYulek avaitunejeune sœurquiétait notre amie, à Frydka etmoi. Elle aexpliqué :au début de1942, avantquelesJuifs nesoient plusautorisés danslesrues de Bolechow, Megs'était rendue chezlesZimmerman pourvoirsonamie Dusia Zimmerman, et lorsqu'elle étaitarrivée, lefrère aînédeDusia, Yulek,étaitlàavec sapetite amie,LorkaJäger. Elle avait donc unpetit ami,mesuis-je dit.Pendant queMeg s'attardait surcette histoire qu'elle allaitmeraconter denouveau, quelquesjoursplustard, quand j'iraislavoir chez son beau-frère, levieux M.Grossbard – nonsansdifficultés, commeonleverra –, j'essayais deme souvenir pourquoi lenom deZimmerman merappelait quelquechose.Etjem'en suissouvenu : le dernier jourdenotre visiteàBolechow, unanetdemi plustôt,desvieilles femmes, dansla rue, nous avaient ditqu'elles neconnaissaient personnedunom deJäger, maisqu'elles avaient connu unefamille Zimmerman.

Maisjen'avais pasvoulu m'arrêter pourleurparler parceque les Zimmerman n'avaientrienàvoir avec nous.     J'ai demandé àMeg, Donc vousl'avez connue petitefille?Je parlais deFrydka. Oh oui, nous avons grandi ensemble. Et vous connaissiez unpeu lesautres sœurs? Elle afait une grimace. Bien sûr,a-t-elle dit.Ladernière, jene laconnaissais pasbien parce qu'elle étaitpetite, maisles autres... Sa voix adéraillé unpeu etelle asouri tristement.

J'étaistrèssouvent chezeux,a-t-elle ajouté au bout d'unmoment.

Ilsétaient adorables, ilsétaient sympathiques.

C'étaitunemaison charmante.

Trèschaleureuse, trèsaccueillante. Elle apoursuivi aprèsunsilence, Ellen'avait qu'unétage, maisc'était vaste.Elleétait peinte en blanc, jem'en souviens.. »

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