Vocabulaire: CHARRIÉ, -ÉE, participe passé et adjectif. I.— Participe passé de charrier1* II.— Adjectif. A.— Transporté. Déguster un vin exquis, authentique, longuement soigné, précieusement charrié dans son petit traîneau d'osier (HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Notes sur Paris, Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, page 67 ). B.— [En parlant de fragments minéraux, de matières végétales] Qui a été amené (à un endroit précis). Débris charriés (A. DE LAPPARENT, Abrégé de géologie, 1886, page 4); un matelas de végétaux charriés (EUGÈNE SCHNEIDER, Le Charbon, son histoire, destin, 1945, page 273 ). C.— Populaire. Mené en bateau. Les moins cocus et charriés parmi les hommes sont les poivrots, les flambeurs et les noceurs (FERNAND TRIGNOL. Pantruche, ou les Mémoires d'un truand, 1946, page 187 ). Forme dérivée du verbe "charrier" CHARRIER1, verbe transitif. A.— [Le sujet désigne une personne ou, par extension, un véhicule conduit par une personne] 1. Transporter une charge. a) [La transporter] à l'aide d'un véhicule à traction animale ou d'un tout autre véhicule. Charrier des pierres dans une brouette (OCTAVE MIRBEAU, Le Journal d'une femme de chambre, 1900, page 156 ). b) [La transporter] seul, par ses propres moyens. Charrier des bûches sur ses épaules (ALBERT T'SERSTEVENS, L'Itinéraire espagnol, 1963, page 327 ). — Absolument : Ø 1. À Hyères, au mois de février, j'entendois près d'un ruisseau qui couloit sous mes fenêtres, les blanchisseuses travailler toute la nuit. Dans presque toutes les saisons, on charrie et on va et vient de nuit comme de jour. CHARLES-VICTOR BONSTETTEN, L'Homme du Midi et l'homme du Nord, 1824, page 30. — Figuré, absolu et vieux. Charrier droit. " Se bien conduire, se gouverner comme l'on doit " (Dictionnaire de l'Académie Française); Confer Jean-Paul Mara, dit Marat, Les Pamphlets, Marat, l'ami du peuple, aux bons Français, 1792, page 321. 2. Transporter une personne. — Souffrant au flanc et fatigué, je me suis fait charrier chez moi en voiture (JULES BARBEY D'AUREVILLY, 1er. Memorandum, 1836, page 18 ). Remarque : Noter chez ZOLA, La Bête humaine, 1890, page 283 la construction suivante : ces hommes qu'on charriait au massacre. — Par extension. [Le sujet désigne le moyen de transport lui-même] Les camions se succédaient, charriant les hautes cages de bois pleines de bourriche (ÉMILE ZOLA, Le Ventre de Paris, 1873, page 622 ). B.— [Le sujet désigne un autre moyen ou type de transport] 1. [Le sujet désigne un cours d'eau] Entraîner, emporter dans son cours. a) La rivière charrie des glaces (MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal, 1816, page 106 ). La Seine charriait des nappes grasses, de vieux bouchons et des épluchures de légumes, un tas d'ordures (ÉMILE ZOLA, L'Assommoir, 1877, page 448 ). — Par métonymie. Des fossés puants charriant les immondices de la ville (HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Lucien Leuwen, tome 1, 1836, page 84 ). — [Suivi d'un complément d'objet interne] [Le] canal (...) charriait (...) des eaux gonflées par la pluie (BLAISE CENDRARS, L'Or, 1925, page 130 ). b) Absolu et vieux. Entraîner des glaces. La rivière charrie (MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal, 1816, page 250) : Ø 2. Nous quittons notre voiture; car il faut monter en canot pour franchir la Meuse, qui est vaste et qui charrie. À chaque vague gonflée, à chaque glaçon qui heurte nos plats-bords peu élevés, les femmes poussent des cris;... MAXIME DU CAMP, En Hollande, 1859, page 7. Remarque : Noter l'emploi suivant : des glaces (...) charrient du fond du golfe (P. GAIMARD, Voyage en Islande et au Groënland à la recherche de « La Lilloise », rédigé par L. Méquet, 1852, page 22), où charrier a le sens passif. c) Par analogie. Dans une maladie particulière, (...) les urines charrient de petits insectes (PIERRE CABANIS. Rapports du physique et du moral de l'homme, tome 2, 1808, page 240 ). Des substances charriées par le sang (HENRI BERGSON, L'Évolution créatrice, 1907, page 123 ). d) Par analogie et par métaphore. Ses veines charrient de la glace (ÉMILE ZOLA, L'Argent, 1891, page 407) : Ø 3. Le vieux banquier ressentit une émotion terrible : le sang qui lui revenait des pieds charriait du feu à sa tête, sa tête renvoyait des flammes au coeur; la gorge se serra. HONORÉ DE BALZAC, Splendeurs et misères des courtisanes, 1844, partie 1, page 89. 2. Par extension. [Le sujet désigne une chose, ou un groupe de personnes assimilé à un cours d'eau] Porter (quelque part), apporter, amener. a) [Le sujet désigne le ciel, l'air, le vent, etc.] L'air charriait de grasses odeurs (CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Volupté, tome 1, 1834, page 202 ). Un coup de vent passa dehors en charriant de la pluie (JEAN GIONO, Le Grand troupeau, 1931, page 210) : Ø 4. L'air était froid; le ciel charriait des nuages dont les larges lames blanches débordaient les unes sur les autres en s'écrasant par les angles, et figuraient une débâcle de fleuve en hiver. VICTOR HUGO, Notre-Dame de Paris, 1832, page 415. b) [Le sujet désigne la rue ou la foule] Les boulevards charriant la foule (ÉMILE ZOLA, La Débâcle, 1892, page 10 ). Les deux hommes étaient portés, charriés, au milieu de cette vague humaine, qui les jeta sur la route (ÉMILE ZOLA, La Débâcle, 1892 page 292 ). — Par métaphore, péjoratif. Porter en soi, emporter : Ø 5. Et ces aveux il [Swann] ne pouvait plus les oublier. Son âme les charriait, les rejetait, les berçait, comme des cadavres. Et elle en était empoisonnée. MARCEL PROUST, Du Côté de chez Swann, 1913, page 370. · Charrier derrière soi ou à sa suite. Regardez tout ce qu'une civilisation charrie derrière elle, le bon, le mauvais (ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Sorellina, 1928, page 1237 ). C.— Emplois populaires. 1. Charrier quelqu'un. Le mener en bateau, se moquer de lui. On s'était fiché de lui en douce, on l'avait charrié (...). Eh bien il n'en a voulu à personne (LÉON DAUDET, Les Bacchantes, 1931, page 125 ). 2. Absolument. a) Plaisanter. Il charrie pas, le mec, avec sa poule (FRANCIS CARCO, Jésus-la-Caille, 1914, page 47 ). b) Exagérer Tu charries (...) parce que ça ne sert à rien de bluffer (LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, page 339 ). Sans charrier (GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, Claudine en ménage, 1902, page 288 ). Expression. Charrier dans les bégonias. Même sens : Exagérer. DÉRIVÉS : Charriement, substantif masculin. a) Fait d'être charrié. [Le] charriement de la malle par les couloirs (ALPHONSE DAUDET, L'Immortel, 1888, page 280 ). b) Fait d'avoir été charrié (quelque part) (confer charriage C). Qu'on se figure un charriement de rochers, un chaos, une mêlée de blocs culbutés, entassés là par une mer en débâcle (PAUL CLAUDEL, Connaissance de l'Est, Jardins, 1907, page 35 ).
