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L'inflation des lois

Publié le 17/01/2022

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       Le grand penseur Montesquieu, à bien des égards visionneur, disait : « les lois ont besoin d'esprit. Quand il n'est pas nécessaire de faire une loi, il est nécessaire de ne pas en faire". Et pourtant, la situation que l'on connait en France s'éloigne hélas bien fortement des recommandations du moraliste et philosophe français. En effet, la France connait, plus que les autres grands pays, un problème juridique et politique majeur, régulièrement soulevé par le Conseil d'Etat, à savoir l'inflation des lois, définit par Jacques Bichot comme « le cercle vicieux qui fait édicter de plus en plus de normes juridiques produisant de moins en moins les effets recherchés ». [i] Toutefois, l'inflation législative n'est qu'une facette d'une tendance plus large, l'inflation normative, qui ne concerne pas seulement la loi stricto sensu. En effet, il faut y ajouter les décrets et arrêtés gouvernementaux, mais aussi les directives européennes et autres normes internationales, et compter avec les autorités administratives indépendantes (AAI). Il en résulte que, nul n'étant censé ignorer la loi, « les français devraient connaitre plus de 10500 lois, 120 000 décrets, 7400 traités, 17 000 textes communautaires, des dizaines de milliers de pages de 62 codes différents » ironisent Philippe Sassier et Dominique Lansoy, dans leur ouvrage « Ubu loi, Trop de lois tue la loi ».[ii]

« On peut expliquer l'inflation législative et normative d'une part par le caractère foisonnant du droit communautairequi constitue un des premiers facteurs de complexité juridique.

Comme le souligne le Rapport public 2006 du Conseil d'Etat, « l'organisation du marché intérieur[…] la mise en place de l'euro, la libre circulation des capitaux ont entraîné l'adoption de nombreuses directives »[iii] qu'il faut ensuite transposer dans le droit interne.

Une grande partie de l'inflation législative résulte donc de la complexité de l'ordre juridique, l'Union européenne étant une sourced'abondance législative d'autant plus importante que son domaine d'intervention s'élargit : « rares sont, désormais, les lois dont l'objet total ou partiel ne consiste pas à adopter une règle communautaire, d'autant plus que cetteintégration se fait souvent par juxtaposition et non par remplacement » remarque George Hispalis.

[iv] Il faut aussi prendre en compte le développement des accords et des conventions internationales qui, approuvées, deviennent effectives sur notre territoire avec une autorité supérieure à celle des lois. La mise en place des Autorités Administratives Indépendantes (AII) et la décentralisation participent également àcette « pléthore » législative.

En effet, la loi a attribué à certaines AAI une part de son pouvoir réglementaire.

Elles possèdent l'avantage d'offrir une plus grande réactivité aux évolutions sociétales, internationales et technologiques,en plus de permettre une meilleure coopération avec les milieux professionnels. En outre, à travers la décentralisation, chaque fois qu'est en cause l'encadrement de l'action des collectivités,l'article 72 de la Constitution requiert l'intervention de la loi ce qui rend peu lisible le paysage administratif pour lecitoyen. A cela vient le vaste mouvement de codification du droit français qui constitue un puissant moteur d'inflationlégislatif. Notons aussi que de nouveaux domaines de législation et de réglementation se développent avec ladéréglementation de certains secteurs ou la privatisation de certaines entreprises ce qui nécessite l'adoption denouvelles règles. De la même manière, la société évolue, de nouvelles questions lui sont posées et il devient indispensable de légiférersur des domaines comme la bioéthique ou la protection de l'environnement. Aussi, la croissance de la production législative s'explique d'abord par l'évolution de la société et le contexte institutionnel auquel le droit doit nécessairement s'adapter.

Comme le rappelle le juriste suisse Alexandre Fuckiger,« La complexité de la loi ne fait que refléter la complexité du monde ».

Toutefois, à coté de ces causes objectives,il faut faire intervenir d'autres éléments d'explication qui relèvent plus de la pratique et des mœurs B) Les facteurs qui relèvent de la pratique et des mœurs Comme le fait souligner J.

Carbonnier dans son ouvrage phare « La passion du droit », le droit a conservé en France une valeur hautement symbolique, marquée par le légicentrisme révolutionnaire.

Aussi les français sont éprisde lois et il est très fréquent que le législateur préfère la proclamation d'une nouvelle loi aux mécanismes juridiquesdéjà existant et de surcroit plus efficaces.

Tout se passe donc comme si chaque problème nouveau, chaque faitdivers devait faire l'objet d'une loi.

C'est d'ailleurs ce que dénoncent Phillipe Sassier et Dominique Lansoy : « on utilise de plus en plus la loi comme instrument de l'action politique.

Comme les moyens budgétaires font défaut etqu'on ne peut plus décider d'un investissement important, on gesticule en faisant des lois.

A coté des lois degesticulations, il y a les lois de circonstance, celles répondant à l'humeur de l'opinion publique ou auxmanifestations d'émotion populaires si bien que la pression politique se conjugue avec l'écoute craintive del'opinion ».[v] Par exemple, un problème d'insécurité a lieu dans un stade et on annonce dans l'urgence un vaste projet de loi concernant des mesures de sécurité nonobstant que le Code pénal suffit largement à sanctionner toutacte de violence susceptible de se produire dans un tel lieu.

Aussi, les responsables politiques et d'administration,qui inspirent ou rédigent les textes, qu'il s'agisse des lois ou des règlements, ont une part de responsabilité nonnégligeable. En outre, il faut relever le poids important et croissant des lobbies dans la production des normes et des lois enFrance comme le démontre jean Lapousterle dans « L'influence des groupes de pression dans l'élaboration de la norme ».[vi] En effet, les lobbies font preuve d'une grande efficacité en poussant les députés à présenter un nombre incalculable d'amendements.

Ainsi, Vincent Nouzille et Hélène Constanty, dans « Des Députés sous influence » [vii] , décrivent le lobbying mené par le groupe Suez au cours des débats à propos de sa fusion avec GDF. L'inflation législative, qu'il est pertinent de relier à la notion plus large d'inflation normative, résulte donc decauses objectives, qui échappent à la seule responsabilité de l'Etat et des pouvoirs publics.

La société évolue et se. »

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