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4. LE RISQUE DE LA MISOLOGIE [SOCRATE-PHÉDON] — S. Commençons par prendre

Publié le 22/10/2012

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4. LE RISQUE DE LA MISOLOGIE [SOCRATE-PHÉDON] — S. Commençons par prendre garde à ne pas être victimes d'un accident. — P. Lequel ? — S. Celui de devenir misologues, à la façon dont certains deviennent misanthropes. Car il n'est pire accident que de devenir ennemi des raisons. Or la misologie vient comme la misanthropie. Car voici comment naît la misanthropie : on a naïvement accordé une entière confiance à quelqu'un ; on a estimé l'homme vrai, sincère et loyal à tous égards ; peu après on découvre en lui la perversité et la déloyauté, puis encore autre chose ; celui qui s'est vu infliger cette déception à maintes reprises, et par ceux qu'il tenait pour ses amis les plus intimes et les plus chers, à force de froissements, finit par prendre tous les hommes en haine et par estimer qu'ils sont tous sans exception dépourvus de sincérité. N'est-ce pas ainsi que cela se passe ? — P. Si, tout à fait. — S. Or, n'est-ce pas condamnable ? et n'est-il pas évident qu'on n'en est venu là que parce qu'on a tenté de fréquenter les hommes sans rien entendre aux choses humaines. [...] On peut comparer au cas des hommes celui des raisons sur le point que voici : quelqu'un qui n'entendrait rien aux raisons a accordé sa confiance à la vérité d'un raisonnement, puis, peu après, il se prend à croire qu'il est faux (ce qu'il est en certain cas, mais pas toujours), puis c'est le tour d'un autre, et ainsi de suite ; et tu n'ignores pas que ce sont surtout ceux qui passent leur temps à opposer les raisons qui finissent par estimer qu'ils sont parvenus au faîte de la sagesse et que seuls ils ont compris qu'il n'y a rien de franc ni de solide, que ce soit dans les choses ou dans les raisonnements : absolument tout ce qui existe va et vient dans le courant, dans le détroit d'Euripe, sans demeurer en repos en un seul instant. — P. C'est tout à fait vrai. — S. Telle est donc la fâcheuse mésaventure que nous risquons : alors qu'il existe en fait un argument vrai, solide et parfaitement discernable, sous prétexte que dans la suite nous en rencontrerions d'autres ainsi faits que nous les croyons tantôt vrais, tantôt faux, au lieu de nous en prendre à nous-mêmes et à notre incompétence, nous finissions par être tout contents de cesser d'en souffrir en nous déchargeant sur les raisonnements de notre propre responsabilité, passant dès lors le reste de nos jours à détester et à vitupérer les raisonnements, et nous privant ainsi de la science de ce qu'il y a de vrai dans le réel. — P. Fâcheuse mésaventure, assurément ! — S. Commençons donc par nous en préserver : gardons-nous de nous mettre en tête qu'il se peut qu'il n'y ait rien de sain dans les arguments ; bien plutôt que c'est nous qui ne sommes pas encore sains, et qu'il faut nous conduire en hommes et avoir à coeur d'être sains, toi et les autres, en vue de la vie qui vous attend, moi en vue de la mort, en songeant que, pour ma part, le risque que je cours présentement en face de celle-ci, c'est celui de me comporter non pas en homme épris de sagesse, mais, à la manière des gens complètement incultes, en homme qui prétend avoir le dernier mot. Car vois comme ils se comportent en leurs disputes : de l'objet précis de l'argumentation, ils ne se soucient nullement ; imposer leurs propres thèses à leurs interlocuteurs, voilà ce qu'ils désirent. Présentement à mon sens, toute la différence entre eux et moi est là : je ne me propose nullement (si ce n'est par surcroît) de faire croire à ceux qui m'entourent que ce que je dis est vrai, c'est à moi-même que je désire faire apparaître le plus vrai possible ce que je dis. Phédon, 89ce ; 90b-91b 5. L'ENJEU : SORTIR DE SON TROU [SOCRATE] Sur toute la surface de la terre, il y a de nombreux trous, de forme et de taille variées, où sont venus se condenser eau, vapeur et air. Mais la terre elle-même en sa pureté, c'est dans le ciel pur où sont les astres qu'elle réside, celui que la plupart des spécialistes de ces questions appellent l'éther ; et c'est le sédiment de cet éther qui ne cesse de venir se condenser dans les trous de la terre. Quant à nous, nous ne nous apercevons pas que ce sont ces trous que nous habitons, et nous croyons habiter la surface de la terre. Nous sommes exactement dans la situation de quelqu'un qui se tiendrait à mi-chemin du fond de la mer et croirait se trouver à la surface : voyant le soleil et les astres à travers l'eau, c'est la mer qu'il prendrait pour le ciel ; par indolence et faiblesse, il n'aurait jamais atteint la surface de la mer, et faute d'avoir émergé et mis la tête hors de l'eau en notre lieu terrestre, il n'aurait jamais vu à quel point il est plus pur et plus beau que le séjour de ses semblables, ni n'en aurait entendu parler par quelqu'un qui l'aurait vu. Eh bien, voilà exactement ce qui nous arrive à nous également : logés dans quelque trou de la terre alors que nous croyons en habiter la surface, c'est l'air que nous appelons le ciel et que nous prenons pour le ciel où se meuvent les astres, et notre condition est identique : par faiblesse et indolence nous sommes incapables de traverser complètement la couche de l'air ; à supposer que l'un d'entre nous y parvienne ou que des ailes lui permettent de s'envoler, alors il émergerait et verrait : exactement comme les poissons qui émergent de la mer découvrent notre séjour terrestre, il découvrirait la région supérieure, et si sa nature était capable de soutenir cette contemplation, c'est alors qu'il connaîtrait le véritable ciel, la vraie lumière et la terre véritable. Car cette terre-ci, ses pierres et toute la région d'ici-bas est détruite et rongée, comme l'est par la salure tout ce que contient la mer, la mer où il ne croît rien qui vaille, où il n'y a presque rien d'achevé, mais des roches rongées, du sable, une quantité extraordinaire de vase, des bourbiers là où il y a de la terre, rien qui mérite d'être en aucune façon comparé aux
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« NÉCESSITÉ DE LA PHILOSOPHIE 43 discernable, sous prétexte que dans la suite nous en rencontrerions d'autres ainsi faits que nous les croyons tantôt vrais, tantôt faux, au lieu de nous en prendre à nous-mêmes et à notre incompétence, nous finissions par être tout contents de cesser d'en souffrir en nous déchargeant sur les raisonnements de notre propre res­ ponsabilité, passant dès lors le reste de nos jours à détester et à vitupérer les raisonnements, et nous pri­ vant ainsi de la science de ce qu'il y a de vrai dans le réel.

-P.

Fâcheuse mésaventure, assurément!- S.

Com­ mençons donc par nous en préserver : gardons-nous de nous mettre en tête qu'il se peut qu'il n'y ait rien de sain dans les arguments; bien plutôt que c'est nous qui ne sommes pas encore sains, et qu'il faut nous conduire en hommes et avoir à cœur d'être sains, toi et les autres, en vue de la vie qui vous attend, moi en vue de la mort, en songeant que, pour ma part, le risque que je cours présentement en face de celle-ci, c'est celui de me comporter non pas en homme épris de sagesse, mais, à la manière des gens complètement incultes, en homme qui prétend avoir le dernier mot.

Car vois comme ils se comportent en leurs disputes : de l'objet précis de l'argumentation, ils ne se soucient nullement ; imposer leurs propres thèses à leurs interlocuteurs, voilà ce qu'ils désirent.

Présentement à mon sens, toute la différence entre eux et moi est là : je ne me propose nullement (si ce n'est par surcroît) de faire croire à ceux qui m'entou­ rent que ce que je dis est vrai, c'est à moi-même que je désire faire apparaître le plus vrai possible ce que je dis.

Phédon, 89ce ; 90b-91 b 5.

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