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Aimé Césaire, Cahier D'Un Retour Au Pays Natal

Publié le 11/09/2006

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Désormais classé parmi les classiques de la littérature française, Cahier d’un retour au pays natal a pris la dimension, universelle, qu’Aimé Césaire voulait lui donner. Il en a fait l’emblème, le symbole de la « négritude «, ce terme qu’il a lui-même inventé et qui se veut l’étendard de la cause noire, porteur d’une nouvelle fierté et d’une nouvelle force. Aimé Césaire y exprime tout à la fois son attachement à son pays natal, à son peuple vérolé par le colonisateur et son amour pour la langue française, « sa « langue, une langue dont il est imprégné. Dans cet incipit transparaît clairement sa volonté de concilier les deux, son amour pour son pays et son amour pour la langue française, afin de faire naître un monde meilleur. Le langage est complexe et rocailleux, presque un cri qui invite ou même oblige le lecteur à assister à cette naissance douloureuse , cette création par les mots, si caractéristique de la poésie d’Aimé Césaire. Nous allons nous attacher à voir comment Aimé Césaire amène l’espoir et la naissance de ce nouveau monde au travers de cet incipit chargé de violence où il évoque son retour aux Antilles pour en faire un appel à la révolte. Pour cela nous nous intéresserons premièrement au tableau des Antilles qu’il dresse de part son expérience personnelle puis à l’appel à la révolte et au cri qu’il pousse en réponse. Enfin nous nous attacherons à étudier ce monde nouveau qu’il souhaite bâtir, créer à partir de son écriture. 
 
          Cet incipit du Cahier d’un retour au pays natal porte tout d’abord la marque d’une écriture basée sur l’expérience personnelle d’Aimé Césaire, au travers de laquelle il dresse un tableau, réaliste et violent, des Antilles. Le titre lui-même le dit. Dans Cahier d’un retour au pays natal, Aimé Césaire fait référence à sa propre histoire, à son propre retour aux racines. Le texte est ainsi rédigé à la première personne, de manière à faire transparaître dans l’énonciation même ce caractère autobiographique. Cet attachement à faire part de son expérience personnelle est confirmée par la suite. Des lignes 1 à 5, dés le début donc, l’auteur place ce discours direct : « va-t-en, lui disais-je, […] va-t-en mauvais gris-gris « qui révèle cette volonté de rapporter la vérité, comme on rapporte un discours, des paroles, sans rien en changer. Ce discours autobiographique mets en place une relation de confiance entre Aimé Césaire et le lecteur, confiance renforcée encore par le réalisme se dégageant de l’incipit. Une multitude d’images sont juxtaposées telles « fleurs du sang « « blessure des eaux « et « lèvres ouvertes « qui correspondent à autant de phrases nominales, par conséquent sans verbe, comme pour mettre l’accent sur la description précise, l’énonciation des faits plutôt que des actions. Soulignant encore davantage cet aspect de l’incipit, les nombreux adjectifs comme « insolentes « « crépusculaires « « vieux « « frêles « et les propositions relatives telles « qui ont faim « « qui ment « « qui ne témoignent pas « témoignent d’une réelle volonté de décrire, de raconter sans mentir, de donner des détails afin d’établir une vérité indéniable. Cette quête de réalisme et de vérité l’amène alors à dévoiler les stigmates du peuple noir, des innombrables douleurs et fardeaux causés par l’esclavage.
         Ainsi ne dresse t’il pas un tableau idéaliste des Antilles, mais bien un tableau imprégné d’horreurs. Le réalisme se poursuit donc jusque dans la description des souffrances infligées au peuple noir par le colonisateur. Au travers d’images violentes, tout d’abord. Assemblées à la manière d’un tableau cubiste, elles se succèdent sur un rythme saccadé, segmenté par des virgules dans le premier paragraphe et des points virgules dans le troisième. Alors ces images comme « fleurs de sang « et « monstres « prennent toute leur force et montrent cette réalité sombre et morbide qu’Aimé Césaire voulait décrire. Associées à des adjectifs péjoratifs tels « grêlées de petites vérole «, « dynamitées par l’alcool « ou encore à des propositions relatives comme « qui ont faim « dans le deuxième paragraphe, les « Antilles « apparaissent malades, « frêles «, affligées de fléaux comme l’alcool et la famine. De plus, grâce à l’utilisation du lexique d’une faune comme les « perroquets « et d’une flore exotique, le lecteur est projeté dans un univers tropical, celui d’Aimé Césaire et de son peuple. Ainsi l’incipit revêt t’il les couleurs de la « savane «, et donne t’il le ton de l’œuvre générale, basée sur ce retour aux racines, aux origines africaines de l’auteur. Un retour sur soi douloureux, dont il dresse un portrait réaliste et violent, mais duquel il fait aussi monter un cri vibrant de colère, un appel à la révolte. Son langage se fait alors imprécation pour le colonisateur et harangue pour le peuple noir.
 
         A partir de cette évocation des Antilles, Aimé Césaire tient parallèlement deux discours. Il utilise alors la poésie pour exprimer toute sa colère au travers d’un appel à la révolte d’une part et d’une imprécation au colonisateur d’autre part. Et en effet, il « délace les monstres «, fait de la poésie une arme contre le colonisateur. Cette assimilation du langage et des mots à des monstres exprime bien cette colère qu’il éprouve à l’égard du colonisateur. Celui-là même qu’il apostrophe directement dans le discours injonctif des lignes 1 à 5, « va-t-en, lui disais-je, […] va-t-en mauvais gris-gris «, qu’il ordonne de s’en aller « Va t’en « et qu’il insulte « gueule de flic « « gueule de vache «. Dans cette anathème transparaît alors clairement sa volonté de menacer : vis à vis du colonisateur, sa poésie se fait incisive et porteuse d’imprécations. Une violence exprimée aussi dans le rythme saccadé des phrases, ponctuées de nombreuses virgules ou point virgules. Ce rythme, qui a une très grande importance dans toute l’œuvre d’Aimé Césaire, est aussi utilisé dans l’incipit à une fin de menace. Il se fait lourd ; Chaque paragraphe se termine par une phrase longue montant, s’enflant en une vaste protase. Toute cette violence, cette haine, telle une mer énorme de haine et de rancœur se gonfle en une vague immense et furieuse, qui vient s’écraser au niveau de l’acmé, se « dynamiter « par exemple à la fin du paragraphe deux. S’élevant seul contre l’oppresseur, le colonisateur blanc, la « force putréfiante «, Aimé Césaire pousse dans son œuvre ce cri de révolte, et affirme sa volonté de voir le peuple noir se réveiller à son tour pour se révolter avec lui.
         Ainsi tire t’il de cette violence du langage la force nécessaire pour appeler le peuple noir à la révolte. L’appelant sans relâche de ses mots, il répète dans le paragraphe deux le mot « Antilles «, qui se trouvent personnifiées par leur association à des adjectifs comme « frêles « et des propositions relatives telles « qui ont faim «, comme un chant hypnotique, une incantation qui fera se relever tout un peuple. Son appel se fait cri qui résonne dans les mots, dans les phrases, et notamment dans le paragraphe trois où l’on relève l’assonance du son [i] dans « petit « « martyrs « « s’éparpillent « « inutile « « babillards «… Et pour le rendre plus fort encore, l’auteur utilise un lexique de la blessure « blessure des eaux « « eschares «, du pourrissement, de la maladie « pustules tièdes « « petite vérole « et des images, choquantes, violentes et morbides. Elles s’enchaînent et cherchent à provoquer leur refus et la haine, pour finalement engendrer la révolte. De cette révolte il veut puiser la force qui emportera tout, la bombe, le « bouillonnement « capable de détruire ce monde malade et fatigué dont il a auparavant dressé le tableau. S’exprime donc dans cet incipit toute la violence des sentiments d’Aimé Césaire, qui, témoignant de son expérience personnelle, souhaite faire de son langage un appel à la révolte, le réveil de tout un peuple. Il donne ainsi au texte toute cette force jaillissante, dont il croit pouvoir faire naître un monde.
 
         De toute cette intensité des sentiments et du langage, Aimé Césaire projette de construire, créer un monde nouveau, meilleur, sur les ruines de l’ancien, dont il prévoit et prépare lui même la fin. Ce monde serait alors un peu de sa création littéraire, et synonyme de sa victoire sur le passé, fait de misère et de haine. Ainsi, à la manière d’un prophète, annonce t’il l’apocalypse. Sa voix, ses mots, son langage revêtent un aspect mystique, adoptent un rythme de transe, entrecoupé, ponctué de tirets, de virgules, et montent en une protase délirante et justement apocalyptique dans le quatrième paragraphe. Les verbes passent au futur : « les volcans éclateront « « l’eau nue emportera «. Tous des verbes d’action, ils représentent la force en l’occurrence dévastatrice de la nature. Destructrice envers le passé, et par conséquent envers le colonisateur, elle peut revêtir le rôle d’une protectrice de la cause noire. Assimilée à une mère, la nature est donc ici personnifiée. Synonyme de rupture avec le passé toujours, l’écriture d’Aimé Césaire revêt tout au long de l’incipit un aspect de contradiction, d’opposition entre les deux, passé et futur. Ainsi le « paradis « s’oppose au « désastre «, et le rêve de l’auteur en quelque sorte s’oppose à la réalité. Se dessinent donc pour l’éradiquer les contours de cette apocalypse prédite et proche, devant laquelle le colonisateur blanc sera impuissant et vaincu à jamais. Recherchant à tout pris la rupture totale avec la douleur et la haine synonyme de cet ancien monde qu’il veut révolu, Aimé Césaire utilise la poésie pour détruire définitivement toutes ses traces.
         Alors, synonyme de renouveau, l’utilisation des mots et du langage à des fins destructrices laisse place à une poésie faite créatrice, origine d’un nouveau monde, genèse d’un univers issu des cendres du passé. « Paradis pour lui et les siens perdus «, le monde idéal auquel l’auteur inspire n’existe plus depuis la colonisations et ses suites. Il trouve malgré cela la force de se tourner vers le futur : L’anaphore « au bout du petit matin «, d’ordinaire terminée par des points de suspension, trouve ainsi ce futur. Un futur idyllique, caractérisé par des images paradisiaques telle « plages de songes «, un « grandiose avenir « donc, dont la création est débutée dans l’incipit. Presque artistique, et un peu surréaliste, elle laisse la place à l’imagination du lecteur, qui garde la liberté de penser un tel monde. Le lecteur n’est non plus guidé mais bien lâché, libre en quelque sorte, le temps de sa lecture, de rêver et de s’offrir un regard neuf sur le monde. Il assiste alors à l’éclosion, sous ses yeux, d’un monde, à une cosmogonie poétique, à la renaissance des Antilles. 
 
         Le récit de son retour aux Antilles est l’occasion pour Aimé Césaire d’en dresser un tableau réaliste et par conséquent choquant. Imprégné de violence, ce portrait du pays natal compose l’incipit, fer de lance de l’œuvre et porteur alors de son fil conducteur : La poésie doit être à l’origine d’un changement. Elle doit se faire créatrice, génitrice d’une force suffisamment grande et jaillissante pour éclabousser le monde et le révolutionner. Là réside toute la beauté de l’œuvre d’Aimé Césaire. Au travers de cet incipit, sa poésie véhicule plusieurs sentiments, tels la souffrance, la colère et la haine et leur intensité est telle que le lecteur se voit offrir un regard neuf sur le monde, ce monde-là justement qu’Aimé Césaire veut changer. Cherchant à concilier ses racines et son amour pour la langue française, il donne à sa poésie la force de créer l’espoir, et par conséquent de redonner au peuple noir toute son intégrité, sa fierté.

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