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Alexis de TOCQUEVILLE (1805-1883) La crise de 1848 vue par Tocqueville

Publié le 19/10/2016

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Alexis de TOCQUEVILLE (1805-1883)

La crise de 1848 vue par Tocqueville

Un petit écrit resté inédit, que je composai alors, et un discours que je prononçai au commencement de 1848 témoignent de ces préoccupations de mon esprit. Plusieurs de mes amis parlementaires s'étaient réunis au mois d'octobre 1847 dans le but de s'entendre quant à la marche à suivre dans la session législative prochaine. Il fut convenu que nous publierions un programme sous forme de manifeste, et je fus chargé de ce travail. Depuis, l'idée de cette publication fut abandonnée, mais j'avais rédigé la pièce qui m'avait été demandée. Je la retrouve dans mes papiers et j'en extrais les phrases que voici. Après avoir peint la langueur de la vie parlementaire, j'ajoute :

« . . . Le temps viendra où le pays se trouvera de nouveau partagé entre deux grands partis. La Révolution française, qui a aboli tous les privilèges et détruit tous les droits exclusifs, en a pourtant laissé subsister un, celui de la propriété. Il ne faut pas que les propriétaires se fassent illusion sur la force de leur situation, ni qu'ils s'imaginent que le droit de propriété est un rempart infranchissable parce que, nulle part jusqu'à présent, il n'a été franchi, car notre temps ne ressemble à aucun autre. Quand le droit de propriété n'était que l'origine et le fondement de beaucoup d'autres droits, il se défendait sans peine ou plutôt, il n'était pas attaqué; il formait alors comme le mur d'enceinte de la société dont tous les autres droits étaient les défenses avancées; les coups ne portaient pas jusqu'à lui; on ne cherchait même pas sérieusement à l'atteindre. Mais aujourd'hui que le droit de propriété n'apparaît plus que comme le dernier reste d'un monde aristocratique détruit, lorsqu'il demeure seul debout, privilège isolé au milieu d'une société nivelée, qu'il n'est plus à couvert derrière beaucoup d'autres droits plus contestables et plus haïs, son péril est plus grand; c'est à lui seul maintenant à soutenir chaque jour le choc direct et incessant des opinions démocratiques...

« . . . Bientôt, ce sera entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas que s'établira la lutte politique; le grand champ de bataille sera la propriété, et les principales questions de la politique rouleront sur des modifications plus ou moins profondes à apporter au droit ,des propriétaires. Nous reverrons alors les grandes agitations publiques et les grands partis.

« Comment les signes précurseurs de cet avenir ne frappent-ils pas tous les regards ? Croit-on que ce soit par hasard, par l'effet d'un caprice passager de l'esprit humain, qu'on voit apparaître de tous côtés ces doctrines singulières, qui portent des noms divers, mais qui toutes ont pour principal caractère la négation du droit de propriété, qui, toutes, du moins, tendent à limiter, à amoindrir, à énerver son exercice ? Qui ne reconnaît là le dernier symptôme de cette vieille maladie démocratique du temps dont peut-être la crise approche ? »

J'étais plus explicite encore et plus pressant dans le discours que j'adressais à la Chambre des députés le 29 janvier 1848 et qu'on peut lire au Moniteur du 30. En voici les principaux passages :

 

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