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Antoine GARAPON (1952-) Qu'est-ce que la justice reconstructive ?

Publié le 19/10/2016

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Antoine GARAPON (1952-)

Qu'est-ce que la justice reconstructive ?

La philosophie reconstructive ne veut pas séparer la fin et les moyens. Elle parle que c'est en responsabilisant l'auteur d'une infraction que l'on développera chez lui le sens de la responsabilité ; on ne peut trouver meilleur éducateur pour lui... que lui-même. Derrière la philosophie reconstructive se cache ainsi une nouvelle conception de l'intervention publique qui, à l'inverse du mouvement de dépossession des victimes par l'État de leur droit de se venger, cherche à restituer à l'agresseur et à l'agressé leur capacité éthique. [...] On reproche à la pénalité classique d'ajouter le mal au mal. Cette économie de la souffrance est non seulement stérile mais contre-productive parce qu'elle ne peut qu'accumuler de la rancœur de part et d'autre. La justice reconstructive dénonce la contradiction interne au modèle de la peine : comment, en effet, dans le cas de la prison, permettre à des personnes de faire l'apprentissage de l'autonomie en les soumettant à une dépendance totale ? Même si la responsabilisation est le nouveau mot d'ordre des politiques publiques, les détenus se plaignent de rester plongés dans un univers clos qui ne sollicite jamais leur libre arbitre, qui ne stimule pas leur autonomie. La prison livre les individus non seulement à l'arbitraire des décisions unilatérales de l'administration (auxquelles ils ne sont jamais associés), mais aussi à l'emprise d'un système de représentations internes aux détenus [...]. Au Rwanda, les détenus - fort nombreux - suspectés de génocide n'ont aucune conscience de la gravité de ce qu'ils ont fait, tant la culture carcérale a pris le pas sur la conscience de la tragédie historique. D'où la volonté de la justice reconstructive, comme de la plupart des politiques publiques aujourd'hui, de valoriser, tant pour l'auteur que pour la victime, l'autonomie et la capacité plutôt que la contrainte et la culpabilité. Plutôt que de les soustraire, elle veut additionner les possibilités de chacun.

Et pour cela commencer par mettre directement en contact les intéressés, les inciter à trouver une solution concrète, plutôt que de les renvoyer à ce symbolisme obsolète de la peine qui ne signifie plus beaucoup. On se sent plus facilement endetté à l'égard de son voisin que vis-à-vis de la loi, c'est pourquoi la réparation réclame une action positive, à l'opposé de la passivité qui caractérise la peine étatique classique. D'ailleurs, beaucoup de détenus sortent de prison après de longues années, sans avoir le sentiment d'avoir payé quoi que ce soit. La réparation se veut une peine constructive tournée vers l'avenir, vers un avenir concret et circonstancié, qui le distingue du futur utilitariste qui ne concerne que le plus grand nombre. Si la peine est aussi stérile pour l'auteur que pour la victime, la réparation se présente comme un win-win contract, un échange dont toutes les parties peuvent sortir gagnantes.

S'instaure une sorte de symétrie entre le pouvoir recouvré des victimes et la responsabilisation de l'auteur qui n'était pas assurée par le modèle de la prison, qui, à l'inverse, déresponsabilisait. Le mal causé à la victime sera compensé par un bienfait du même auteur. Si l'économie de la peine classique procédait par soustraction - à la perte causée à la victime la justice en ajoute une autre qui diminuera l'auteur -, l'économie reconstructive est délibérément additive en cherchant, au contraire, à positiver l'expérience sociale de la délinquance, en proposant à chacun d'intégrer un cercle vertueux. Elle prétend sortir d'une économie à somme nulle pour cumuler des gains des deux côtés : bénéfices pour la victime qui se verra effectivement remise dans le statu quo ante, mais intérêt également pour l'auteur des faits qui ne sortira pas mutilé, mais grandi par la  réparation. [...] La justice reconstructive aménage la rencontre entre deux sujets éthiques auxquels elle accorde - c'est nouveau - la capacité de suspendre l'action judiciaire, voire de s'y substituer, sans toutefois contester son monopole de la violence légitime. La justice reconstructive entend mettre les différentes parties en capacité (d'où le maître mot en anglais d'empowerment, c'est-à-dire de « capacitation »). Le sujet visé par ce nouveau paradigme n'est plus le citoyen des Lumières, l'acteur rationnel du marché ou l'acteur procédural des juristes, mais un sujet éthique.

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