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Le 6 mars 1952: Discours d'investiture d'Antoine Pinay à l'Assemblée Nationale

Publié le 17/01/2022

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« Nous sommes en présence d'un triple déficit : les devises, le Trésor, le budget... Ce qui provoque en ce moment l'avilissement du franc, c'est la réaction de défense des individus qui, ainsi, précipitent eux même sa chute, c'est la défiance de la Nation dans sa monnaie, dont l'effondrement marquerait la défiance du monde à l'égard de la France.

Comment un pays comme le nôtre en est-il arrivé là ? C'est que ce grand pays a subi de cruelles épreuves. Et notre génération a assumé de lourdes charges. En trente ans, par deux fois, la France a dû relever ses ruines et reconstituer ses richesses. Aujourd'hui encore, elle doit défendre la liberté en Asie et s'armer pour sa défense en Europe. Elle ale devoir de rattraper dans ses équipements fondamentaux le retard des années sombres de la guerre et de l'occupation. Elle tient à l'honneur d'avoir plus d'enfants et plus de vieillards. Mais c'est notre génération d'adultes qui supporte ces charges...

Les remèdes ne sont ni de droite ni de gauche. Ils n'ont pas d'étiquette parlementaire. Ce sont des mesures techniques à prendre dans un climat de trêve politique. Avant tout, l'État doit tenir ses engagements essentiels. Parce que l'État est le gardien de la monnaie au même titre que de l'ordre public, le gouvernement, face aux prix, a un devoir impérieux de vigilance... Si tous les partis ne sont pas d'accord pour que l'État administre, ils sont tous d'accord pour que l'Etat gouverne. Je suis en effet attaché au libéralisme, mais à un libéralisme loyal qui, dans un climat de concurrence saine, doit rechercher sans cesse le progrès technique et la paix sociale, non pas au libéralisme aveugle de la jungle ou au libéralisme égoïste des coalitions d'intérêts...

Après le combat contre l'inflation des prix, vient la lutte contre l'inflation budgétaire. Pour assurer l'équilibre du budget, il faut créer un double climat, d'économie rigoureuse dans la dépense, de civisme intransigeant dans la recette. L'État doit donner l'exemple de la bonne gestion dans tous les domaines.

Dans les administrations, il faut retrancher encore les dépenses inutiles ou différables. Il faut assurer le plein emploi du personnel et du matériel... L'esprit d'économie doit pénétrer, non seulement l'État mais la nation. Il faut pénaliser le gaspillage comme la fraude dont il est souvent l'expression, II faut dénoncer le luxe qui est une insulte à la misère. Il faut que la discipline sociale réduise volontairement la consommation du pays. Les Français doivent, de nouveau, apprendre à éviter les dépenses inutiles ou à payer très cher le droit de jouir de biens ou de services que notre époque refuse à beaucoup d'entre eux. C'est pourquoi il faut rétablir le civisme devant l'impôt, la fraude doit être combattue avec la dernière rigueur. «

Débats de l'Assemblée nationale, Journal Officiel, mars 1952.

QUESTIONS

Présentez le document, sa nature institutionnelle, son auteur.
En faisant référence au texte, classez et développez les grandes informations sur l'état de la France en 1952.
À l'aide du texte, indiquez les solutions que préconise Antoine Pinay.
Développez la manière dont il les concrétisera lors de son passage au gouvernement.
Que représente « l'expérience Pinay « dans l'histoire politique de la IVe République ?

  

« Journal officiel de la République. I.

Ce discours est prononcé dans le cadre institutionnel de la constitution de la IVe République La constitution de la IV` République a été acceptée par les Français lors du référendum du 13 octobre 1946.

Elledélègue l'essentiel du pouvoir à l'Assemblée nationale, instituant ainsi un régime d'assemblée, puisque le président de la République n'a que peu de pouvoirs et que la deuxième Assemblée, le Conseil de la République, en a encoremoins.

Parmi tous les pouvoirs de l'Assemblée outre, évidemment, celui de voter les lois, on peut citer la désignation du président du Conseil responsable, avec son gouvernement, du pouvoir exécutif.

Une fois pressenti par leprésident de la République le candidat à la présidence du Conseil doit se présenter devant la Chambre des députéspour y présenter son programme, c'est le fameux discours d'investiture.

Les députés doivent lui accorder leurconfiance par un vote à la majorité absolue.

Cette procédure, qui explique la forte instabilité ministérielle qu'aconnue la IVe République, s'explique par l'inquiétude que suscitait en 1946 toute idée de pouvoir personnel, ilsemblait plus démocratique de confier l'essentiel du pouvoir aux représentants du peuple, qui pouvaient aussicensurer le gouvernement.

Mais, à peine la Constitution en application, les premiers présidents du Conseilcompliquent encore le processus en inventant la « double investiture » qui n'était pas prévue dans la Constitution.Une fois investi, le président du Conseil compose son gouvernement, et dans un souci d' hyper-légalisme, sereprésente avec lui devant les députés, pour faire accepter le gouvernement tout entier.

On comprend sans peineque cette procédure appliquée à des gouvernements d'une trentaine de personnalités qui ne pouvaient toutes plaireaux députés, favorisa encore plus l'instabilité ministérielle.

Seul, sous la IVe République, Mendès-France refusa de seprêter à ce rituel devenu traditionnel.

Pinay y sacrifie comme les autres.

C'est son discours d investiture qui nousest proposé ici.

L'événement est important car il marque le retour de la droite au pouvoir en France, sept ans aprèsla Libération.

Après l'échec du tripartisme et l'éclatement de la « troisième force » à propos des problèmes de l'écoleprivée (le MRP favorable à l'aide publique pour l'école privée, s'opposant aux socialistes et aux radicaux), leglissement vers la droite des coalitions gouvernementales continue et c'est ainsi que le président Auriol en vient àproposer à Pinay de présider le gouvernement. II.

État de la France en 1952Aspirant à gouverner, Pinay dresse tout normalement un tableau de la situation de la France telle qu'il la trouve enarrivant au pouvoir.

Il dénonce d'emblée « un triple déficit : les devises, le Trésor, le budget », il évoque aussi «l'avilissement du franc » et, plus loin, confirme son diagnostic sur le mauvais état des finances françaises, en citant« l'inflation des prix » puis « l'inflation budgétaire ».

Ce constat est parfaitement exact, la France de 1952 connaîtune forte inflation marquée par une hausse des prix et une hausse des salaires, le déficit extérieur est considérabletout comme celui du budget.

Cette situation n'est pas récente, elle date de 1944 et Pinay y fait allusion quand il dit: « ce grand pays a connu de cruelles épreuves ».

La guerre en effet a ruiné le pays, le déficit budgétaire était de460 milliards de francs en 1944.

En 1945 de Gaulle dut trancher entre la proposition de Mendès-France, blocage desprix et ponction dans les liquidités par l'échange des billets en circulation, et celle de Pleven, plus souple, moinsdirigiste, d'un grand emprunt.

De Gaulle choisit la solution de Pleven et la masse monétaire reste importante,l'inflation continue.

Par ailleurs la France doit « relever ses ruines et reconstituer ses richesses », en effet le pays avu l'essentiel de ses mines détruit, ses voies de communication bombardées, son potentiel agricole réduit, seslogements sinistrés.

Elle doit « rattraper dans ses équipements fondamentaux le retard des années sombres de laguerre et de l'occupation ».

Les Allemands ont ponctionné le pays pendant quatre ans en exigeant des fraisd'occupation, les bombardements ont causé des pertes énormes au potentiel industriel et immobilier (rappelons qu'en1954, soit deux ans plus tard, l'abbé Pierre dénonce le drame du logement parisien).

La Reconstruction nourritl'inflation (elle est de 38 % en 1951), la nécessité d'importer pour se moderniser entraîne le déficit budgétaire, ledéficit commercial et le fonctionnement abusif de la planche à billets.

Tout ceci conduit à une dépréciation du franc,que Pinay évoque : « l'avilissement du franc ».

Méfiants, certains Français ont, de plus, placé de l'argent àl'étranger, c'est ce qu'il dénonce en disant : « c'est la réaction de défense des individus qui (...) précipitent eux-mêmes sa chute ».

Par ailleurs, à la Libération une législation sociale a été votée, elle com porte surtout la création d'un système de sécurité sociale, l'extension des allocations familiales, la création d'allocations favorisant la natalité,toutes choses qu'évoque Pinay : « Elle tient à l'honneur d'avoir plus d'enfants et plus de vieillards ».

Cette politiquea d'ailleurs porté très vite ses fruits puisque la France qui connaissait avant guerre une crise démographique, voit sanatalité s'accroître considérablement et son espérance de vie augmenter.

Mais c'est une politique, d'après Pinay,très chère.

Il convient d'ajouter, comme source des problèmes financiers français, la guerre d'Indochine: « Elle doitdéfendre la liberté en Asie ».

La formule d'Antoine Pinay est révélatrice des mentalités françaises dans le début desannées cinquante, le conflit indochinois est devenu un conflit de guerre froide avec le passage de la Chine aucommunisme et la France, qui fait partie du bloc de l'Ouest, affirme se battre contre le totalitarisme communiste.Pinay dit ensuite que la France doit « s'armer pour sa défense en Europe», il fait là allusion au projet de CED, projetdu MRP Pleven, qui prévoit une Communauté européenne de Défense à laquelle participeraient des soldatsallemands.

Accepté par les partenaires de la France au traité de Paris en mai 1952, ce projet est finalement refusé,en août 1954, sous le gouvernement Mendès-France. III.

Pinay propose des solutions pour régler les problèmes économiques Pinay soigne son image de gestionnaire sérieux, apolitique en proposant ce qu'il appelle des « mesures techniques ».Mais son ode au libéralisme : « je suis attaché au libéralisme...

» révèle clairement qu'une page de la politiquefrançaise est tournée, la droite classique est de retour.

Notons cependant que, s'il s'affirme libéral, il ne remet pasen cause les fondements de la ive République puisqu'il dit être attaché « à un libéralisme loyal » qui recherche « le progrès technique et la paix sociale », ailleurs il confirme le fait, marqué à la Libération par les nationalisations et. »

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