Devoir de Philosophie

Apprend-On À Être Moral?

Publié le 05/12/2010

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C) La morale « close « : une humanisation restreinte (Montaigne, Bergson, Levi Strauss)
Passer de la discipline sociale à l’obligation morale  l’obligation n’est pas la contrainte, c’est la manière dont je me lie moi-même.
Espérer asseoir une justification des règles, tel est l’espoir de Durkheim. L’intelligence de la règle morale est partie intégrante de la moralité. Il faut expliquer la morale, non la prêcher. Refuser d’expliquer les règles de conduites à l’enfant, c’est condamner l’enfant à une moralité « incomplète et inférieure «. Un apprentissage morale complet, c’est celui qui permet de consentir rationnellement à la contrainte, parce qu’on en aurait compris la raison d’être. Vient alors la question du savoir. Durkheim : chercher la nature, la raison d’être… Cela, c’est en faire la science. La science serait de parvenir à justifier la loi morale comme il y a une science de la nature, analogie fort illusoire. La science ne justifie pas le pourquoi des lois de la nature, elle ne fait que les dégager. Pour dégager ces lois, le savant doit s’abstraire de toutes les normes culturelles, de tout le milieu social qui conditionne sa pensée. La science travaille en permanence contre la culture, et c’est pour ça qu’elle parle une langue qui n’est pas vernaculaire. Or, Durkheim demande à justifier le milieu culturel, de justifier les règles. Ouverture de la voie du soupçon si on tente de les justifier. La règles n’est vraiment absolument opératoire que lorsque l’impératif est non motivé et sans réplique (Bergson). La tâche est impossible, parce que le seul trait commun aux actions jugées morales serait qu’elle suivent des fins impersonnelles, i.e. supra individuelles (cf Durkheim). Les fins d’un autre individu ne sont pas des fins impersonnelles : le souci d’autrui n’est pas moral. C’est une relation affective. Il n’y a aucune raison d’accorder plus de valeur aux fins d’autrui plutôt qu’aux siennes. Les fins supra individuelles sont celles de la société elle-même. Agir moralement c’est agir en vue d’un intérêt collectif. Cette rationalisation, où l’on justifie la règle de conduite, ne va pas parvenir à justifier les règles dans leur particularité. Cette rationalisation ne va pas rendre raison de chaque prescription.
Montaigne « J’estime qu’il ne tombe en l’imagination humaine aucune fantaisie si forcenée qui ne rencontre l’exemple de quelque usage public, et que par conséquent notre discours n’étaye et ne fonde. «
« Les assassins, nation dépendante de la Phénicie, sont estimés, entre les Mahométans, d’une souveraine dévotion et… «  il faut tuer quelqu’un d’une religion contraire pour entrer au paradis. «
La vertu elle-même se reconnaît au meurtre.
Or, l’homme peut appartenir à plusieurs sociétés : la famille, la patrie, l’humanité (Durkheim). Les conduites demandées par chacune risquent fort d’êtres contradictoires. Il faut préférer la patrie à la famille car fins impersonnelles et plus hautes, mais inversement, il est impossible de sacrifier la société pour l’humanité. L’humanité est une idée, elle n’est pas une réalité : on ne peut pas sacrifier la réalité de la patrie pour l’idée de l’humanité. Le cosmopolitisme va être confié aux Etats eux-mêmes. C’est comme s’il y avait une morale supérieure, plus impersonnelle, décidée entre les Etats. Or, confier cette morale à l’Etat, c’est la confier à personne.
La foi d’un progrès moral a été cruellement démentie par tout le XXe siècle. Durkheim meurt en 1917 de chagrin, car son fils a été tué à la guerre. En invoquant la première guerre mondiale, il faut reconnaître que le cosmopolitisme, qui devait être pris en charge par les Etats, n’a fait qu’empirer. On a remarqué l’exacerbation des revendications identitaires, hostilité entre les groupes, narcissisme des petites entités (Freud). L’identité se construit par hostilité, à l’égard de l’individu et du groupe étranger, mais surtout d’un supposé étranger intérieur, ennemi intérieur, contre lequel et par lequel se constitue l’identité du groupe (ce qui est le mécanisme de toutes les persécutions). Freud parle de l’antisémitisme, et évoque la persécution des bourgeois dans l’URSS. Loin qu’il ya ait progrès morale, le XXe a atteint des persécutions inégalées dont les autres siècles ont été témoins. Pas de progrès moral parce que les supplices infligés à l’étranger restent les mêmes (cf Montaigne, Essais, supplices infligés par les espagnols au roi du Pérou). La « morale close «, i.e. cette morale sociale propre au groupe, qui a ses règles de conduites, ne peut pas être imputée aux seules sociétés traditionnelles, ce que Bergson lui-même reconnaît. L’apprentissage qui semble ne jamais se faire semble être celui de l’exclusion, le déni de l’humanité d’autres hommes, qui est la constante d’autres sociétés. La morale dite « ouverte «, qui s’ouvrirait à la morale des sociétés entières, peut elle avoir l’effectivité d’une morale close ? L’amour de l’humanité n’existe-il que dans la conscience et la pratique individuelle ? Faut-il appeler de nos vœux cette « morale ouverte «, comme apprentissage de l’humanisme ?
Si chaque société s’institue dans des règles, alors l’exclusion est intrinsèque. L’exclusion semble toujours en quelque manière légitime aux yeux de l’anthropologue. Levi Strauss, Race et culture (conférence donnée à l’UNESCO sur la question du racisme) : « L’ethnologue hésite non pas certes à combattre les préjugés raciaux, mais à espérer en une civilisation mondiale, destructrice de ces vieux particularismes «, qui ont créé les caractéristiques sociales et culturelles. « L’humanité devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus, sinon même à leur négation. «
La morale humaniste s’ouvre avec l’enseignement de l’évangile. Levi Strauss affirme qu’on oublie que l’homme ne réalise pas sa nature au sein de l’humanité, mais qu’il la réalise au sein d’une humanité fermée. Aux yeux de LS, cet exhortation à une morale humaniste universelle a finalement l’effet contraire de celui visé puisque cette humanisation excite la revendication d’identité, et donc celle des différences et des particularismes, et donc engendre la haine. La haine ne se développerait pas du seul fait de la morale ouverte, alors même que l’explosion démographique, l’insuffisance des ressources mènent à une inégalité et à une promiscuité des groupes. Ceci transforme la coexistence en haine. La condition de la tolérance réciproque, c’est la distance physique entre les individus et l’égalité. Or, l’ambition humaniste ne peut pas remédier aux questions de l’intolérance. Mais qui plus est, aux yeux de LS, cette homogénéisation fait perdre aux cultures leur pouvoir créateur. La civilisation mondiale qui se dessine de facto des échanges commerciaux, et celle à laquelle aspire l’humanisation, est destructrice des particularismes. Ceci ne signifie pas que LS n’appelle pas à une morale close : il veut maintenir les deux termes de l’antinomie (particularisme des cultures et leur collaboration qui ouvre  à une universalisation). Il écrit explicitement « se garder d’un particularisme aveugle et d’une humanité ossifiée en un genre de vie unique «. Comment serait-ce possible ? Bergson donne une réponse à cette question : la fraternité qui est cette réponse humaniste s’apprend en étant intégré dans le groupe  vient élargir la morale du groupe et se commande par l’émotion suscitée par les grands fondateurs de morale, qui propagent cette morale universelle. Idée d’une sorte d’intégration progressive, mais on voit bien comment on peut apprendre une morale à partir de l’autre, mais on ne voit pas comment les deux pourraient coexister : la morale close, en s’élargissant, ne s’annule pas ?
Les fondateurs de cette morale humaniste ont tari la création des valeurs, en raison de la teneur même de cette morale, et induit la décadence. L’argument de Nietzsche est que la morale close est une spiritualisation des plaisirs qui suppose la haine du corps, la haine de l’agressivité, qui est la haine de la vie elle-même : c’est une mortification. Apprendre à être moral par cette morale là, cette morale d’abord chrétienne, puis morale européenne (DDHC, une vie malade débile, Antéchrist §163). Généalogie de la morale, §11 « on a fini par briser et subjuguer les lignées nobles avec leurs idéaux… comme les authentiques instruments de culture «. Les valeurs n’ont de puissance culturelle que si elles sont particulières. « Par là s’entame la régression de l’humanité « : loin d’être une évolution (de la « morale close « à la « morale ouverte «), ce serait une régression. Quelle est cette morale régressive ? La morale de ressentiment. Morale de la pitié (préface de La généalogie de la morale, §5-6) où se signalent les symptômes  l’impuissance à supporter sa souffrance, et à supporter sa vue. Cette morale, pour Nietzsche, on la trouve aussi bien dans le christianisme, dans Rousseau, chez Schopenhauer, et dans le socialisme : Par delà le bien et le mal §202. L’histoire de la culture c’est celle de la cruauté pour Nietzsche : ce seul état de fait récuse une morale qui prétendrait les dissoudre. La cruauté tient aux conflits et aux luttes. Et la preuve que cette morale n’est qu’une idée, c’est qu’en son nom s’accomplissent les pires cruauté, mais que c’est une cruauté raffinée, spiritualisée (Par delà le bien et le mal §229). Il n’y a pas à demander laquelle des deux morales prendre, car l’opposition entre les deux morales n’a pas de sens. La morale universelle est pour Nietzsche est une type moral, un type de vie, i.e. un type d’homme. Dire que c’est une type, c’est dire qu’elle n’est pas universelle, ni ne le sera. Tout type de vie, donc toute morale, s’apprend toujours par dressage ou discipline, toujours cruellement, qui correspond à la Züchtung (Généalogie de la morale, 2e traité §1). Qu’est ce qu’apprendre la morale ? C’est conserver ou au contraire éliminer certains traits de la vie pulsionnelle propre à ce vivant qu’est l’homme, mais pour Nietzsche c’est propre à tout vivant. C’est un travail de sélection au sein de chacun, le type d’homme dépend du type qu’on retient… toute morale est une orientation de la volonté de puissance, mais qui ne tient que sur la longue durée. Fragments posthumes : « modeler l’homme au bout d’un vouloir créateur et profond, à condition que ce vouloir artiste, de très haute qualité, ait en main la puissance de réaliser durant de longues périodes ses visées créatrices sous forme de législation, de religion, de coutume. « Voilà ce qu’est la formation d’un type moral par discipline. Les hommes se modèlent comme de la glaise, œuvre d’art dont il y aurait un artiste, artiste qui aurait ce pouvoir de modeler de l’homme pour autant qu’il a des outils comme la religion, la coutume et la législation (pouvoir politique). Si cette morale universelle qui s’est répandue de l’Europe de la débilité est contraire à la vie, il faut réinverser les valeurs, ce qui est le projet d’une culture supérieure. Nietzsche demande à l’Antéchrist quel type d’homme il faut élever (züchten), il faut vouloir comme le plus riche en valeur supérieure le plus digne de vivre, le plus assuré dans l’avenir (Antéchrist, §3). Ce serait encore apprendre une morale que d’apprendre cette anti morale. Créer un type d’homme opposé au type moderne, grégaire, souffreteux, nihiliste. Une morale aristocratique qui dit oui à la vie, et non à sa conservation (réaction défensive de la proie qui craint son créateur), oui à la contradiction. Ie apprendre, puisque la vie exige des affections et des pulsions/mouvements. Ces perceptions affections et pulsions sont pour Nietzsche contradictoires : nous sommes une marmite de pulsions contraires. Ceci est insupportable, que nous ne maîtrisons ni nous mêmes, ni notre milieu. Ou bien on a appris à appauvrir les instincts, à les spiritualiser (le chrétien), ou alors on laisse ces contradictions s’exprimer dans un désordre anarchique (type plébéien). La morale aristocratique parviendrait à trouver un juste milieu : les hiérarchiser pour cumuler leurs forces. C’est ça, le sur homme, qui dépasse l’homme grégaire, en ce que le surhomme se dépasse lui-même (prologue, §3, Ainsi parlait Zarathoustra). Une maîtrise de soi qui n’est pas une abstinence, mais un apprentissage de la subordination. Il faut hiérarchiser en nous, et c’est ce qui permet d’aborder la situation dans sa cruauté. Le monde est cruel, il faut en prendre acte. Ce surhomme, il en donne d’étranges préfigurations : Shakespeare, Goethe, Borgia, Napoléon. C’est l’idée d’une sorte de vie artiste, où l’homme est capable de se modeler.
Apprendre la morale serait placer son espoir dans cette inversion des valeurs, dans « de nouveaux philosophes « qui seraient « des esprits assez vigoureux et intacts pour amorcer l’avènement de valeurs opposées (aux valeurs de la pitié de cette morale universelle), pour réévaluer et renverser les « valeurs éternelles « … pour enseigner à l’homme l’avenir de l’homme, avenir qui sera sa volonté, et qui dépendra d’elle, pour réaliser une grandiose entreprise d’éducation, de sélection, et mettre fin par là à l’effroyable règne du non sens et du hasard qui s’est appelé « histoire « jusqu’à présent. « (Par delà le bien et le mal, § 203). L’entreprise d’éducation a comme objectif de sortir l’histoire de sa contingence, ce qui est inquiétant : on va remettre à cette caste aristocratique la main le souci d’instaurer cette nouvelle table de valeurs. Cette instauration semble demander à al fois une domination politique et sociale et qui passe par un mépris du faible et le fait de le violenter, et de l’autre côté en mm tps l’idée que la morale est un pouvoir sur soi. On ne se soucie pas d’autrui Fragment posthumes  nous sommes exhortés à être des dieux épicuriens qui ne se soucient pas des autres. La force de la thèse de Nietzsche, c’est de nous montrer qu’il faut évaluer les valeurs, et que l’on ne peut pas simplement y adhérer (Généalogie de la morale, §17) en évaluant les types d’hommes que ces valeurs ont dressés. Il faut chercher à voir les modes de vies que nous font vivre les valeurs, pour les qualifier et les disqualifier. On est bien dans l’idée qu’on a la charge d’évaluer les valeurs : il ne suffit pas d’être élevé dans une morale sociale pour être moral. Difficultés de cette thèse : quel est le critère de cette évaluation ? comment justifier la justification ? qui ou quoi nous apprend ce critère ? C’est le « corps « qui sert de fil conducteur, affirme Nietzsche. Ce corps n’est ni la chose étendue de Descartes (corps comme portion d’espace), ni le corps organique que soigne le médecin : le corps est le jeu conflictuel d’instincts, d’appétits, de perceptions qui doivent se hiérarchiser mutuellement, qui sont en lutte pour avoir la suprématie et le « grand style « c’est de trouver la subordination où le moins de force et de puissance est perdue. Cette idée du corps est proprement philosophique : il va a contrario de l’expérience que nous avons de nous même comme unité, que le langage entérine par le pronom « je «. Est ce que cette évaluation n’est pas tributaire d’une conception philosophique aussi arbitraire que celle dont la morale stoïcienne se réclamera, bien que les prémisses soient différents ? 1ère difficulté : Que penser du critère ?
2e ligne : il faut la production d’un homme nouveau comme on produit une œuvre d’art // l’homme est à lui-même son œuvre d’art, il s’apprend à lui-même le type d’homme supérieur. La philosophie de Nietzsche est d’un côté celle de l’individu, la haine du grégaire, mais de l’autre côté que la morale est un dressage, qui ne va pas dresser un individu.
La question est : est ce qu’il suffit de disqualifier le bien et le vrai au profit de la beauté de la création pour régler le conflit des valeurs ? Le « grand style «, c’est du vocabulaire poïétique, artistique : la vie supérieure est la vie belle. C’est le kalos sans l’agathos, puisque la morale et la science sont prises comme des modalités de l’art, i.e. ce ne sont jamais que des manières de modeler sa vie, i.e. de trouver un moyen de surmonter les contradictions et de les maîtriser par le savoir, par l’abstention morale. Nietzsche pense toujours tout dans cette vision artistique.
Il faudrait répondre à Nietzsche par Weber, i.e. on ne peut pas éluder le conflit des valeurs. Le savant et le politique, p.97 : Le désenchantement du monde c’est celui de la religion chrétienne. C’est au sein de l’Europe chrétienne que la lutte fait rage. Demande de lucidité, mais aussi demande de prise de position : apprendre à être moral, c’est décider de sa position ultime, qui est le diable et qui est Dieu. Décider si le sermon sur la montagne est dignité ou indignité (Mathieu 5, 39) : « Mais moi je vous dit de ne pas résister au méchant. SI quelqu’un te frappe sur la joue droite, montre lui ta joue gauche. «
Il faut pouvoir contrevenir à la morale sociale, ce qui suppose une inquiétude morale, thématisable comme force et comme faiblesse. Supporter l’inquiétude est une forme de vigueur, 
Premier pas dans une morale non sociale : ce premier pas revient au sujet, et un des premiers sujets dans notre Occident qui ait franchi ce pas, c’est Socrate, ce que Nietzsche sait fort bien (Crépuscule des idoles, « le problème de Socrate «, § 9). Ce pas franchi de suspecter les valeurs dans lesquelles on vit, c’est ce qui chez Socrate et Platon ouvre l’interogation philosophique. La philosophie est née de là, de l’aspiration à fonder et à évaluer les valeurs. C’est une désir, un amour, un éros philosophique.
II- La conscience morale : faveur reçue ou savoir conquis ?
A) Le savoir du bien : conquête de la raison théorique (Platon, Epictète)
La question est de savoir comment Socrate va apprendre ce qu’il cherche, i.e. ce qu’est la vertu, et ce qu’est le bien que vise la vertu, apprendre où est le dieu et où est le diable. Le Ménon propose un paradoxe, tâche impossible : on ne peut pas chercher ce que l’on ignore (93d). Il va falloir que Socrate réponde à cette objection, et va la résoudre en proposant de concevoir que ce qu’on a à chercher, c’est ce qu’on savait déjà, mais que l’on a oublié. La solution de la réminiscence ne suffit pas à régler la question de l’apprentissage moral, parce que les vérités préinscrites dans l’âme (« opinions vraies «), celles qui sont analysées à la suite de ce paradoxe, ces vérités sont virtuellement de vraies connaissances. L’exemple pris est mathématique : propositions rationalisables. Dans le cas de la géométrie, même s’il y a opinion vraie, il pourra y avoir ensuite connaissance. Dans le cas de la connaissance, la vérité sera liée à d’autres raisonnements déjà connus (97e-98a). La réminiscence consiste en se remémorer, et en comprendre ce que l’on se rappelle, et c’est bien une modalité de l’apprentissage. On apprend ce qu’on savait déjà, on apprend qu’on le savait déjà, et on apprend à comprendre et ce par l’aide du dialogue, méthode d’apprentissage. Les opinions vraies qui guident l’action ne sont pas des objets de réminiscence. L’exemple qui fait transition, exemple de conduite, c’est cette opinion vrai qu’aurait un homme, qui saurait se rendre à Laryce sans savoir où c’est et sans se l’être fait enseigner (97a). Il sait par une sorte d’inspiration irrationnelle, mais il lui est impossible de rationaliser ce savoir, et aucun dialogue ne pourra relier ce savoir à un autre. Soit sa règle d’action est juste, mais elle ne deviendra jamais une connaissance au sens propre, par cette méthode maïeutique. L’apprentissage de la conduite droite n’est nullement réglée, et est problématique, et montre qu’on ne pourra invoquer aucune connaissance : on ne peut pas invoquer le ouï dire des coutumes, mais pas non plus se remémorer et rationaliser des vérités prénatales, et comme le critère de la conduite droite n’est pas non plus une connaissance innée (89b), alors ni innée, ni acquise par aucun des moyens d’acquisition, la vertu est objet d’inspiration… « La vertu ne saurait ni venir par nature, ni s’enseigner, mais elle se présente comme une faveur divine, dépourvue d’intelligence comme chez l’homme où elle se trouve. « (99e) Qui en est l’exemple ? Les bons hommes politiques (99 a – b), et il n’y a plus à s’étonner de ce qu’ils soient impuissants à enseigner leur vertu à leurs enfants (93b), puisque cette inspiration ne se transmet pas. Inspiration incapable de se rationaliser, ce qui fait sa faiblesse au regard de la philosophie. Mais c’est pourtant justement cette thèse-là que Bergson veut retenir en prenant l’exemple de Socrate, c’est Socrate qui invoque son daimôn, son inspiration. Être moral doit pouvoir s’apprendre, on doit pouvoir déterminer de quel savoir relève la vertu et donc le bien qui la régule : la première tâche philosophique est de savoir quel est le savoir du bien. Or, le bien ne peut pas rester l’objet d’un émoi, d’une passion (Phèdre). Serait-on contraint à vivre une vie réglée par le dérèglement ? Platon, dans la succession des dialogues, cherche, et se doute que le bien n’est pas une idée parmi les autres Idées, n’est pas une valeur parmi les autres valeurs, c’est une idée fondatrice (archè), ce par quoi tout commence et qui commande au reste (fin livre 6, début 7, La République). Idée fondatrice veut dire que le bien c’est ce par quoi tout le reste vaut, ce à quoi sont suspendues toutes les valeurs, toutes les activités, l’orientation de notre vie, c’est ce qui justifie tout le reste. Platon dit que c’est ce qui va nous faire justifier qu’une activité est préférable à une autre. C’est ce par quoi les vices sont mauvais et les vertus sont bonnes. Il ne suffit pas d’apprendre telle ou telle vertu (La République, IV) (courage  guerriers, sagesse  philosophes, tempérance, justice). C’est une énumération, non justifiée… Qu’est ce qui fait que ces vertus sont bonnes ? République, VI, VII : il va falloir fonder les vertus, fonder qu’elles sont bonnes. Le bien ne peut pas être une image, une Idée (eidos) comme une autre. Il l’appelle non pas eidos, mais « idea «. Qu’est ce qui est appelé idéa en dehors du bien ? La lumière et l’âme : l’âme n’est pas elle-même une Idée, mais elle est une puissance, comme la lumière, i.e. qu’elle est proprement lumière, bien, âme  ce qui nous rend apte à (voir pour la lumière, à avoir l’intelligence de toutes les réalités pour l’âme, à nous conduire pour le bien). Le bien est bon pour, il nous rend apte à ; Ce n’est pas une essence définissable, pas plus que la lumière n’est visible, mais qu’elle est ce par quoi tout se voit. Le bien est ce qui permet de frayer son chemin dans les conduites. En ce sens, toute demande d’apprendre la définition du Bien sera par principe frustrée : on pourra user d’analogies  analogie (508c-509c) avec la lumière, on pourra définir les effets de cette puissance, caverne. Quels sont ces effets ? La conversion morale, i.e. apprendre ce qu’est le bien, c’est se laisser conduire par le bien jusqu’à lui. La moralité ne peut être autre chose qu’un cercle. On peut contribuer à cette ascension par l’effort : livre VII, 532 c 535 d  en s’élevant à l’abstraction, en s’éduquant à l’abstraction, car c’est par là qu’on arrivera à désapprendre les conduites empiriques. Il y a aura des sciences propédeutiques, qui mèneront à la science la plus haute (la dialectique) : cette science dialectique consiste à savoir se frayer une voie entre les concepts et entre les valeurs. Le texte platonicien de la République concentre, résume, toutes les difficultés de l’apprentissage moral : ça relève d’une inquiétude, et d’un effort de la volonté, ça exige de se contraindre à une épreuve pénible (caverne), épreuve pénible dont on comprend mal comment on pourrait s’y engager, puisque l’on a renoncé aux critères anciens (soleil de la caverne), et que l’on n’a pas trouvé les nouveaux critères (vrai soleil)… Comment en venir à changer de règles ? Avec Platon, la conversion morale exige toujours plus de conditions nécessaires, mais il n’y en a jamais de suffisantes, parce qu’on est pris dans un cercle, qui est qu’il faut vouloir le bien pour se laisser conduire par lui, il faut se laisser conduire par lui pour vouloir.
Le problème semblerait pouvoir se simplifier si ce savoir moral pouvait s’apprendre que le savoir théorique ordinaire, ou bien empiriquement (transmission de l’information), ou bien rationnellement (mathématique), deux modalités traditionnelles de l’acquisition. C’est exclu de l’apprendre empiriquement, parce que ce qui doit être n’est pas ce qui est. La conduite à suivre est une signification donnée (voie stoïcienne), où il s’agit d’apprendre à déchiffrer cette destination. Dans une physique, dans une compréhension de l’ordre naturel : cette destination ne peut pas être pour les stoïciens, ni politique, ni sociale. On est dans l’approfondissement du repli de l’individu, dans la solitude du for intérieur : il faut désapprendre la vie sociale, car la cité est tyrannique. Il n’y a rien à apprendre de l’ordre social, sauf la persécution. C’est la grande différence entre Platon, Socrate, Aristote et de l’autre côté les stoïciens : on a perdu le respect des lois de la cité, et on a perdu l’attachement et l’amitié, qui sont censées faire le lien humain (Aristote, Ethique à Nicomaque). On est dans la citadelle intérieure de la conscience : il faut apprendre à comprendre à quel poste la nature nous a placé, et quel rôle il nous est donné de jouer. Il faut déchiffrer une nécessité, qui a écrit le texte que nous avons à jouer. Et une fois déchiffrer, on pourra y consentir, ce qui est la résignation, i.e. la résignation (on resigne un texte qui a déjà été écrit). Mais cela consiste à reconnaître la pépite d’or qui nous a été donnée : le pouvoir de juger. C’est en ce concentrant sur ce don que l’on pourra gagner le seuil bonheur possible, qui est autarcique, celui de ne dépendre que de soi, de son seul pouvoir de juger, la seule chose qui dépende de nous (Manuel). En quoi cela nous donnerait le bonheur ? Le mal réside non pas dans les choses mais dans l’opinion que nous avons d’elles ; « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais leur jugement sur les choses « (Manuel, § 5). Si nous maîtrisons nos opinions, nous ne souffrirons pas  l’apathie stoïcienne. Se commander à soi-même (arché autos) et apathie (ne pas connaître la souffrance). C’est l’opinion que les choses sont un mal et qui nous fait désirer l’impossible, de demander que les choses arrivent autrement que ce qu’elles arrivent. Descartes « Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde, et généralement de m’accoutumer à croire, qu’il n’ya a rien qui ne soit en notre pouvoir que notre pensée « (Discours de la méthode, 3e partie). Le double écueil, c’est que ce qui devait être une issue (le problème serait simplifié), c’est que d’abord être moral c’est être savant, il faut avoir compris toutes les facultés humaines, avoir pénétré le monde dans sa nature, consiste à connaître quelque chose d’inconnaissable. Le corps est une chose, très proche du cadavre (« Tu n’es qu’une petite âme qui porte un cadavre «, Epictète cité par Marc Aurèle Pensées pour moi-même, 4, 4), i.e. dénier les affects, les sensations qui sont considérées comme des opinions. Peut on apprendre cela ? Oui, c’est possible (cf Bergson), mais c’est une philosophie, elle n’a pas eu le talent d’enthousiasmer et de se protéger… Est ce qu’il ne faut pas déjà être convaincu ? La conversion morale consistera à se convaincre que l’on est un cadavre.
On ne peut pas soustraire la moralité et à l’apprentissage de la science, et à la révélation. Chercher toujours dans le for intérieur à savoir comment on distingue le bien et le mal, mais cette fois en invoquant la certitude de la conscience, qui est de l’ordre du sentiment, sans exclure pourtant la raison, car c’est le cas chez Hume et chez Rousseau, où l’on sort de l’alternative.
B) Le sentiment moral : un mouvement spontané (Hume, Rousseau)
L’effort pour déterminer de quel savoir relève la vertu est dur. Hume, au prix d’une indétermination de la conduite : le sentiment est un principe qui transcende les mœurs, qui ne permet pas de trancher entre elles. Ou bien, bonheur moral jamais éprouve (Rousseau), puisque chez Rousseau il n’y a que deux états vice et innocence…
Si elle s’apprend, c’est au déni du corps, d’une impuissance à agir. La conduite morale elle-même semble menacée. C’est avec toutes ces contradictions que Kant prétend en finir, et les surmonter. Il veut arriver à se frayer une voie, accorder à Rousseau que nous pouvons êtres hommes sans êtres savants  renoncer à une science morale, mais reconnaître aussi que la morale exige que l’on se conduise moralement, donc qu’elle exige un mobile, et que donc, puisqu’elle doit être un état  long, il faut lui trouver un critère universel, qui ne peut pas être aussi indéterminé que le sentiment. Le critère doit être déterminé sans être objet de science. Contester à Hume que la raison ne puisse pas être pratique. Ce critère va être donné à la conscience.

Problèmes de forme :

 

Se fixer un timing, le suivre… il faut cesser de rendre des copies inachevées…

De même, veiller à faire un devoir équilibré (pas d’introduction démesurément longue, pas de « moignon « de conclusion).

Importance de la syntaxe, de l’orthographe, de la ponctuation… Cesser de mettre des majuscules partout ! (le terme « idée « doit être mis avec une majuscule seulement quand on se réfère à Platon

Par ailleurs, éviter les points d’exclamation…

Pauvreté du lexique… Eviter les barbarismes « Un peu d’amour de la langue mon Dieu ! «

Chaque terme introduit a une valeur philosophique… Il faut savoir retrouver les mots de base, aux champs sémantiques des mots…

 

Introduction

 

Progrès dans les amorces… Il faut néanmoins éviter le hiatus entre l’amorce et la construction du problème : il faut prendre appui sur l’amorce pour en dégager la construction du problème.

Ce qui reste encore complexe, c’est la construction du problème lui-même. C’est précisément ce qui doit constituer la plus grande partie de l’introduction.

Il faut énoncer le sujet (une interrogative directe ou indirecte)

 

Conclusion

 

On a pu trouver en cours de route des idées, avec le développement… Il faut absolument éviter de perdre le fil de sa pensée.

Elle doit s’achever sur l’énoncé du problème (et non du sujet posé). Il faut qu’on y retrouve le fil de l’introduction, si possible en en changeant la teneur.

Elle ne constitue pas le lieu de réflexions de dernière minute.

 

Contenu

 

Erreurs :

- indifférence à la teneur des morales (trop focalisé sur « apprendre «, il fallait insister sur la « morale «). En effet, pour savoir comment apprendre la morale, il faut analyser la teneur de la morale elle-même.

Indifférence aux critères de la conduite, elle-même suspendue à un jugement. Il faut restituer l’argumentation de l’auteur, ses arguments clé

- manque de lucidité sur ses propres présupposés. Très souvent, l’introduction montre des présupposés qu’on a choisis, et qui ne posent pas problème, à tort. Les présupposés, faux, les plus fréquents :

★ apprendre  savoir théorique  application pratique… Enseignement suppose un maître. Il faut casser ces présupposés : comment apprend-on à marcher ? à parler ? d’un point de vue intellectuel et physique…

Il y a des savoir faires, des savoirs pratiques : il n’y pas de science morale pour Aristote. Il fallait réfléchir sur l’habitude...

★ Souvent, le sujet a été changé en Apprend-on à être un être moral ? Emploi abusif de « l’essence de l’homme «. Nous ne sommes pas des objets fabriqués, mais nous sommes des vivants. On ne naît pas avec des instincts, tous les comportements sont appris.

★ Clivage entre intention morale et acte  contresens sur Kant. La question est autre chez Kant : est ce que l’intention peut se résumer au bénéfice que l’on attend de l’acte ? Tout l’intérêt de Kant montre que la conscience morale appartient à chaque homme, même aux criminels : chacun sait où est son devoir  certains l’accomplissent, d’autres non. Le fait d’accomplir fait en effet prendre conscience qu’on est moral.

 

Il faut vraiment chercher des exemples : est ce qu’on apprend à être moral par l’exemple ? Caractère très ambigu, et indispensable, de l’exemple. Rôle du châtiment.

 

Opposer mœurs et morale sociale. On avait besoin du terme mœurs. Le « on « est l’indéfini de tous les hommes, y compris les êtres immoraux (qui eux mêmes savent qu’ils sont immoraux, puisqu’ils savent qu’ils transgressent les codes sociaux).

La difficulté, c’est que non seulement ces mœurs sont relatives (chaque société a ses propres règles de conduite). Si les valeurs sont opposées, différentes en fonction des sociétés, alors cela signifie que ces valeurs elles-mêmes n’ont pas de valeur sûre. Si chaque société peut dévaluer les valeurs d’une autre, mais des individus peuvent dévaluer les valeurs de leur propre société. Ainsi, comment et sur quoi peut on bien prendre appui pour venir contester les valeurs qui nous ont éduquées, qui nous modelées ? Question de la source des valeurs et de leur établissement. Où puiser un recours, s’il est vrai que de manière native nous n’avons pas une conduite réglée, s’il est vrai que la seule conduite réglée et sociale, si celle-là nous modèle, comment pouvons-nous la désapprendre ? Comment pouvons-nous désapprendre quelque chose qui nous semble naturel (dont nous oublions presque que nous l’avons appris) ?

Apprendre à être moral ne se résumera donc pas à apprendre un code… C’est bien au-delà de tout ça.

 

Il faut essayer de partir de là où nous sommes rendus avec le problème, nous individus du XXIe siècle… Il ne faut pas commencer par Platon.

 

La première partie : les mœurs et les manières d’apprentissage du petit d’homme. L’apprentissage des codes sociaux.

La seconde partie : la tension du paradoxe. Ce recours aux codes peut être employé différemment et contradictoirement. Comment s’articule le sens moral dans sa dimension affective et d’autre part le rôle de la raison et du jugement…

Kant affirme que chacun sait que chacun sait ce qu’est d’être moral. Toute la deuxième partie doit s’occuper de cela. Hume récuse l’apparente construction rationnelle de la moralité : il y a pour lui un sens moral.

La troisième partie : nous voilà dans le for intérieur. Elle va interroger cette conception classique de la moralité, qui serait qu’il y a d’abord une conscience morale. C’est l’idée même que la conscience jouerait sa partie seule dans les relations. Il faut savoir si cette conscience elle-même ne s’acquiert pas dans le vif de la relation à autrui.

 

La première partie doit prendre le lecteur et le problème là où ils en sont aujourd’hui. La première partie, c’est l’entrée contemporaine sur la question, c’est forcément les sciences humaines. on se retrouve dans une sorte d’inversion chronologique, souvent le cas pour les sujets sociaux politiques (et la question de la conduite en fait partie).

Il faut aboutir dans la deuxième partie sur la question du relativisme moral.

La troisième partie va devoir faire la critique de la seconde en ce qu’elle a d’anhistorique, de méconnaissance de l’histoire. Il va falloir à la fois conduire une critique de cette rationalité, et en même temps en ouvrant une nouvelle voie. La morale ne serait pas strictement sociale (i.e. relation à autrui et non pas à tous les autres), et que la relation à autrui, qui est tout l’enjeu de la morale, elle ne se décide pas dans le for intérieur, comme la seconde partie, peu ou prou, tente de la montrer. Il faut penser une morale construite dans la relation, mais qui ne soit pas pour autant une morale construite dans la sphère sociale.

La deuxième partie use la plupart du temps de la rationalité classique.

 

Plan

 

I- Les mœurs : une « seconde nature « socialement acquise

A) Amoralité et immoralité : la méconnaissance native des bonnes mœurs (Freud, Docteur Itard (Victor de l’Aveyron))

B) La socialisation ou les ressorts d’un dressage (Freud, Nietzsche, Norbert-Elias)

C) La morale « close « : une humanisation restreinte (Montaigne, Bergson, Levi Strauss)

Passer de la discipline sociale à l’obligation morale  l’obligation n’est pas la contrainte, c’est la manière dont je me lie moi-même.

II- La conscience morale : faveur reçue ou savoir conquis ?

A) Le savoir du bien : conquête de la raison théorique (Platon, Epictète)

B) Le sentiment moral : un mouvement spontané (Hume, Rousseau)

C) Le devoir : un fait de la raison à élucider (Kant)

Passer de la conscience morale à la conduite morale, (et surtout l’auto-formation du caractère moral).

III- La conversion morale : une responsabilité en première personne

A) La vertu pratique : une habitude à notre charge (Aristote, Pascal)

B) La figure identificatoire : un modèle moral ambigu (Aristote, critique du Bergson de la « morale ouvert «, Freud)

C) L’adresse et la réponse : sujet parlant et sujet moral (Benvéniste, Lévinas, Arendt)

 

Il y a dans réponse : répondre à et répondre de. Ceci est le ressort de l’argument de Lévinas. Le visage d’autrui est la loi, la loi qui commande.

 

Construction du problème (2e partie de l’introduction)

 

La difficulté vient du décalage entre le code social qui lui s’apprend, s’intègre, s’approprie, sans autre difficulté majeure dans la compréhension… et d’une conscience morale qui examine elle-même le bien fondé et la valeur des conduites. Tout homme vit en société, toute vie sociale obéit à des normes, et elle obéit à des us et coutumes. Us, manière d’être et de faire, dans tous les champs d’activités : manière de traiter les objets et de se conduire avec autrui (quand bien même on aurait avec lui une relation totalement circonstanciée). Ainsi, les hommes sont par définition « moraux «, au sens où ils sont tous modelés par les valeurs de leur culture, et ce jusque dans leur immoralité, puisque la transgression suppose la connaissance des lois morales bafouées. Puisque l’enfant n’observe pas de lui-même les règles régissant la vie collective, à l’encontre de l’observance des lois physiques ou des lois physiologiques, alors on peut bien dire que la morale sociale, comme toutes les autres dimensions de la culture, relève d’un apprentissage. Comme tout apprentissage, il peut échouer : on peut être mal élevé, grossier… mais nous apprenons tous les bonnes mœurs.

Si chaque société a ses mœurs, chaque société conteste les pratiques observées par les autres sociétés, s’offusquent des valeurs qui règlent les conduites d’autres groupes, d’autres ethnies… Certaines mœurs passent pour immorales, et ce non pas seulement aux yeux de membres de collectivités étrangères, mais aux membres de la collectivité concernée. Observer les codes sociaux ne suffirait donc pas pour être moral : il faudrait encore pouvoir juger de la validité de ce code, pouvoir justifier les valeurs et les règles qu’elles induisent.

Où puiser la ressource pour une critique des mœurs, pour contester les mœurs qui nous ont pourtant formés ? Est ce qu’on peut apprendre à juger des valeurs morales, et comment ? Est-ce qu’on peut apprendre à juger des valeurs morales que l’on nous a apprises ? Ceci revient à se demander si l’on peut trancher la question du bien et du mal. Evaluer le comportement des autres par delà le code social établi. Il faut chercher de quel type de savoir relève le jugement de valeur, puisque la nature même de ce savoir décide de son apprentissage. Chaque type de savoir exige un type d’apprentissage. Comment al morale sociale est-elle dépassable ?

 

Apprend-on à être moral ? La question n’est pas d’interroger tous les types d’éducation morale, mais de rechercher si on peut apprendre à trancher la question du bien et du mal, i.e. si on peut chercher à évaluer la conduite des autres… Il s’agit de comprendre de quel type de savoir relève le jugement moral. La nature même de ce savoir décide de l’apprentissage qu’on en aura.

 

Annonce du plan

 

Après avoir reconnu dans les mœurs une seconde nature socialement acquise, nous chercherons comment une conscience morale peut se former, qui se donne des obligations pouvant contrevenir à la discipline sociale. Restera à savoir, si cette conscience pour se convertir doit s’en tenir à son for intérieur ou si la moralité ne se joue pas d’emblée dans la relation effective à autrui, dans la responsabilité que celle-ci engage.

 

NB : Différence entre hominisation et humanisation. La question n’est pas seulement comment devient moral mais comment devient on humain. Comment l’homme s’est il fait homme ? Il faut sortir de l’essentialisme. L’humanité comme qualité des hommes est en fait le fruit d’un travail à jamais poursuivi. L’hominisation = évolution des espèces. L’évolution des espèces tient à des hasards (mutations génétiques). L’humanisation c’est le processus culturel : les cultures elles-mêmes et leurs valeurs se transforment. Cet apprentissage est sans fin, parce que l’homme juste se reconnaît à ce qu’il ignore être le juste, au sens où il ne peut pas se prétendre tel (il craindra toujours de ne l’être pas), et celui qui prétend être tel, est rarement celui qui le mérite.

La moralité est rarement revendiquée comme un bien.

 

I- Les mœurs : une « seconde nature « socialement acquise

A) Amoralité et immoralité : la méconnaissance native des bonnes mœurs (Freud, Docteur Itard (Victor de l’Aveyron))

 

La vie humaine n’est possible qu’à travers le secours d’autrui. Comme le dit Freud, « une aide étrangère capable d’apporter l’action spécifique nécessaire «  geste dont le nourrisson est privé. L’enfant est comme impotent. Ceci est la situation anthropologique fondamentale. C’est autrui qui décide de l’évolution de l’infans, de celui qui ne parle pas, dans sa formation, sa socialisation, sa moralisation, bref, sa culture. Le petit d’homme nait homme, il appartient à l’espèce des hommes. Hominisation  L’espèce humaine a émergé. L’humanisation, c’est le fait que tout enfant n’a pas d’emblée les traits auxquels cette espèce se reconnaît elle-même. Il faut donc distinguer l’hérédité, biologique, et l’héritage, culturel. Cette différence est illustrée de manière exemplaire dans l’histoire de Victor d’Aveyron, par le docteur Itard. Itard est un jeune chirurgien qui travaille dans un institut de sourds muets. Au sein même de l’institution, Itard est attaché à la « médecine morale «, i.e. l’éducation psychologique, sensible, affective et sociale (relation à autrui). Il rédigera deux mémoires, en 1801 et 1806. Au XVIIIe-XIXe, on a l’impression qu’on va enfin comprendre la nature humaine et comprendre si l’homme est bon par nature  recueillement de l’homme à état zéro. Victor n’a pas été éduqué par l’homme. La tentative d’éduquer Itard s’avère être un échec. Tout l’apprentissage d’Itard est un apprentissage sensible : Victor reste au fond insensible à la relation sociale. Il a un goût immodéré pour la liberté des champs. Sa relation à autrui semble être presque entièrement subordonnée à l’accomplissement de ses besoins. Difficulté aussi à lui faire comprendre le sens de la justice, qui n’est jamais complètement désintéressée. A la fin du premier mémoire, Itard conclut que « l’homme est à l’état de nature inférieur à de nombreux animaux «. Présupposé de Condillac : l’ascension à la moralité se fait par la sensibilité.

Le travail de la culture, i.e. l’humanisation tient à la force de l’imitation, mais tient à l’attachement affectif initial à autrui, qui est comme le ressort de tous les autres apprentissages. Il faut bien reconnaître que l’homme par nature n’est pas moral. Il faut renoncer à l’idée d’une pureté native de l’enfant, thème hautement religieux et moral. La vie psychique humaine est régie par des pulsions, qui ne sont justement pas des instincts (comportement informé, inné, qui est une sorte d’enchaînement de réflexes). Un instinct est une conduite réflexe, i.e. suscitée par un stimulus : la conduite est une réponse. L’instinct est toujours coordonné aux grande fonctions vitales : reproduction, nutrition, protection, défense.

L’homme n’a donc aucune conduite préformée.

La vie psychique a bien une activité, que Freud présente comme régie par des forces (« Trieb «). Et ces pulsions poussent le psychisme une décharger une excitation qui est interne. C’est une délégation du psychique de ce qui est d’abord somatique  délégation de la fin en pulsion orale. Défonctionalisation : les processus psychiques ne sont pas ordonnés à la survie (contrairement aux instincts animaux). La vie psychique vise donc le plaisir : c’est ce que Freud appelle la sexualité  poussée d’un psychisme qui n’est pas encore rationnel (qui ne parle pas) à jouir de sentiments agréables, et ce par tous les moyens corporels (Trois essais sur la théorie sexuelle). Cette vie psychique est demeurée, elle ne va pas en fonction de la mesure : le désir ne connaît pas de satiété, il connaît seulement des pauses. Il y a une démesure psychique qui tient à son immaturation. Ce plaisir est pris tout autant à la représentation en image (le rêve, l’imagination) qu’à l’effectuation du geste. C’est cet excès d’imagination qui compromet à la fois la conservation de l’individu et la vie sociale. L’amoralité de l’enfant c’est le fait que la puissance pulsionnelle est d’une certaine façon en partie inéducable, et qu’elle tient à la puissance de l’imagination. Le plaisir est un plaisir d’imagination. Vice terrible car incontrôlable ! Confession perpétuelle de la faute commise en pensée, qui est le ressort même de la confession avec les 7 péchés capitaux (envie, luxure, orgueil, gourmandise, luxure, jalousie…).

Alors, seule l’institution sociale peut, parce qu’elle le doit, limiter cet « imaginaire radical « (cf Castoriadis) qui fait l’immoralité humaine. Il s’agit donc de faire renoncer l’enfant à son fantasme de tout puissance et lui faire reconnaître le désir d’autrui.

 

B) La socialisation ou les ressorts d’un dressage (Freud, Nietzsche, Norbert-Elias)

 

Ce renoncement s’apprend au sein de la famille, qui est la première société, qui est l’expérience inter subjective initiale. Après avoir été le sens exclusif de l’attention, en raison même de son état de détresse, l’enfant va faire l’expérience de son incapacité à disposer de ses objets d’amour, de celle qui pourvoit à ses plaisirs, ce qui est le sens de l’Œdipe. C’est à la fois cet attachement affectif, fusionnel, où l’enfant ne distingue pas la mère de soi, et c’est l’expérience que cet objet d’amour n’est pas à disposition, qui appartient à un autre, qui se réserve le droit d’en jouir et l’exclut à l’enfant. Il y a des relations sur lesquelles l’enfant n’a aucun pouvoir. Or, cette expérience violente est la condition sine qua non pour reconnaître l’autre comme un sujet autonome, i.e. comme un sujet de désir autonome, qui a ses propres désirs, qui peuvent contrevenir aux miens. C’est aussi la condition sine que non pour que l’enfant se reconnaisse soi-même comme sujet d’autonomie. Cette reconnaissance-là est l’apprentissage moral majeur. Le ressort de cet apprentissage, c’est la crainte de perdre l’amour de l’autre, qui est à proprement parler le seul vrai châtiment (Freud, Le Malaise dans la culture). Pour se faire aimer, il faudra donc satisfaire les désirs de l’autre notamment. Le refoulement consiste ainsi à ne pas exprimer ce qui pourtant peut rester désiré et imaginé, comme apprentissage de la morale. L’affaire, c’est : l’imaginé et le désiré ne peuvent pas être désirés, mais seulement refoulés. Ce refoulement est la voie de tous les autres apprentissages. C’est la condition même de la vie sociale. On apprend par l’art, par la sublimation, qui va dériver toute cette énergie vers d’autres buts.

« On nomme cette capacité d’échanger ce but sexuel originaire, contre un but qui n’est plus sexuel, mais lui est psychiquement apparenté, capacité de sublimation «, 1908, article La morale sexuelle « civilisée « et la maladie nerveuse des temps modernes publiée dans le recueil La vie sexuelle.

Le meilleur exemple en est l’amitié, si bien chanté par Aristote dans Ethique à Nicomaque : l’amitié est une relation d’amour inhibé quant au but, et qui est constitutive des sociétés (ce que dit p.55-8). Les sentiments sont une sublimation des « positions homosexuelles « : dans l’amitié nous détournons quant au but un type de plaisir, le plaisir homosexuel. On apprend par là non seulement le sentiment social, le respect de l’autrui, mais la sublimation va plus largement autoriser toutes les activités de l’art et de la science. Or ceci doit être compensé par des activités narcissiques : toutes ces conduites socialement valorisées permettent à l’individu de se reconnaître à lui-même une valeur, à s’estimer lui-même, i.e. le sentiment qu’a l’individu d’être précieux aux autres, autant qu’il leur est attaché  récompense. Il faut insister sur le fait que l’adoption de la conduite morale ne relève pas du libre arbitre. La conduite réglée est une directive qui s’impose à la volonté. C’est ce que Durkheim développe dans un cours à la Sorbonne, L’éducation morale, 1902.

« Une règle n’est pas une simple d’agir habituelle. C’est une manière que. Elle est en quelque mesure, et dans la mesure même. Il ne dépend pas de nous qu’elle soit ou qu’elle ne soit pas «

Nous n’inventons pas la morale. C’est une conduite réglée, ensem

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