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Article de presse: Expliquer Hitler aujourd'hui?

Publié le 22/02/2012

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hitler
30 janvier 1933 -   A L'occasion du cinquantième anniversaire de la prise du pouvoir par Hitler, Alfred Grosser, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris et auteur de Dix Leçons sur le nazisme (Fayard, 1976), exposait en 1983, à la lumière de la recherche historique, les principales questions qui se posent sur le nazisme .    Déjà, pour Danton et Robespierre, on voit que la sérénité est difficile, tant la présentation du passé, l'explication du passé flattent ou écorchent la sensibilité du présent, servent d'argument-justificatif ou agressif-dans le débat politique d'aujourd'hui. Pour Hitler, devenu chancelier le 30 janvier 1933, le détachement est évidemment encore plus inaccessible, qu'il s'agisse du détachement intellectuel de l'historien ou du non-détachement de la tragédie d'hier aux débats et aux troubles de maintenant.    Est-ce dire que l'analyse des faits et causes est impossible ? Au contraire : on peut, on doit même donner la priorité à la rectification, pièces en main, des déformations délibérées et intéressées qui sont propagées. Deux d'entre elles, l'une de droite, l'autre de gauche, ont une portée politique particulière, notamment en Allemagne.    Dans national-socialisme, il y a socialisme. Pas étonnant : socialisme et liberté sont incompatibles, dès lors déjà que le socialisme veut contrôler le libre jeu de l'économie libérale. A cette argumentation, répandue par les amis de Franz Josef Strauss, il suffit d'opposer un fait simple. Le 23 mars 1933, l'Assemblée nationale, le Reichstag, est appelée à voter une loi qui donne pouvoir au gouvernement Hitler de légiférer sans Parlement et sans tenir compte de la Constitution, y compris des articles fixant droits et libertés. Il lui faut la majorité des deux tiers. Il l'obtient grâce au vote approbateur de tous les partis se réclamant de l'économie libérale-Centre catholique, libéraux, populistes bavarois. En l'absence des députés communistes dont les mandats ont été annulés, seul le Parti social-démocrate ose voter " non ", invoquant les principes du socialisme et de la liberté.    Le Parti communiste persécuté le premier ? Assurément. Et il est utile de rappeler en République fédérale la formule de son président Walter Scheel s'adressant aux historiens en 1976 : " N'a-t-on pas encore saisi que l'on ne peut comprendre la RDA si l'on n'a aucune idée de la résistance communiste contre Hitler ? " Seulement, il ne faut pas pour autant laisser passer l'autre déformation, celle dont la RDA, le PC (est-allemand) et aussi le PCF se sont servis avec l'appui d'intellectuels et de militants socialistes et syndicalistes, pour utiliser 1933 comme exemple et justification de la lutte antifusées de 1983 : non, le Parti communiste de Weimar ne s'est pas fait le défenseur de la démocratie il n'a pas cherché un rassemblement antifasciste de défense républicaine. Au contraire, de 1928 à 1933, sur l'ordre du Komintern, il n'a cessé de dénoncer les sociaux-démocrates comme fascistes et de faire de la surenchère nationaliste, rivalisant avec Hitler dans la dénonciation des " abdications " des partis au pouvoir, SPD compris.    L'antifascisme n'est pas une notion scientifique. C'est un concept idéologique et politique dont l'utilité a été de sceller une alliance contre l'horreur nazie, mais qui a aussi servi à donner une définition restrictive de la démocratie.    Ainsi, au début du préambule de notre Constitution de 1946, préambule maintenu en vigueur par celle de 1958 : " Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui... " Victoire antifasciste commune avec l'URSS ? Sûrement. Mais l'URSS, système politique d'un peuple libre ? Fascisme et nazisme    Mais la notion de fascisme, elle, n'est-elle pas au coeur de l'explication du phénomène nazi ? Soyons hérétique et répondons catégoriquement par la négative ! En posant d'abord une question simple à laquelle il est difficile de répondre : que veut dire " expliquer Hitler "?    Montrer comment il est devenu chancelier faire comprendre comment il est passé du pouvoir au pouvoir absolu puis au pouvoir totalitaire dégager les mécanismes qui ont conduit à la guerre et à ses dizaines de millions de morts, et à Auschwitz, aux exterminations massives de juifs, de Polonais, de Russes, de Tziganes. Expliquer Hitler, c'est tout cela. Or ces différents aspects de l'explication n'appartiennent pas du tout nécessairement aux mêmes enchaînements causaux. L'abdication des partis, des syndicats, des Eglises, n'impliquait pas les chambres à gaz. Le parti unique et l'appel aux masses ne les impliquaient pas non plus.    Oui, Hitler s'est réclamé de Mussolini. Oui, le culte du chef, l'exaltation de la nation humiliée, le populisme à la fois antimarxiste et anticapitaliste étaient communs au fascisme italien et au national socialisme. Au point que bien des contemporains s'y sont terriblement trompés, notamment Pie XI, croyant que le concordat signé avec Hitler dès juillet 1933 donnerait à l'église catholique, au prix d'une consternante légitimation du régime, les mêmes avantages que les accords de Latran avec Mussolini.    Mais ce qui fait l'horreur du nazisme, ce qui fait son épouvantable spécificité, c'est ce qui le distingue du fascisme italien. Mussolini se voulait maître absolu de l'Etat. Pour Hitler, l'Etat n'était qu'un instrument au service de la race et un outil pour la guerre de conquête. Dès le 3 février 1933, il expose aux chefs de la Reichswehr qu'il s'agira de conquérir de l'espace à l'Est et de " germaniser impitoyablement ". Et tous les documents montrent que l'antisémitisme n'était pas un simple instrument tactique, mais bien un ingrédient fondamental de sa pensée délirante, même si l'élimination ne signifiait pas d'emblée extermination.    De plus, sa conception du pouvoir sur les esprits, d'une prise en main complète des corps et des âmes - conception que le parti et lui n'eurent pas le temps de mettre pleinement en application - est beaucoup plus aisée à partir de la notion de totalitarisme qu'en se fondant sur une catégorie " fascismes " qui engloberait également franco et Peron. Des concepts appauvrissants    Le mieux, c'est encore d'écarter les concepts globalisants, donc appauvrissants, puisque les enchaînements causaux sont multiples et rarement nécessaires. Telle tradition idéologique allemande (antisémitisme ou soumission à l'autorité) ? Sûrement, mais, sans la crise économique, d'autres traditions, non moins allemandes, l'eussent emporté.    La crise comme cause ? Nécessaire, sans aucun doute, suffisante certainement pas : la même crise d'un système capitaliste analogue " produit " en 1932-1933 Roosevelt et le New Deal, parce que la situation internationale, institutionnelle, culturelle, des Etats-Unis n'est pas la même que celle de l'Allemagne.    Pas d'accession de Hitler au pouvoir sans soutien des puissants de l'économie capitaliste ? Assurément, encore que, pour la plupart d'entre eux, le soutien n'ait été accordé qu'au dernier moment. Mais ils croyaient à tort, comme leurs ennemis marxistes, que le pouvoir économique permet de dominer le pouvoir politique, dans l'ignorance où ils étaient de la puissance de la terreur et de la propagande. Sous Hitler, Krupp a continué à gagner beaucoup d'argent ? Il est vrai, mais, encore une fois, ce n'est pas l'argent de Krupp qui rend compte de l'horreur !    Pas d'accession ni de maintien au pouvoir sans un puissant soutien populaire. Mais il faut rappeler en France que, lors des dernières élections proposant un choix, le 5 mars 1933, alors que Hitler était chancelier et que la violence répressive régnait déjà, le Parti national-socialiste n'a obtenu que 43,9 % des voix . Il faut dire aussi que les archives montrent que l'enthousiasme a été constamment plus limité qu'on ne l'a dit et cru. C'est plutôt l'incroyable soumission jusqu'au bout du désastre qu'il faudrait expliquer.    Une soumission cependant moins complète qu'on n'a voulu le croire en France, où on en est encore à oublier souvent que les camps de concentration ont été créés pour des Allemands et que des centaines de milliers y avaient souffert, à partir de 1933, avant l'arrivée des premiers déportés étrangers.    Une soumission cependant consentie dès le début par la plupart des grandes organisations. Le rappel le plus navrant qu'il faille faire, c'est celui du comportement peureux et absurde qui a dominé les mois qui ont suivi l'accession de Hitler à la chancellerie. Les socialistes ont laissé persécuter les communistes. Le parti catholique n'a pas défendu les socialistes internés. La puissante centrale syndicale proche du SPD a fait acte d'allégeance à Hitler pour le 1er mai -ce qui ne l'a pas empêchée d'être dissoute le 2.    Et il s'est même trouvé des juifs huppés pour chercher à détourner l'antisémitisme nazi vers les " Pollacks ", les petits juifs venus de l'Est.    En République fédérale, la destruction de la République de Weimar fait depuis des années l'objet d'une confrontation difficile. Pour éviter la destruction d'une démocratie, il faut étouffer dans l'oeuf les commencements ? Mais quels commencements ? Ceux d'un extrémisme niant le pluralisme et la démocratie libérale ? Ceux d'un Etat restreignant l'exercice des libertés, fût-ce au nom de la liberté ? Un autre débat a repris de l'importance : l'effondrement de Weimar n'a-t-il pas été dû à un ensemble de données institutionnelles. Déjà les institutions de Bonn portent la trace de cette interprétation-là : dissolution presque exclue parce que le succès de Hitler a jailli après la dissolution de 1930 pouvoirs presque nuls pour le président de la République parce que Hindenburg avait de vrais pouvoirs clause de 5 % pour que la proportionnelle ne rende pas la stabilité gouvernementale impossible.    En réalité, la comparaison centrale devrait être autre .    Si la démocratie de Bonn a d'emblée paru légitime à ses citoyens, alors que celle de Weimar a vu dès l'origine sa légitimité contestée, c'est en particulier parce que la République d'aujourd'hui a eu la chance de naître en 1949 et non en 1945 : le " miracle économique " était commencé et la remontée internationale entamée, alors que la Constitution de Weimar a vu le jour en même temps que la paix dictée de Versailles et au début d'une crise économique.
hitler

« Mais ce qui fait l'horreur du nazisme, ce qui fait son épouvantable spécificité, c'est ce qui le distingue du fascisme italien.Mussolini se voulait maître absolu de l'Etat.

Pour Hitler, l'Etat n'était qu'un instrument au service de la race et un outil pour laguerre de conquête.

Dès le 3 février 1933, il expose aux chefs de la Reichswehr qu'il s'agira de conquérir de l'espace à l'Est et de" germaniser impitoyablement ".

Et tous les documents montrent que l'antisémitisme n'était pas un simple instrument tactique, maisbien un ingrédient fondamental de sa pensée délirante, même si l'élimination ne signifiait pas d'emblée extermination. De plus, sa conception du pouvoir sur les esprits, d'une prise en main complète des corps et des âmes - conception que le partiet lui n'eurent pas le temps de mettre pleinement en application - est beaucoup plus aisée à partir de la notion de totalitarismequ'en se fondant sur une catégorie " fascismes " qui engloberait également franco et Peron. Des concepts appauvrissants Le mieux, c'est encore d'écarter les concepts globalisants, donc appauvrissants, puisque les enchaînements causaux sontmultiples et rarement nécessaires.

Telle tradition idéologique allemande (antisémitisme ou soumission à l'autorité) ? Sûrement,mais, sans la crise économique, d'autres traditions, non moins allemandes, l'eussent emporté. La crise comme cause ? Nécessaire, sans aucun doute, suffisante certainement pas : la même crise d'un système capitalisteanalogue " produit " en 1932-1933 Roosevelt et le New Deal, parce que la situation internationale, institutionnelle, culturelle, desEtats-Unis n'est pas la même que celle de l'Allemagne. Pas d'accession de Hitler au pouvoir sans soutien des puissants de l'économie capitaliste ? Assurément, encore que, pour laplupart d'entre eux, le soutien n'ait été accordé qu'au dernier moment.

Mais ils croyaient à tort, comme leurs ennemis marxistes,que le pouvoir économique permet de dominer le pouvoir politique, dans l'ignorance où ils étaient de la puissance de la terreur etde la propagande.

Sous Hitler, Krupp a continué à gagner beaucoup d'argent ? Il est vrai, mais, encore une fois, ce n'est pasl'argent de Krupp qui rend compte de l'horreur ! Pas d'accession ni de maintien au pouvoir sans un puissant soutien populaire.

Mais il faut rappeler en France que, lors desdernières élections proposant un choix, le 5 mars 1933, alors que Hitler était chancelier et que la violence répressive régnait déjà,le Parti national-socialiste n'a obtenu que 43,9 % des voix .

Il faut dire aussi que les archives montrent que l'enthousiasme a étéconstamment plus limité qu'on ne l'a dit et cru.

C'est plutôt l'incroyable soumission jusqu'au bout du désastre qu'il faudraitexpliquer. Une soumission cependant moins complète qu'on n'a voulu le croire en France, où on en est encore à oublier souvent que lescamps de concentration ont été créés pour des Allemands et que des centaines de milliers y avaient souffert, à partir de 1933,avant l'arrivée des premiers déportés étrangers. Une soumission cependant consentie dès le début par la plupart des grandes organisations.

Le rappel le plus navrant qu'il faillefaire, c'est celui du comportement peureux et absurde qui a dominé les mois qui ont suivi l'accession de Hitler à la chancellerie.Les socialistes ont laissé persécuter les communistes.

Le parti catholique n'a pas défendu les socialistes internés.

La puissantecentrale syndicale proche du SPD a fait acte d'allégeance à Hitler pour le 1 er mai -ce qui ne l'a pas empêchée d'être dissoute le 2. Et il s'est même trouvé des juifs huppés pour chercher à détourner l'antisémitisme nazi vers les " Pollacks ", les petits juifs venusde l'Est. En République fédérale, la destruction de la République de Weimar fait depuis des années l'objet d'une confrontation difficile.Pour éviter la destruction d'une démocratie, il faut étouffer dans l'oeuf les commencements ? Mais quels commencements ? Ceuxd'un extrémisme niant le pluralisme et la démocratie libérale ? Ceux d'un Etat restreignant l'exercice des libertés, fût-ce au nom dela liberté ? Un autre débat a repris de l'importance : l'effondrement de Weimar n'a-t-il pas été dû à un ensemble de donnéesinstitutionnelles.

Déjà les institutions de Bonn portent la trace de cette interprétation-là : dissolution presque exclue parce que lesuccès de Hitler a jailli après la dissolution de 1930 pouvoirs presque nuls pour le président de la République parce queHindenburg avait de vrais pouvoirs clause de 5 % pour que la proportionnelle ne rende pas la stabilité gouvernementaleimpossible. En réalité, la comparaison centrale devrait être autre . Si la démocratie de Bonn a d'emblée paru légitime à ses citoyens, alors que celle de Weimar a vu dès l'origine sa légitimitécontestée, c'est en particulier parce que la République d'aujourd'hui a eu la chance de naître en 1949 et non en 1945 : le " miracleéconomique " était commencé et la remontée internationale entamée, alors que la Constitution de Weimar a vu le jour en même. »

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