Devoir de Philosophie

Article de presse: La grand-messe de Versailles

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

4 mars 1984 -   Rendons hommage au metteur en scène, s'il existe, de cet implacable spectacle. A l'ordonnateur de cette messe, réglée au millimètre près, née du nombre et d'un décor grandiose, étiré, brassé pour une preuve de puissance, que n'avaient pu rendre les rassemblements précédents de l'enseignement privé, trop urbains sans doute, trop mêlés, de Bordeaux, Lyon ou Lille.    Il fallait, aux voeux des organisateurs du Comité national de l'enseignement catholique (CNEC), un cadre plus solennel, un espace mieux dégagé pour cette cinquième manifestation, régionale encore, mais aux ambitions nationales avouées, avant la menace d'une entrée dans Paris. Une manière de dire au gouvernement : voilà à peu près ce que donnerait, si vous persistiez, la prise des Champs-Elysées par les parents d'élèves en colère.    La manifestation pouvait s'écouler, paisible, sereine, plutôt joviale, puisque le cadre exprimait tellement la mise en garde recherchée !    Versailles offrait, aux portes de la capitale, le nécessaire des grandes répétitions générales. Ses esplanades pavées d'histoire aux mouvements qui, comme celui-ci, voulaient se compter. Et surtout, des traits de ressemblance qui ne trompaient pas : en fond de défilé, le château et la place d'Armes, pour l'Arc-de-Triomphe, l'avenue de Paris... large, longue perspective inclinée qui se découvrait, dimanche, dans le voile d'un après-midi ensoleillé, avec, en conclusion, récompense d'une marche qui se savait triomphale, un immense podium de couleur bleue, frappé du mot " liberté " en lettres géantes. Le plus voyant des symboles-un ciel éclairé, au loin, un " grall " à atteindre-d'une journée qui visait plus que tout à l'efficacité émotionnelle. L'enthousiasme de Pierre Bellemare    Car cette manifestation versaillaise avait été essentiellement pensée pour être visuelle. Télévisuelle, même. Tout y avait été prévu pour produire des images multiplicatrices d'effets de masse. Ceux qui restaient au ras du sol, dans la rue ou sur les trottoirs, manquaient la démonstration. Il fallait se tenir plus loin, plus haut, pour y voir, dans les hélicoptères des renseignements généraux ou de la presse, et sur les grues géantes de la télévision.    Versailles, la bien choisie, s'était effacée, rendue à l'évidence qu'on ne défilait pas devant elle, mais pour le pays. Vidée de ses habitants, absents ou jetés dans la rue par conviction, la ville devenue simple toile de fond, se laissait envahir sans résistance, avec même une certaine complicité. Une cité moins sympathisante au mouvement de l'enseignement privé aurait-elle résisté ? Sans doute pas à la paralysie générale trente kilomètres à la ronde, à la loi, dictée sur un mode mineur et avec bonhomie, du service d'ordre des APEL (Associations des parents d'élèves de l'enseignement libre), qui avaient pris possession de Versailles, des places aux échangeurs routiers pour quelques heures.    Finalement, pour voir de près les manifestants, pour différencier les origines sociales ou les provenances géographiques, il n'y avait guère que les quatre points de ralliement, la formation aux points cardinaux des quatre cortèges qui allaient, une heure plus tard, converger en étoile sur le parvis de la place d'Armes. Dès 14 heures au top, donné comme pour une course, par des centaines de talkies-walkies, les radios libres régionales et les haut-parleurs, les nuances s'échappaient. Plus moyen de distinguer les " loden " des anoraks, la clientèle traditionnelle des écoles privées des nouveaux adhérents.    Très rapidement, on oubliait de regarder les banderoles, de reconnaître les silhouettes bourgeoises, ou d'une classe plus moyenne, les jeunes filles toutes simples à l'uniforme immuable-jupe bleu marine et col rond. Le cortège perdait ses aspérités. Les nuances fondaient et les défilés secondaires n'avaient bientôt plus qu'une hâte : se retrouver sur la scène principale, au carrefour de la place et de l'avenue de Paris. Se soumettre au maître invisible des cérémonies qui avait pris le pari de faire entrer de front, avec ordre et solennité, les quatre corps gonflés devant les caméras.    Pari tenu. Spectacle réussi. Un speaker annonçait le finish, déchaînait les applaudissements. " Et voilà le 93, puis la Normandie. Regardez à droite, voilà les banderoles du cortège des personnalités ! ".    C'est là, à cet endroit précis, que tout se jouait, que devait se montrer la force du nombre, là que le gouvernement devait encaisser les coups d'un compteur symbolique. Pierre Bellemare, l'animateur radiophonique des grandes opérations populo-humanitaires, donnait, depuis le podium, ses nerfs à l'avancée. De quart d'heure en quart d'heure, sa voix grave déclenchait des clameurs sur l'avenue. " De source bien informée, disait l'animateur militant, nous sommes maintenant 400 000. " Puis l'applaudimètre s'enflammait : " 600 000 ! Ça y est, nous sommes 800 000 ! ".    Ce qui donnait son esprit à la manifestation, qui provoquait, à coup sûr, dans ses rangs des émotions simples et fortes, c'était beaucoup plus encore le choeur des esclaves de Nabucco de Verdi, martelé à l'obsession, omniprésent puisque choisi par le CNEC comme la bannière sonore du mouvement. " Une sorte de cri de ralliement ", disait Pierre Bellemare, enthousiaste, qui dans cet immense espace sonore, demandait régulièrement " à la régie d'envoyer " l'hymne plébiscité. " Quand tu chantes, je chante avec toi liberté ", chantait l'avenue. " Quand tu pleures, je pleure aussi ta peine... ". " Contre-réforme, contre-révolution "    Que retenir encore de ce que les participants qualifiaient de " marée humaine ", de " fleuve ", parfois de " peuple de Dieu en marche " ? Que la manifestation a été de bout en bout très bien maîtrisée par les organisateurs. Qu'un style modéré avait été retenu et que les traces de forte hostilité à l'école laïque, au ministre de l'éducation, au gouvernement avaient été effacées au mieux. Des slogans de portée générale " Ecole libre vivra. Pays libre, école libre ", étaient relancés par le service d'ordre à chaque fois que des groupes, très minoritaires, se prenaient à réclamer la démission d'Alain Savary.    Les " politiques ", surtout, ont eu, tout l'après-midi, fort à faire pour apparaître dans une foule qui, très habilement, avait aussi pour fonction de masquer les signes de récupération ou de débordements. La manifestation aura peu vu Jacques Chirac et jusqu'au podium d'arrivée, même pendant les discours, le carré des élus à écharpe tricolore fut discrètement bloqué, entravé, sous le prétexte du succès même du défilé. Ainsi, on chercha, en vain, Jean-Marie Le Pen, et Anne-Aymone Giscard d'Estaing fut signalée quelque part dans les rangs du lycée Saint-Jean de Passy.    Une seule banderole " ultra ", finalement, parvint à se montrer là où il convenait de se faire voir : " Contre-réforme, contre-révolution "...    Ces mots dépassèrent un temps les têtes des premiers rangs, puis s'inclinèrent. Dans le soleil couchant, il n'y avait plus qu'une masse informe, immobilisée sur l'avenue, à qui il ne restait plus bientôt qu'à se disperser dans le calme. Il ne fallut pas plus d'une demi-heure, pour faire abandonner la place à sans doute près de 600 000 personnes. PHILIPPE BOGGIO Le Monde du 6 mars 1984

« CNEC comme la bannière sonore du mouvement.

" Une sorte de cri de ralliement ", disait Pierre Bellemare, enthousiaste, quidans cet immense espace sonore, demandait régulièrement " à la régie d'envoyer " l'hymne plébiscité.

" Quand tu chantes, jechante avec toi liberté ", chantait l'avenue.

" Quand tu pleures, je pleure aussi ta peine...

". " Contre-réforme, contre-révolution " Que retenir encore de ce que les participants qualifiaient de " marée humaine ", de " fleuve ", parfois de " peuple de Dieu enmarche " ? Que la manifestation a été de bout en bout très bien maîtrisée par les organisateurs.

Qu'un style modéré avait étéretenu et que les traces de forte hostilité à l'école laïque, au ministre de l'éducation, au gouvernement avaient été effacées aumieux.

Des slogans de portée générale " Ecole libre vivra.

Pays libre, école libre ", étaient relancés par le service d'ordre àchaque fois que des groupes, très minoritaires, se prenaient à réclamer la démission d'Alain Savary. Les " politiques ", surtout, ont eu, tout l'après-midi, fort à faire pour apparaître dans une foule qui, très habilement, avait aussipour fonction de masquer les signes de récupération ou de débordements.

La manifestation aura peu vu Jacques Chirac etjusqu'au podium d'arrivée, même pendant les discours, le carré des élus à écharpe tricolore fut discrètement bloqué, entravé,sous le prétexte du succès même du défilé.

Ainsi, on chercha, en vain, Jean-Marie Le Pen, et Anne-Aymone Giscard d'Estaingfut signalée quelque part dans les rangs du lycée Saint-Jean de Passy. Une seule banderole " ultra ", finalement, parvint à se montrer là où il convenait de se faire voir : " Contre-réforme, contre-révolution "... Ces mots dépassèrent un temps les têtes des premiers rangs, puis s'inclinèrent.

Dans le soleil couchant, il n'y avait plus qu'unemasse informe, immobilisée sur l'avenue, à qui il ne restait plus bientôt qu'à se disperser dans le calme.

Il ne fallut pas plus d'unedemi-heure, pour faire abandonner la place à sans doute près de 600 000 personnes. PHILIPPE BOGGIO Le Monde du 6 mars 1984. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles