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Badinter, Discours à l'Assemblée nationale pour l'abolition de la peine de mort (extrait).

Publié le 14/04/2013

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discours
Badinter, Discours à l'Assemblée nationale pour l'abolition de la peine de mort (extrait). Jusque dans les années 1980, le débat sur la peine de mort est périodiquement relancé en France, dernière nation européenne à la maintenir. Son abolition faisant partie du programme de la gauche, un projet de loi en ce sens est présenté à l'Assemblée nationale aussitôt après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Lors de la séance parlementaire du 17 septembre 1981, Robert Badinter, avocat et garde des Sceaux, lance un ardent plaidoyer en faveur de la suppression de la peine capitale. Adoptée par 363 voix contre 117 le 18 septembre, et promulguée le 9 octobre, cette loi fait « sortir [la France] de cette période qui l'avait mise au ban des grandes nations civilisées «, selon les termes de Raymond Forni, le rapporteur du projet de loi sur l'abolition de la peine de mort. Discours pour l'abolition de la peine de mort de Robert Badinter (17 septembre 1981) Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur, au nom du Gouvernement de la République, de demander à l'Assemblée nationale l'abolition de la peine de mort en France. En cet instant, dont chacun d'entre vous mesure la portée qu'il revêt pour notre justice et pour nous, je veux d'abord remercier [...] tous ceux, quelle que soit leur appartenance politique qui, au cours des années passées, notamment au sein des commissions des lois précédentes, ont oeuvré pour que l'abolition soit décidée, avant même que n'intervienne le changement politique majeur que nous connaissons [...]. Cette communion d'esprit, cette communauté de pensée à travers les clivages politiques montrent bien que le débat qui est ouvert aujourd'hui devant vous est d'abord un débat de conscience et le choix auquel chacun d'entre vous procédera l'engagera personnellement [...]. Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d'efforts courageux, l'un des derniers pays, presque le dernier -- et je baisse la voix pour le dire -- en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort. Pourquoi ce retard ? Voilà la première question qui se pose à nous [...]. Pour ma part, j'y vois une explication qui est d'ordre politique. L'abolition, je l'ai dit, regroupe, depuis deux siècles, des femmes et des hommes de toutes les classes politiques et, bien au-delà, de toutes les couches de la nation. Mais si l'on considère l'histoire de notre pays, on remarquera que l'abolition, en tant que telle, a toujours été une des grandes causes de la gauche française. Quand je dis gauche, comprenez-moi, j'entends forces de changement, forces de progrès, parfois forces de révolution, celles qui, en tout cas, font avancer l'histoire [...]. À deux reprises, la question a été directement -- j'y insiste -- posée devant l'opinion publique. Le président de la République a fait connaître à tous, non seulement son sentiment personnel, son aversion pour la peine de mort, mais aussi, très clairement, sa volonté de demander au Gouvernement de saisir le Parlement d'une demande d'abolition, s'il était élu. Le pays lui a répondu : oui. Il y a eu, ensuite, des élections législatives. Au cours de la campagne électorale, il n'est pas un des partis de gauche qui n'ait fait figurer publiquement dans son programme l'abolition de la peine de mort. Le pays a élu une majorité de gauche ; ce faisant, en connaissance de cause, il savait qu'il approuvait un programme législatif dans lequel se trouvait inscrite, au premier rang des obligations morales, l'abolition de la peine de mort [...]. Rien n'a été fait pendant les années écoulées pour éclairer cette opinion publique. Au contraire ! On a refusé l'expérience des pays abolitionnistes ; on ne s'est jamais interrogé sur le fait essentiel que les grandes démocraties occidentales, nos proches, nos soeurs, nos voisines, pouvaient vivre sans la peine de mort. On a négligé les études conduites par toutes les grandes organisations internationales, tels le Conseil de l'Europe, le Parlement européen, les Nations unies elles-mêmes dans le cadre du comité d'études contre le crime. On a occulté leurs constantes conclusions. Il n'a jamais, jamais été établi une corrélation quelconque entre la présence ou l'absence de la peine de mort dans une législation pénale et la courbe de la criminalité sanglante. On a, par contre, au lieu de révéler et de souligner ces évidences, entretenu l'angoisse, stimulé la peur, favorisé la confusion. On a bloqué le phare sur l'accroissement indiscutable, douloureux, et auquel il faudra faire face, mais qui est lié à des conjectures économiques et sociales, de la petite et moyenne délinquance de violence, celle qui, de toute façon, n'a jamais relevé de la peine de mort [...]. Il suffit, en tout cas, de vous interroger très concrètement et de prendre la mesure de ce qu'aurait signifié exactement l'abolition si elle avait été votée en France en 1974, quand le précédent président de la République confessait volontiers, mais généralement en privé, son aversion personnelle pour la peine de mort. L'abolition votée en 1974, pour le septennat qui s'est achevé en 1981, qu'aurait-elle signifié pour la sûreté et la sécurité des Français ? Simplement ceci : trois condamnés à mort [...]. Lesquels ? Je vous les rappelle. Christian Ranucci : je n'aurais garde d'insister, il y a trop d'interrogations qui se lèvent à son sujet, et ces seules interrogations suffisent pour toute conscience éprise de justice, à condamner la peine de mort. Jérôme Carrein : débile, ivrogne, qui a commis un crime atroce, mais qui avait pris par la main devant tout le village la petite fille qu'il allait tuer quelques instants plus tard, montrant par là même qu'il ignorait la force qui allait l'emporter. Enfin, Djandoubi, qui était unijambiste et qui, quelle que soit l'horreur -- et le terme n'est pas trop fort -- de ses crimes, présentait tous les signes d'un déséquilibre et qu'on a emporté sur l'échafaud après lui avoir enlevé sa prothèse [...]. Peut-on prétendre que si ces trois hommes se trouvaient dans les prisons françaises, la sécurité de nos concitoyens se trouverait de quelque façon compromise ? [...]. Voici la première évidence : dans les pays de liberté l'abolition est presque partout la règle ; dans les pays où règne la dictature, la peine de mort est partout pratiquée. Je sais qu'aujourd'hui -- et c'est là un problème majeur -- certains voient dans la peine de mort une sorte de recours ultime, une forme de défense extrême de la démocratie contre la menace grave que constitue le terrorisme [...]. Cet argument procède d'une méconnaissance complète de la réalité. En effet, l'Histoire montre que s'il est un type de crime qui n'a jamais reculé devant la menace de mort, c'est le crime politique [...]. La mort et la souffrance des victimes, ce terrible malheur, exigeraient comme contrepartie nécessaire, impérative, une autre mort et une autre souffrance. À défaut, déclarait un ministre de la Justice récent, l'angoisse et la passion suscitées dans la société par le crime ne seraient pas apaisées. Cela s'appelle, je crois, un sacrifice expiatoire. Et justice, pour les partisans de la peine de mort, ne serait pas faite si à la mort de la victime ne répondait pas, en écho, la mort du coupable. [...]. Soyons clairs. Cela signifie simplement que la loi du talion demeurerait, à travers les millénaires, la loi nécessaire, unique de la justice humaine [...]. Du malheur et de la souffrance des victimes, j'ai, beaucoup plus que ceux qui s'en réclament, souvent mesuré dans ma vie l'étendue. Que le crime soit le point de rencontre, le lieu géométrique du malheur humain, je le sais mieux que personne. Malheur de la victime elle-même et, au-delà, malheur de ses parents et de ses proches. Malheur aussi des parents du criminel. Malheur enfin, bien souvent, de l'assassin. Oui, le crime est malheur, et il n'y a pas un homme, pas une femme de coeur, de raison, de responsabilité, qui ne souhaite d'abord le combattre. Mais ressentir, au profond de soi-même le malheur et la douleur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et le crime reculent dans notre société, cette sensibilité et ce combat ne sauraient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable [...]. La vérité est que, au plus profond des motivations de l'attachement à la peine de mort, on trouve, inavouée le plus souvent, la tentation de l'élimination. Cette justice d'élimination, cette justice d'angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. Nous la refusons parce qu'elle est pour nous l'antijustice, parce qu'elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l'humanité. Dans le même dessein de clarté, le projet n'offre aucune disposition concernant une quelconque peine de remplacement. Pour des raisons morales d'abord : la peine de mort est un supplice, et l'on ne remplace pas un supplice par un autre. Pour des raisons de politique et de clarté législatives aussi : par peine de remplacement, l'on vise communément une période de sûreté, c'est-à-dire un délai inscrit dans la loi pendant lequel le condamné n'est pas susceptible de bénéficier d'une mesure de libération conditionnelle ou d'une quelconque suspension de sa peine. Une telle peine existe déjà dans notre droit et sa durée peut atteindre dix-huit années. Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n'y aura plus, pour notre honte commune, d'exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. À cet instant plus qu'à aucun autre, j'ai le sentiment d'assumer mon ministère, au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, c'est-à-dire au sein de « service «. Demain, vous voterez l'abolition de la peine de mort. Législateur français, de tout mon coeur, je vous en remercie. Source : Journal Officiel, Débats parlementaires, Assemblée nationale, 18 septembre 1981. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« expiatoire.

Et justice, pour les partisans de la peine de mort, ne serait pas faite si à la mort de la victime ne répondait pas, en écho, la mort du coupable.

[…]. Soyons clairs.

Cela signifie simplement que la loi du talion demeurerait, à travers les millénaires, la loi nécessaire, unique de la justice humaine […]. Du malheur et de la souffrance des victimes, j’ai, beaucoup plus que ceux qui s’en réclament, souvent mesuré dans ma vie l’étendue.

Que le crime soit le point derencontre, le lieu géométrique du malheur humain, je le sais mieux que personne.

Malheur de la victime elle-même et, au-delà, malheur de ses parents et de sesproches.

Malheur aussi des parents du criminel.

Malheur enfin, bien souvent, de l’assassin.

Oui, le crime est malheur, et il n’y a pas un homme, pas une femme decœur, de raison, de responsabilité, qui ne souhaite d’abord le combattre. Mais ressentir, au profond de soi-même le malheur et la douleur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et le crime reculent dans notresociété, cette sensibilité et ce combat ne sauraient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable […]. La vérité est que, au plus profond des motivations de l’attachement à la peine de mort, on trouve, inavouée le plus souvent, la tentation de l’élimination. Cette justice d’élimination, cette justice d’angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons.

Nous la refusons parce qu’elle est pour nous l’anti-justice, parce qu’elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l’humanité. Dans le même dessein de clarté, le projet n’offre aucune disposition concernant une quelconque peine de remplacement. Pour des raisons morales d’abord : la peine de mort est un supplice, et l’on ne remplace pas un supplice par un autre. Pour des raisons de politique et de clarté législatives aussi : par peine de remplacement, l’on vise communément une période de sûreté, c’est-à-dire un délai inscritdans la loi pendant lequel le condamné n’est pas susceptible de bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle ou d’une quelconque suspension de sa peine.Une telle peine existe déjà dans notre droit et sa durée peut atteindre dix-huit années. Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue.

Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, àl’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises.

Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. À cet instant plus qu’à aucun autre, j’ai le sentiment d’assumer mon ministère, au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, c’est-à-dire au sein de « service ».Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort.

Législateur français, de tout mon cœur, je vous en remercie. Source : Journal Officiel, Débats parlementaires, Assemblée nationale, 18 septembre 1981. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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