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Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques (extrait). Dans la diligence qui emmène le narrateur vers « les marais de l'ouest «, celui-ci retrouve par hasard le vicomte de Brassard, une vieille connaissance. L'atmosphère confinée de la calèche va rapprocher les deux hommes et favoriser le récit de ce dernier, qui se met peu à peu en place. Après la description du vicomte, « dandy en tout «, qui souligne sa forte personnalité, le narrateur insiste sur le charme des voyages en diligence, propices à la connivence entre les personnages autant qu'à l'intimisme de l'histoire racontée par Brassard. « Le Rideau cramoisi « dans les Diaboliques de Barbey d'Aurevilly Un des avantages de la causerie en voiture, c'est qu'elle peut cesser quand on n'a plus rien à se dire, et cela sans embarras pour personne. Dans un salon, on n'a point cette liberté. La politesse vous fait un devoir de parler quand même, et on est souvent puni de cette hypocrisie innocente par le vide et l'ennui des conversations où les sots, même nés silencieux (il y en a), se travaillent et se détirent pour dire quelque chose et être aimables. En voiture publique, tout le monde est chez soi autant que chez les autres, -- et on peut sans inconvenance rentrer dans le silence qui plaît et faire succéder à la conversation la rêverie... Malheureusement, les hasards de la vie sont affreusement plats, et jadis (car c'est jadis déjà) on montait vingt fois en voiture publique, -- comme aujourd'hui vingt fois en wagon --, sans rencontrer un causeur animé et intéressant... Le vicomte de Brassard échangea d'abord avec moi quelques idées que les accidents de la route, les détails du paysage et quelques souvenirs du monde où nous nous étions rencontrés autrefois avaient fait naître, -- puis, le jour déclinant nous versa son silence dans son crépuscule. La nuit, qui, en automne, semble tomber à pic du ciel, tant elle vient vite ! nous saisit de sa fraîcheur, et nous nous roulâmes dans nos manteaux, cherchant de la tempe le dur coin qui est l'oreiller de ceux qui voyagent. Je ne sais si mon compagnon s'endormit dans son angle de coupé ; mais moi, je restai éveillé dans le mien. J'étais si blasé sur la route que nous faisions là et que j'avais tant de fois faite, que je prenais à peine garde aux objets extérieurs, qui disparaissaient dans le mouvement de la voiture, et qui semblaient courir dans la nuit, en sens opposé à celui dans lequel nous courions. Nous traversâmes plusieurs petites villes, semées, çà et là, sur cette longue route que les postillons appelaient encore : un fier « ruban de queue «, en souvenir de la leur, pourtant coupée depuis longtemps. La nuit devint noire comme un four éteint, -- et, dans cette obscurité, ces villes inconnues par lesquelles nous passions avaient d'étranges physionomies et donnaient l'illusion que nous étions au bout du monde... Ces sortes de sensations que je note ici, comme le souvenir des impressions dernières d'un état de choses disparu, n'existent plus et ne reviendront jamais pour personne. À présent, les chemins de fer, avec leurs gares à l'entrée des villes, ne permettent plus au voyageur d'embrasser, en un rapide coup d'oeil, le panorama fuyant de leurs rues, au galop des chevaux d'une diligence qui va, tout à l'heure, relayer pour repartir. [...] Source : Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, 1874. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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