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Brantôme, "Discours sur les dames qui font l’amour et leurs maris cocus" : analyse textuelle

Publié le 16/01/2011

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discours

1. Biographie 1.1 Enfance et jeunesse Brantôme naît en 1540 dans le Périgord sous le nom de Pierre de Bourdeille. Troisième fils d’Anne de Vivonne et du baron François de Bourdeille, militaire ayant participé aux campagnes d’Italie, il passe son enfance à la cour de Marguerite de Navarre. A la mort de celle-ci, en 1549, il part à Paris pour poursuivre ses études. Il les termine à Poitiers en 1557 : il a appris le latin, l’italien et l’espagnol. L’année suivante, en compensation de la mort héroïque de son frère ainé le capitaine de Bourdeille, Henri II le nomme abbé commendataire de l’abbaye de Brantôme. En raison de son jeune âge, l’abbaye est gérée par son autre frère durant deux ans. 1.2 Brantôme courtisan, voyageur et homme de guerre En 1558, il prend donc possession de son abbaye avant d’entamer son premier voyage en Italie. Il revient ensuite à la cour (en 1560) où il s’attache à François de Guise, grand prieur de France. En 1561, il l’accompagne à Joinville, puis en Lorraine. Il se lie également à François II de Lorraine et à sa nièce Marie Stuart qu’il va escorter en Ecosse durant l’été de 1561. Brantôme va alors y séjourner jusqu’à la fin de l’année. En avril 1562, il revient à la cour puis, au printemps, il rejoint l’armée royale à Etampes et participe aux guerres civiles entre catholiques et protestants (côté catholiques) durant six mois. Il prend part à la prise de Blois, de Bourges, au siège de Rouen, à la bataille de Dreux et à la reprise du Havre. En 1564 il séjourne au Portugal et en Espagne durant deux mois. En novembre, il est de retour à la cour. En 1565 il part avec son ami Strozzi pour porter secours à Malte, menacée par les Turcs. Il y reste trois mois et demi, malgré le départ des Turcs. Il revient ensuite en France en passant par l’Italie. En mai 1567, il est nommé gentilhomme de la chambre du roi par Charles IX. Au mois de septembre, la cour, craignant d’être surprise par l’armée de Condé, quitte précipitamment Montceaux pour Meaux et Brantôme fait partie de l’escorte royale. En novembre, il prend part à la bataille de Saint-Denis puis il rejoint en Champagne l’armée du duc d’Anjou. Il participe au siège de La Rochelle en 1573 et met fin à sa carrière militaire en 1574. 1.3 Retraite et rédaction des oeuvres En 1584, il fait une chute de cheval qui va l’immobiliser durant deux ans dans sa propriété : il dicte alors ses mémoires à ses deux secrétaires et rassemble des poèmes pétrarquisants. Durant la fin de sa vie, il va partager son activité entre ses Mémoires, la construction d’un nouveau château à Richemond et de nombreux procès. Il meurt en 1614 dans son château de Richemond. En rédigeant son testament, il avait préparé en détails l’édition luxueuse de ses œuvres mais elle ne fut réalisée que cinquante ans plus tard. 2. Présentation générale de l’œuvre Auteur de chroniques, de récits de voyages, de récits de guerres, de biographies, de poésies ou encore d’oraisons funèbres et de tombeaux, Brantôme est surtout connu pour ses écrits légers relatant sa vie de courtisan et de soldat. Son œuvre remplit onze volumes comprenant plus de quatre milles pages mais ce sont les Vies des dames galantes qui ont été le plus souvent lues et rééditées. Ces Vies des dames galantes sont extraites des Mémoires de Brantôme qui comprennent les Vies des dames illustres, les Vies des hommes illustres et des grands capitaines et les Discours sur les duels. Brantôme est plus un conteur qu’un historien. Il témoigne des mœurs de la noblesse de son temps en compilant sous forme d’anecdotes divertissantes les nombreux événements auxquels il a participé ou dont il a entendu parler. Il écrit dans un style assez décousu et ne se soucie pas vraiment de la véracité historique de ses propos. Il a aussi tendance à fournir beaucoup d’exemples et passe immédiatement d’une anecdote à l’autre. Il introduit dans ses chroniques beaucoup de renseignements concernant les chefs militaires qu’il connaissait ainsi que l’élite de la cour de Valois. Il a fréquenté des gens comme Catherine de Médicis, Philippe Strozzi, Marguerite de Navarre, le duc de Guise, Henri III, etc. Il est aussi l’auteur de plus de vingt Vies qui traitent des hommes illustres italiens. Intéressé par des auteurs italiens comme Bandello, Boccace, Aretin et Machiavel, il intercale souvent des italianismes dans ses textes. 3. Analyse d’un extrait 3.1 Choix de l’extrait : Discours sur les dames qui font l’amour et leurs maris cocus D’autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du cocuage, et que ce sont elles qui font les hommes cocus, j’ay voulu mettre ce discours parmy ce livre des Dames, encore que je parleray autant des hommes que des femmes. Je sçay bien que j’entreprens une grand’oeuvre, et que je n’aurois jamais fait si j’en voulois monstrer la fin; car tout le papier de la Chambre des Comptes de Paris n’en sçauroit comprendre par escrit la moitié de leurs histoires, tant des femmes que des hommes. Mais pourtant j’en escriray ce que je pourray, et, quand je n’en pourray plus, je quitteray ma plume au diable, ou à quelque bon compagnon qui la reprendra; m’excusant si je n’observe en ce discours ordre ny demy, car de telles gens et de telles femmes le nombre en est si grand, si confus et si divers, que je ne sçache si bon sergent de bataille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance. Suivant donc ma fantaisie, j’en diray comme il me plaira, en ce mois d’avril qui en rameine la saison et la venaison des cocus : je dis des branchiers, car d’autres il s’en fait et s’en voit assez tous les mois et saisons de l’an. Or, de ce genre de cocus, il y en a force de diverses especes; mais de toutes la pire est, et que les Dames craignent et doivent craindre autant, ce sont ces fols, dangereux, bisarres, mauvais, malicieux, cruels, sanglants et ombrageux, qui frappent, tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les autres pour le faux, tant le moindre soupçon du monde les rend enragez; et de tels la conversation est fort à fuir, et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs qui ne s’en sont point soucié; car ilz estoyent aussi mauvais que les autres et les Dames estoyent courageuses, tellement que si le courage venoir à manquer à leurs serviteurs, le leur remettoyent; d’autant que tant plus toute entreprise est périlleuse et escabreuse, d’autant plus se doit-elle faire et executer de grande générosité. D’autres telles Dames ay-je cogneu qui n’avoyent nul coeur ny ambition pour attenter choses hautes, et ne s’amusoyent du tout qu’à leurs choses basses. Aussi dit-on : lasche de coeur comme une putain. J’ay cogneu une honneste Dame, et non des moindres, laquelle en une bone occasion qui s’offrit pour recueillir la jouissance de son amy, et luy remonstrant à elle l’inconvenient qui en adviendroit si le mary, qui n’estoit pas loin, les surprenoit, n’en fit plus de cas, et le quitta là, ne l’estimant hardy amant, ou bien pour ce qu’il la dedit au besoin : d’autant qu’il n’y a rien que la Dame amoureuse, lorsque l’ardeur et la fantaise de venir là lui prend, et que son amy ne la peut ou veut contenter tout à coup, pour quelques divers empeschemens, haïsse pus et s’en depite. Il faut bien loüer cette Dame de sa hardiesse, et d’autres aussi ses pareiles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours, bien qu’elles y courent plus de fortune et dangers que ne fait un soldat ou un marinier aux plus hasardeux perils de la guerre ou de la mer. Une Dame Espagnole, conduite une fois par un gallant Cavallier dans le logis du Roy, venant à passer par un certain recoing caché et sombre, le Cavallier, se mettant sur son respect et discretion espagnole, luy dit : “Señora, buen lugar, si no fuera vuessa merced.” La Dame luy respondit seulement : “Si, buen lugar, si no fuera vuessa merced” : “Voicy un beau lieu, si c’estoit une autre que vous. — Ouy vrayment, si c’estoit aussi un autre que vous.” Par là l’arguant et incolpant de coüardise, pour n’avoir pris d’elle en si bon lieu ce qu’il vouloit et desiroit; ce qu’eust fait un autre plus hardy : et, pour ce, oncques plus ne l’aima, et le quitta.

3.2 Analyse D’autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du cocuage, D’autant que sert souvent à introduire un argument supplémenaire ou une idée de cause. Ici, il est placé en début de phrase : la cause (ce sont les dames…) est mise en évidence. L’article les désigne les dames en général, celles-ci sont montrées du doigt par le démonstratif ce : ce sont elles les responsables. L’utilisation du passé composé (on fait) indique une action achevée, sur laquelle on ne peut pas revenir. Le début de cette phrase est énoncé sur le ton d’une vérité générale. De cette façon, le fait que se sont les dames qui sont à l’origine du cocuage paraît évident et indiscutable. et que ce sont elles qui font les hommes cocus, La conjonction et amène une seconde cause et la répétition de que ce sont augmente la responsabilité des dames. L’utilisation de l’indicatif présent indique une action qui est toujours d’actualité ou une affirmation générale. j’ay voulu mettre ce discours parmy ce livre des Dames, Prise de parole de l’auteur (j’) qui justifie son choix. Ce discours = cet exposé. Le Recueil des Dames (ou Vies des dames galantes) est composé de sept « discours » dont les titres donnent une assez bonne idées du contenu : 1) Sur les dames qui font l’amour et leurs maris cocus. 2) Sur le sujet qui contente plus en amours, ou le toucher, ou la veue, ou la parole. 3) Sur la beauté de la belle jambe et la vertu qu’elle a. 4) Sur les femmes mariées, les vefves et les filles, à sçavoir desquelles les unes sont plus chaudes à l’amour que les autres. 5) Sur l’amour des dames vieilles et comme aucunes l’ayment autant que les jeunes. 6) Sur ce qu’il ne faut jamais parler mal des dames et la conséquence qui en vient. 7) Sur ce que les belles et honnestes dames ayment les vaillants hommes, et les braves hommes ayment les dames courageuses. Les démonstratifs ce renvoient à des objets connus : le « discours » que le lecteur a sous les yeux et le livre qu’il tient entre ses mains. La majuscule du mot Dames confère une certaine importance aux Dames dont il est question. Ce sont elles qui constituent le sujet principal du Recueil. encore que je parleray autant des hommes que des femmes. Encore que : conjonction de subordination introduisant une concession. L’auteur annonce ce qui va suivre. Les deux articles des désignent les hommes et les femmes en général. Je sçay bien que j’entreprens une grand’oeuvre, L’auteur montre qu’il est conscient de l’ampleur du sujet qu’il a choisi de traiter. Le verbe entreprendre insiste sur la diffficuté de la tâche. L’adjectif grand’ rend compte de la longueur de celle-ci mais aussi de son importance (tout comme le mot oeuvre). et que je n’aurois jamais fait si j’en voulois monstrer la fin; Et que : suite de Je sçay bien que. Le mot fin peut désigner la limite, le moment où l’on a fait le tour du sujet mais il peut aussi indiquer un but, une finalité. Dans ce cas, l’auteur exprimerait le fait que ce travail qu’il entreprend n’a pas de but réel ou plutôt qu’il n’a pas d’autre fin que le divertissement. En effet, il est souvent inutile de chercher dans les oeuvres de Brantôme un jugement sérieux sur les personnes ou sur les choses. Plusieurs critiques l’ayant comparé à Montaigne ont observé qu’il se contentait de refléter son époque tandis que son contemporain examinait et s’intéressait aux lois du monde et de la société. car tout le papier de la Chambre des Comptes de Paris n’en sçauroit comprendre par escrit la moitié de leurs histoires, tant des femmes que des hommes. Car : conjonction de coordination introduisant une proposition qui explique ou justifie ce qui vient d’être énoncé. Les Chambres des Comptes étaient des juridictions souveraines spécialisées dans les affaires de finances et la Chambre des Comptes de Paris était la plus ancienne de celles-ci. L’auteur continue d’insister sur l’ampleur du sujet qu’il va traiter et la juridiction qu’il mentionne contraste avec la légerté de ce sujet. Cela a pour effet de donner un aspect plus sérieux, plus grave au thème du cocuage. L’adjectif tout insiste sur la quantité du papier de la Chambre des Comptes de Paris tandis que le substantif la moitié souligne à nouveau l’étendue du sujet qui va être traité. Tout cela produit un léger effet d’exagération (hyperbole). Le terme histoires a des connotations de légerté, il fait référence aux nombreuses anecdotes que Brantôme va rapporter dans ce discours : des aventures auxquelles il a participé ou dont il entendu parler. Dans tant des femmes que des hommes, Brantôme place le mot femmes en premier lieu, il met en évidence celles qui constituent le principal sujet de son Recueil et qui d’après lui “font la fondation du cocuage”. Mais pourtant j’en escriray ce que je pourray, et, quand je n’en pourray plus, je quitteray ma plume au diable, ou à quelque bon compagnon qui la reprendra; Mais et pourtant marquent une opposition : l’auteur est prêt à surmonter la difficulté de la tâche qu’il s’est assignée, difficulté renforcée par l’expression quand je n’en pourray plus et par l’évocation du diable. La mention de ce personnage surnaturel donne un côté presque maléfique au travail qu’il doit accomplir et au sujet dont il est question. Mais le personnage du diable est en opposition avec celui du bon compagnon : le “Discours” va traiter d’un sujet difficile et peut-être immoral aux yeux de certains mais il se peut aussi que des personnes honnêtes et bienveillantes s’y intéressent. m’excusant si je n’observe en ce discours ordre ny demy, car de telles gens et de telles femmes le nombre en est si grand, si confus et si divers, Le participe présent (m’excusant) marque une action qui dure : ces excuses valent pour l’entièreté du discours. Ni ordre ni demy : Dans la plupart de ses écrits, Brantôme rapporte les anecdotes dont il a été témoin sans réel souci d’ordre ou de méthode. L’adjectif telle détermine une certaine catégorie de personnes : celles qui sont ou ont été mêlées à des histoires d’infidélité. Le substantif gens désigne un nombre illimité de personnes qui peut regrouper des homme et des femmes. La conjonction et introduit une addition puis l’auteur insiste à nouveau sur les femmes en les nommant (elle pouvaient déjà faire partie des gens). L’accumulation d’adjectifs (grand, confus, divers) insiste sur la diversité des personnes concernées et sur l’importance de leur nombre, importance renforcée par la répétition de la conjonction si. que je ne sçache si bon sergent de bataille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance. Mettre en rang (pour ordonner) est une métaphore qui rappelle l’armée (et qui va de paire avec le bon sergent de bataille). Elle confère au sujet un aspect plus grave, plus rigide qui contraste avec sa légerté. L’auteur insiste aussi sur la difficulté de mettre de l’ordre dans un tel sujet. Suivant donc ma fantaisie, j’en diray comme il me plaira, ma fantaisie = mon imagination. Cette affirmation s’oppose au expressions mettre en rang et bon sergent. Puisque le sujet ne peut pas être traité avec rigueur, l’auteur en parlera à sa guise. en ce mois d’avril qui en rameine la saison et la venaison des cocus : je dis des branchiers, car d’autres il s’en fait et s’en voit assez tous les mois et saisons de l’an. la venaison = la chasse branchiers = qui perchent sur les branches Le mois d’avril évoque le printemps et accentue l’effet de légerté amené en début de phrase. Jeu de mot : le terme cocu, qui s’applique aux maris trompés, est une variante de coucou. Brantôme joue sur le rapprochement avec l’oiseau dont le nom est à l’origine du terme : en effet la femelle du coucou pond ses oeufs dans les nids des autres, elle ne prend pas en charge sa progéniture et les coucous n’ont pas besoin de vivre en couple comme certains oiseaux, c’est pourquoi ils ont une réputation d’infidélité. Ce jeu de mot amène un peu plus de légerté mais aussi de l’humour. Or, de ce genre de cocus, il y en a force de diverses especes; mais de toutes la pire est, et que les Dames craignent et doivent craindre autant, ce sont ces fols, dangereux, bisarres, mauvais, malicieux, cruels, sanglants et ombrageux, qui frappent, tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les autres pour le faux, tant le moindre soupçon du monde les rend enragez; autant = le plus, bisarres = fantasques,capricieux, malicieux = méchants, sanglants = sanguinaires, tourmentent = torturent La conjonction or introduit une suite au récit à un moment où il peut sembler terminé. Il y en a force de diverses especes : dans son discours, Brantôme va énumérer et décrire plusieurs sortes de cocus dont deux principales : il cite d’abord les maris ombrageux dont il désapprouve totalement la jalousie furieuse et parfois meurtrière mais il parle aussi des gentils cocus et dénonce la sensualité des femmes qui, d’après lui, peuvent difficilement être gardées. Le pronom toutes souligne la quantité des especes et renforce les connotations négatives liées à l’adjectif pire. L’accumulation d’adjectifs péjoratifs (fols, dangereux, bisarres, mauvais, malicieux, cruels, sanglants et ombrageux) puis d’actions violentes (frappent, tourmentent, tuent) donne à voir un portrait effrayant de cette première catogérie des maris ombrageux que n’importe quel motif peut rendre violent (les uns pour le vray, les autres pour le faux). Cette fureur dont ils font preuve est appuyée par l’adverbe d’intensité tant, l’adjectif moindre et le substantif monde. L’adjectif enragez peut faire penser à un animal ce qui accentue encore leur brutalité. Pour Brantôme, la répudiation constitue une punition suffisante des épouses. et de tels la conversation est fort à fuir, et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs qui ne s’en sont point soucié; car ilz estoyent aussi mauvais que les autres et les Dames estoyent courageuses, tellement que si le courage venoir à manquer à leurs serviteurs, le leur remettoyent; d’autant que tant plus toute entreprise est périlleuse et escabreuse, d’autant plus se doit-elle faire et executer de grande générosité. la conversation = le commerce, la fréquentation Escabreuse = risquée, dangereuse de grande générosité = avec une grande noblesse de sentiments Et de tels : mise en évidence d’un certain type de personnes (les maris ombrageux). Le verbe fuir fait appel à des connotations de danger et la répétition de la conjonction et (et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs) insiste sur le nombre de personnes qui sont exposées à ce danger. Il y a une opposition entre les mauvais serviteurs et le Dames courageuses. Le courage dont elles font preuve est renforcé par l’adverbe tellement et par la majuscule du mot Dames qui leur confère de l’importance. D’autres telles Dames ay-je cogneu qui n’avoyent nul coeur ny ambition pour attenter choses hautes, et ne s’amusoyent du tout qu’à leurs choses basses. Aussi dit-on : lasche de coeur comme une putain. nul coeur = aucun courage attenter = entreprendre ne s’amusoyent du tout qu’à = ne passaient du temps qu’à D’autres telles Dames désigne d’autres sortes de Dames. Dans ce discours, comme dans les autres, Brantôme va donner quantité d’exemples. Il fait part de son expérience personnelle et illustre ses propos en parlant des nombreuses dames qu’il a connues. J’ay cogneu une honneste Dame, et non des moindres, Honneste = distinguée Brantôme avoue ne s’être jamais interessé qu’aux “grandes dames” et aime rappeler qu’il a approché certaines reines de son temps. laquelle en une bone occasion qui s’offrit pour recueillir la jouissance de son amy, et luy remonstrant à elle l’inconvenient qui en adviendroit si le mary, qui n’estoit pas loin, les surprenoit, n’en fit plus de cas, et le quitta là, ne l’estimant hardy amant, ou bien pour ce qu’il la dedit au besoin : d’autant qu’il n’y a rien que la Dame amoureuse, lorsque l’ardeur et la fantaise de venir là lui prend, et que son amy ne la peut ou veut contenter tout à coup, pour quelques divers empeschemens, haïsse pus et s’en depite. pour ce qu’il = parce qu’il dedire = contredire, refuser (de faire quelque chose) D’après Brantôme, les dames n’aiment pas les amants qui ne savent pas profiter des occassions favorables. Mais les époux sont en grande partie responsables de leur débauche car ce sont eux qui les initient à la lubricité. Un peu plus loin dans ce discours, l’auteur affirme que l’habitude de la lubricité crée chez la femme une seconde nature : une fois accoutumée, elle trouve beaucoup de plaisir à changer de partenaire. Il faut bien loüer cette Dame de sa hardiesse, et d’autres aussi ses pareiles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours, bien qu’elles y courent plus de fortune et dangers que ne fait un soldat ou un marinier aux plus hasardeux perils de la guerre ou de la mer. L’amour est, d’après Brantôme, plus dangereux que la guerre ou la tempête en raison de la cruauté de certains époux. Dans ce même discours, l’auteur dénonce la rage des vieillards (souvent épousés pour leurs richesse) ainsi que quelques maris empoisonneurs et princes s’étant débarassé de leurs épouses uniquement par désir de changement. Une Dame Espagnole, conduite une fois par un gallant Cavallier dans le logis du Roy, venant à passer par un certain recoing caché et sombre, le Cavallier, se mettant sur son respect et discretion espagnole, luy dit : “Señora, buen lugar, si no fuera vuessa merced.” La Dame luy respondit seulement : “Si, buen lugar, si no fuera vuessa merced” : “Voicy un beau lieu, si c’estoit une autre que vous. — Ouy vrayment, si c’estoit aussi un autre que vous.” Par là l’arguant et incolpant de coüardise, pour n’avoir pris d’elle en si bon lieu ce qu’il vouloit et desiroit; ce qu’eust fait un autre plus hardy : et, pour ce, oncques plus ne l’aima, et le quitta. Cavallier = gentilhomme accompli, sur son respect = sur sa réserve, incolpant = l’accusant, oncques plus = jamais plus Brantôme enchaine directement avec un second exemple. Il se peut que l’anecdote qu’il rapporte se soit déroulée ou lui ait été contée lors de son passage à Madrid en 1564 où il fut reçu par la reine Elisabeth de Valois.

4. Bibliographie Source primaire: BRANTÔME, Pierre de Bourdeille (Abbé et Seigneur de), Recueil des Dames, poésies et tombeaux, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1991 Sources secondaires: DARMESTETER (Arsène) et HATZFELD (Adolphe), Le seizième siècle en France : tableau de la littérature et de la langue ; suivi de Morceaux en prose et en vers choisis dans les principaux écrivains de cette époque, Paris, Delagrave, 1920 LAFFONT (Robert) et BOMPIANI (Valentino), Le nouveau dictionnaire des auteurs : de tous les temps et de tous les pays, tome 1 : de A à F, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 1994 LALANNE (Ludovic), Brantôme sa vie et ses écrits, Genève, Slatkine Reprints, 1971 Sources internet : L’encyclopédie en ligne Wikipedia : http://www.wikipedia.org/ Le Trésor de la Langue Française informatisé. URL : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm (mars 2010)

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