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Candide – Chapitre 18 – L'Eldorado

Publié le 12/09/2006

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Finalement, le bonheur, qu'est-ce que c'est? Une vague notion idéalisée par de nombreux écrivains au fil des siècles? Un thème abordé en philosophie? Nombreux sont les auteurs, qui ont tenté d'en donner quelques caractéristiques à travers des œuvres bien différentes les unes des autres: à travers des essais de réflexion évidemment, des traités divers et variés, ou encore à travers le genre dramatique. Le thème de la société idéale, l'utopie, fut maintes et maintes fois développé, jusqu'à nos jours, où il reste plus que jamais d'actualité. Pour ne pas s'éloigner de la règle, Voltaire évoque une société idéale, lui aussi, dans son conte philosophique Candide. Dans ce récit du XVIIIème siècle, le philosophe des Lumières décrit le monde dans lequel arrivent par hasard le jeune Candide et son compagnon Cacambo, monde nouveau et irréel qui se nomme Eldorado. C'est justement ce passage qui est soumis à notre étude. Le passage en question montre deux moments importants qui sont une description de l'architecture de la capitale, ainsi qu'une présentation des mœurs des habitants. Mais cependant, loin de vouloir à son tour faire un portrait de la société idéale rêvée par tout le monde, l'auteur montre au lecteur qu'il ne faut pas être aussi naïf que son personnage, et que ce monde parfait est destiné à n'être qu'imaginaire. Nous verrons cela en suivant trois directions dans notre analyse. D'abord, en relevant plusieurs caractères qui montrent que ce monde est totalement l'inverse de ce que nous avons, en Europe du XVIIIème siècle. Ensuite, il sera utile de s'intéresser à la présentation de cette société idéale, tellement gonflée d'idéal qu'elle en ressort invraisemblable, ce qui mène alors à révéler la véritable visée de l'auteur lorsqu'il rédige ce texte complexe et subtil à la fois. Candide et Cacambo, lorsqu'ils arrivent dans ce nouveau monde, perçoivent des caractères qu'ils connaissent déjà, mais tout est inversé. Ils assistent à une société aux antipodes de la leur. Sur trois points essentiels, qui vont fonder une civilisation. Les habitudes protocolaires sont inversées, puisqu'ils sont reçus par "vingt belles filles de la garde" l.6, ce qui s'oppose aux hommes habituellement assignés à cette fonction. Il en est de même un peu plus loin, à travers l'évocation des deux sexes en ce qui concerne les officiers, et les "officières". Ce partage des tâches est unique en son genre, et n'a jamais lieu évidemment, dans les sociétés de la vieille Europe d'alors. Cet accueil réservé à deux simples visiteurs est assez exceptionnel et rompt avec la réalité, et enfin, les hommages envers le Roi, sont chaleureux, sans être pompeux et fastes, comme dans la monarchie du XVIIIème siècle: la réponse du grand officier à la question de Cacambo, en plus de l'étonnement qu'elle provoque, montre la simplicité du monarque, l.12-13. Le deuxième point qui montre l'opposition des deux mondes est dans la présentation des institutions. Au contraire de ce que le lecteur connaît dans n'importe quelle société, il n'existe pas, en Eldorado, de système judiciaire, ou de répression. Les trois négations qui accompagnent ces remarques insistent sur cette originalité:"…il n'y en avait point, et qu'on ne plaidait jamais […] on lui dit que non". De plus, à l'inverse de ce que l'on trouve dans le monde de Candide, les efforts sont faits ici pour tout ce qui peut éclairer les hommes. Les lignes 21 et 22 évoquant l'intérêt des institutions de ce pays pour les connaissances et les sciences. Troisième point qui joue sur cette systématique opposition entre le monde réel et ce monde féérique: l'urbanisme. Ici, les concepteurs de la ville mettent en valeur les places publiques et les marchés, véritables jardins d'Eden, qui contrastent de manière très marquée avec le simple côté fonctionnel des lieux publics traditionnels. C'est donc un monde idéal que décrit Voltaire dans ce passage, tellement idéal, d'ailleurs qu'il en devient étrange… Le pays de l'Eldorado n'existe que par la description qu'en fait l'auteur, et quelle description! Tout n'est que superlatifs, profusion, luxe, calme et volupté comme dirait le Poète. Les matériaux évoqués aux lignes 3-4 et 5 apportent par relativité, une idée de la richesse des lieux. Les constructions sont gigantesques, ce qui montre autant la puissance que la richesse et la science des habitants: "…jusqu'aux nues" l.15; " le portail était de deux cents vingt pieds de haut…" l.3; "une galerie de deux mille pas", l.21.les tissus des vêtements des deux personnages sont conçus en "duvet de colibri "l.7, ce qui laisse imaginer la dextérité technique, la patience et la richesse , car le matériau utilisé est précieux, comme le sont les cailloux qui jonchent le sol, en début de texte. Les éléments urbains ne font pas non plus défaut, et représentent une réelle confusion des sens, entre la vue, l'odorat, et le goût: plusieurs types de fontaines: des plus classiques aux plus originales, et pour le bien de la communauté. A cela nous pourrons ajouter, au niveau du style, cette richesse provoquée aussi par l'emploi récurrent de chiffres, de pluriels systématiques qui montrent la luxuriance, l'abondance des richesses du pays. Enfin, au niveau de la richesse des qualités humaines, pourrons-nous relever le comportement du peuple, accueillant (l.6à9), et l'attitude du roi, véritable souverain éclairé et spirituel, fin, comme les affectionnait Voltaire lui-même. Bref, tout l'inverse du sinistre et grotesque baron de TTTronckh, seule figure d'autorité d'un monde jugé parfait par Candide, jusque là. Pourtant, en observant le comportement du jeune homme face à cette exposition de tant de beautés, on ne peut que s'étonner de son manque de discernement, et de sa naïveté toujours aussi forte. Il ne semble pas s'étonner de ce monde, lui et son compagnon se rendent assez ridicules par rapport aux questions qu'ils posent (l.10à13), et leur attitude rejoint parfois une forme de comique qui est peut-être à associer au regard de Voltaire lui-même au sujet de ce monde idéal, certes, mais de pacotille. Cet extrait va en effet beaucoup plus loin que de nous donner les thèmes essentiels vers lesquels l'auteur de Candide tendrait. Il y a certainement des passages qui mettent en corrélation les deux mondes, comme nous l'avions évoqué en première partie, et qui semblent confirmer les thèses de Voltaire: un monarque libéral, courtois et proche de son peuple; une société faisant grand cas de la connaissance, et qui ne connaîtrait …ni criminalité ni délinquance? Evidemment on ne peut que se poser la question, en tant que lecteur, et non comme Candide, qui ne réagit pas à cela: est-ce vraiment possible? De la même manière, l'auteur fait ressortir aux lignes 11 à 14 un comique de gestes, ainsi qu'aux premières lignes une absence d'émerveillement devant la scène des "moutons qui volaient" , devant les descriptions hyperboliques des bâtiments, afin d'instaurer avec son lecteur une complicité qui montrerait que le pays décrit ici n'est rien d'autre qu'une utopie, et n'existera donc jamais. La perfection est exagérée, et le lecteur ne doit pas être dupe, comme l'est le jeune homme, devant cette société imaginaire. Le message de l'auteur est ici davantage de parodier les codes traditionnels de l'Utopie, et de prouver qu'il existe peut-être un autre modèle de société, plus ancré dans la réalité. Alors que nous étions depuis le début dans une atmosphère assez proche de la réalité du XVIIIème siècle, nous entrons dans ce chapitre dans un véritable conte de fées, qui crée donc une certaine distance avec les autres lieux du conte. Ainsi peut-on dire que Voltaire nous demande ne pas être dupe, comme son jeune héros, face à ces marchands d'illusion. La scène qui suit directement ce passage étant peut-être le passage le plus poignant du conte, puisqu'il évoque la triste et dure condition de l'esclave de Surinam, et vient rompre ainsi avec la légèreté de la description pleine de fantaisie de cet Eldorado. Ce texte possède donc plusieurs qualités, qui sont diverses, mais qui ne possèdent qu'un seul but: appuyer la thèse principale de Voltaire. Le conteur exploite tous les codes langagiers propres à cette Utopie, d'une part, en inversant les principes de ce monde, et les nôtres. De plus, cette description est tellement élogieuse, qu'elle en devient finalement douteuse. Et le doute se confirme alors dans le fait que Voltaire nous fait prendre conscience qu'il ne peut s'agir ici que d'un monde imaginaire. Cette société du bonheur ne peut pas exister sur terre, mais un modèle sera plus loin, préféré par Candide, et Voltaire évidemment, car beaucoup plus réaliste, et basé sur des notions et des valeurs vérifiables et réelles: le bonheur trouvé dans la métairie du dernier chapitre.

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