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Céline, Voyage au bout de la nuit (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Céline, Voyage au bout de la nuit (extrait). Après la guerre et l'Afrique, Bardamu est en Amérique. Passé le moment de répit que lui procure la découverte de ce nouveau cadre, Bardamu, submergé par la froide modernité de New York et l'angoisse du soir, se retrouve à nouveau envahi du sentiment tragique du monde et de la vie s'acheminant inéluctablement vers la mort. Parmi ces bribes de pensées philosophiques, où les formules aphoristiques se mêlent aux tournures orales pour créer cette langue expressive et jubilatoire propre à Céline, s'esquisse toutefois un mouvement contraire de lutte contre l'abandon et la dérive vers la mort, qui consisterait à trouver en soi assez de musique pour « faire danser la vie «. Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline J'en avais trop vu moi des choses pas claires pour être content. J'en savais de trop et j'en savais pas assez. Faut sortir, que je me dis, sortir encore. Peut-être que tu rencontreras Robinson. C'était une idée idiote évidemment mais que je me donnais pour avoir un prétexte à sortir à nouveau, d'autant plus que j'avais beau me retourner et me retourner encore sur le petit plumard je ne pouvais accrocher le plus petit bout de sommeil. Même à se masturber dans ces cas-là on n'éprouve ni réconfort, ni distraction. Alors c'est le vrai désespoir. Ce qui est pire c'est qu'on se demande comment le lendemain on trouvera assez de forces pour continuer à faire ce qu'on a fait la veille et depuis déjà tellement trop longtemps, où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui n'aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l'accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu'il faut retomber au bas de la muraille, chaque soir, sous l'angoisse de ce lendemain, toujours plus précaire, plus sordide. C'est l'âge aussi qui vient peut-être, le traître, et nous menace du pire. On n'a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà. Toute la jeunesse est allée mourir déjà au bout du monde dans le silence de vérité. Et où aller dehors, je vous le demande, dès qu'on n'a plus en soi la somme suffisante de délire ? La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas. La vérité de ce monde c'est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n'ai jamais pu me tuer moi. Le mieux était donc de sortir dans la rue, ce petit suicide. Chacun possède ses petits dons, sa méthode pour conquérir le sommeil et bouffer. Il fallait bien que j'arrive à dormir pour retrouver assez de forces pour gagner ma croûte le lendemain. Retrouver de l'entrain, juste ce qu'il fallait pour trouver un boulot demain et franchir tout de suite, en attendant, l'inconnu du sommeil. Faut pas croire que c'est facile de s'endormir une fois qu'on s'est mis à douter de tout, à cause surtout de tant de peurs qu'on vous a faites. Source : Céline (Louis-Ferdinand), Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard, « Folio «, 1972. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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