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choses : dans cette recherche, il néglige fréquemment de considérer son propre chemin dans la vie et il s'y conduit le plus souvent d'une manière assez gauche.

Publié le 23/10/2012

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choses : dans cette recherche, il néglige fréquemment de considérer son propre chemin dans la vie et il s'y conduit le plus souvent d'une manière assez gauche. Pour les hommes ordinaires, la faculté de connaître est la lanterne qui éclaire le chemin ; pour l'homme de génie, c'est le soleil qui révèle le monde. Cette manière si différente d'envisager le monde se manifeste bien vite, même physiquement. L'homme chez qui le génie respire et travaille se distingue aisément, à son regard qui est également vif et ferme, qui porte la marque de l'intuition, de la contemplation ; c'est ce que nous pouvons constater par les portraits du peu d'hommes de génie que la nature produit de temps en temps sur d'innombrables millions d'individus : au contraire dans le regard des autres, s'il n'est ni insignifiant ni atone, on voit facilement un caractère tout opposé à celui de la contemplation, je veux dire la curiosité, le furetage. (Monde, I, 192-4.) 2. L'HOMME PRATIQUE, LE TALENT ET LE GÉNIE ACTION ET CRÉATION L'intellect de l'homme anormal, rigoureusement lié au service de la volonté, ne s'occupe par suite que de la réception des motifs et semble être comme l'ensemble des fils propres à mettre en mouvement chacune des marionnettes sur le théâtre du monde. De là, chez la plupart des hommes, cet air grave, sec, posé, que surpasse seul le sérieux des animaux, incapables de rire. Le génie, au contraire, avec son intellect dégagé de toute entrave, fait l'effet d'un acteur vivant placé au milieu des grandes poupées du fameux théâtre de marionnettes de Milan : seul à comprendre tout le mécanisme, il aurait plaisir à s'échapper un instant de la scène pour aller dans une loge jouir du spectacle : c'est la réflexion géniale. — Mais l'homme même le plus intelligent et le plus raisonnable, celui qu'on peut presque appeler du nom de sage, est très différent du génie : son intellect conserve une tendance pratique, soucieux de choisir les fins les meilleures, les moyens plus convenables, et ne cesse pas de demeurer ainsi au service de la volonté, de suivre dans son activité l'impulsion naturelle. Le sérieux ferme et pratique dans la vie, que les Romains désignaient par le terme de gravitas, suppose que l'intellect n'abandonne pas le service de la volonté pour s'égarer à la recherche de ce qui ne s'y rapporte pas : aussi ne comporte-t-il pas cette séparation de l'intellect et de la volonté qui est la condition du génie. Si l'homme doué d'une intelligence même éminente est propre à rendre de grands services dans la pratique, c'est justement parce que les objets sont un vif stimulant pour sa volonté et l'excitent à poursuivre sans relâche l'étude de leurs relations et de leurs rapports. Son intellect est donc étroitement soudé à sa volonté. L'homme de génie, au contraire, voit flotter devant son esprit le phénomène du monde, dans la conception objective qu'il s'en fait, comme un objet de contemplation, comme une substance étrangère, qui élimine la volonté de la conscience. C'est là le point autour duquel roule la différence qui sépare la capacité d'agir de celle de produire. La dernière demande l'objectivité et la profondeur de la connaissance, dont la condition préalable est la rupture complète entre l'intellect et la volonté ; la première au contraire réclame l'application de la connaissance, la présence d'esprit et la résolution, c'est-à-dire pour l'intellect la nécessité de pourvoir sans relâche aux exigences de la volonté. Là où le lien entre l'intellect et la volonté est brisé, l'intellect, détourné de sa destination naturelle, négligera le service de la volonté ; même dans un moment de danger, par exemple, il se prévaudra de son affranchissement, et ne pourra s'empêcher de considérer le côté pittoresque des choses environnantes d'où vient le péril imminent qui menace sa personne. L'intellect de l'homme raisonnable et judicieux est au contraire toujours à son poste, fixé sur les événements et les dispositions qu'ils réclament : en toute circonstance, il décidera et exécutera les mesures les plus convenables ; jamais il ne se laissera aller à ces excentricités, à ces méprises personnelles, à ces sottises même auxquelles le génie est exposé par la condition de son intellect, qui, loin d'être exclusivement le guide et le gardien de sa volonté, appartient plus ou moins à l'objectivité pure. Le contraste des deux genres d'aptitude si différents que nous venons d'examiner ici sous une forme abstraite a été personnifié par Goethe dans l'opposition des caractères du Tasse et d'Antonio. La parenté souvent signalée du génie et de la folie repose avant tout sur cette séparation essentielle au génie, mais pourtant contraire à la nature, de l'intellect d'avec la volonté. Mais cette séparation même n'est nullement due à ce que le génie est accompagné d'une intensité moindre de la volonté, puisqu'au contraire il suppose un caractère violent et passionné. La vraie raison en est que l'homme remarquable dans la pratique, l'homme d'action, possède seulement la mesure entière et complète d'intellect exigée pour une volonté énergique, ce qui n'est pas même le cas pour la plupart des hommes ; tandis que le génie consiste dans une proportion véritablement excessive et anormale d'intellect, et telle qu'aucune volonté n'en a besoin pour son usage. Aussi les hommes capables de produire des oeuvres réelles sont-ils mille fois plus rares que les hommes d'action. C'est cet excès même qui confère à l'intellect cette prépondérance marquée, qui lui permet de se détacher de la volonté, et alors, sans souci de son origine, d'entrer librement en jeu par sa propre force, en vertu de sa propre élasticité ; ainsi naissent les créations du génie... Ainsi l'homme simplement pratique applique son intellect à l'usage que la nature lui a marqué, c'est-à-dire à concevoir les relations des choses, soit entre elles, soit avec la volonté du sujet connaissant. Le génie l'applique au contraire et sans souci de cette destination, à concevoir l'essence objective des choses. Son cerveau ne lui appartient donc pas, il appartient au monde, qu'il doit contribuer à éclairer en quelque façon. De là naîtront pour l'individu ainsi doué des inconvénients multiples ; car son intellect montrera d'une manière générale les défauts attachés à tout instrument qu'on emploie à un usage pour lequel il n'a pas été fait. Tout d'abord il sera en quelque sorte le serviteur de deux maîtres : à toute occasion, il s'affranchit du service conforme à sa destination, pour courir à ses propres fins ; il lui arrive souvent et mal à propos de laisser la volonté dans l'embarras, et cet individu si éminent devient aussi plus ou moins impropre à la vie ; bien plus, par sa conduite il semble toucher parfois à la folie. Puis, en vertu de sa haute faculté de connaissance, il apercevra dans les choses plutôt le général que le particulier, et c'est surtout la connaissance du particulier que demande le service de la volonté. Quand ensuite, à l'occasion, cette connaissance d'une élévation démesurée se tournera tout entière, de toute son énergie,

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